Jane
Campion, née le 30 avril 1954 à Wellington,
est une réalisatrice et scénariste néo-zélandaise.
En 1993, elle remporte la Palme
d'or du festival
de Cannes pour son film La
Leçon de piano. Elle est la première femme cinéaste de
l'histoire du festival à avoir reçu cette récompense. En mai
2014, elle marque de nouveau le monde médiatique et
cinématographique en devenant la première réalisatrice à présider
le jury des longs métrages lors de la 67e édition
du festival de Cannes. Elle est la première femme dans
l'histoire du cinéma à avoir été nommée à deux reprises dans la
catégorie meilleure
réalisation aux Oscars, en 1993 pour La
Leçon de piano puis en 2022 pour The
Power of the Dog, qu'elle remporte finalement pour ce dernier.
Sweetie
Réalisé par Jane Campion
Avec Karen Colston, Genevieve Lemon, Tom Lycos
Comédie dramatique
1h37
1989
Australie
Kay a peur de tout : du présent, de l'avenir, de la vie, de la mort. Tout semble s'arranger lorsqu'elle se met en ménage avec Louis, l'ancien fiancé d'une collègue. Mais ce bonheur apparent ne dure qu'un temps et ses angoisses la reprennent. C'est alors qu'apparaît Sweetie, sa jeune sœur, obèse, débraillée et sympathique, qui laisse dans son sillage un énorme nuage d'entropie...
Quand en 1989 Jane Campion réalise Sweetie, son premier long-métrage, elle n’est pas encore la réalisatrice qu’on connaît, saluée chaque année à l’approche du Festival de Cannes, dont elle est la seule femme à avoir gagné la Palme. Le film est toutefois nourri des obsessions et motifs qui parcourent toute l’œuvre de la Néo-Zélandaise. Avant d’être un excellent portrait de femme, comme le seront tous ses films, Sweetie est une représentation de la famille – une famille étouffante, enracinée en chacun de ses personnages. Dans la suite de sa filmographie, Jane Campion ne filmera plus que des femmes émancipées de ce cadre. Comme dans son premier court, qui voyait un trio sœur-frère-fils/neveu se quereller au bord d’une route pour des pelures d’orange, Jane Campion cherche l’émancipation féminine au milieu des petits dérèglements familiaux, des doutes, des angoisses. La quête ici est simple, elle mènera la protagoniste hors de soi, vers sa sexualité surtout – comme si le corps finissait par reprendre ses droits sur l’espace mental sclérosé par la peur. La nature et le végétal, comme souvent chez la réalisatrice, ne cessent d’envahir le réel, le lieu des émotions – ici le petit monde triste dans lequel Kay s’est enfermée malgré elle. Le symbole de l’arbre est central : c’est d’abord celui que Louis cherche à faire pousser au milieu du béton, comme emblème de son amour et de son union avec Kay (effrayée, elle arrache et dissimule l’arbuste pathétique). C’est l’arbre familial : la généalogie, passée ou en devenir. Depuis le vide qui sépare ses deux sujets et devant l’étendue des possibles dont leur différence rend compte, la caméra se tient et observe. Avec des plans très composés et des personnages souvent statiques le film traîne, malgré son attachement à un réel hanté par l’angoisse, un air d’étrangeté onirique, parfois même loufoque. Le film se termine comme une ode à son personnage éponyme, le beau portrait d’une femme atypique, sacrifiée en un sens à la libération des autres. C’est dans cette ambivalence même, un élan mi-libertaire, mi-désespéré, que Sweetie se distingue comme le plus singulier des films de Jane Campion. L’aridité de l’œuvre de jeunesse laissera bientôt place à une représentation ouverte de la sensibilité (Un ange à ma table), romantique même (La Leçon de piano), tenue en tous cas à distance de ses démons familiaux.
Réalisé par Jane Campion
Avec Karen Colston, Genevieve Lemon, Tom Lycos
Comédie dramatique
1h37
1989
Australie
Kay a peur de tout : du présent, de l'avenir, de la vie, de la mort. Tout semble s'arranger lorsqu'elle se met en ménage avec Louis, l'ancien fiancé d'une collègue. Mais ce bonheur apparent ne dure qu'un temps et ses angoisses la reprennent. C'est alors qu'apparaît Sweetie, sa jeune sœur, obèse, débraillée et sympathique, qui laisse dans son sillage un énorme nuage d'entropie...
Quand en 1989 Jane Campion réalise Sweetie, son premier long-métrage, elle n’est pas encore la réalisatrice qu’on connaît, saluée chaque année à l’approche du Festival de Cannes, dont elle est la seule femme à avoir gagné la Palme. Le film est toutefois nourri des obsessions et motifs qui parcourent toute l’œuvre de la Néo-Zélandaise. Avant d’être un excellent portrait de femme, comme le seront tous ses films, Sweetie est une représentation de la famille – une famille étouffante, enracinée en chacun de ses personnages. Dans la suite de sa filmographie, Jane Campion ne filmera plus que des femmes émancipées de ce cadre. Comme dans son premier court, qui voyait un trio sœur-frère-fils/neveu se quereller au bord d’une route pour des pelures d’orange, Jane Campion cherche l’émancipation féminine au milieu des petits dérèglements familiaux, des doutes, des angoisses. La quête ici est simple, elle mènera la protagoniste hors de soi, vers sa sexualité surtout – comme si le corps finissait par reprendre ses droits sur l’espace mental sclérosé par la peur. La nature et le végétal, comme souvent chez la réalisatrice, ne cessent d’envahir le réel, le lieu des émotions – ici le petit monde triste dans lequel Kay s’est enfermée malgré elle. Le symbole de l’arbre est central : c’est d’abord celui que Louis cherche à faire pousser au milieu du béton, comme emblème de son amour et de son union avec Kay (effrayée, elle arrache et dissimule l’arbuste pathétique). C’est l’arbre familial : la généalogie, passée ou en devenir. Depuis le vide qui sépare ses deux sujets et devant l’étendue des possibles dont leur différence rend compte, la caméra se tient et observe. Avec des plans très composés et des personnages souvent statiques le film traîne, malgré son attachement à un réel hanté par l’angoisse, un air d’étrangeté onirique, parfois même loufoque. Le film se termine comme une ode à son personnage éponyme, le beau portrait d’une femme atypique, sacrifiée en un sens à la libération des autres. C’est dans cette ambivalence même, un élan mi-libertaire, mi-désespéré, que Sweetie se distingue comme le plus singulier des films de Jane Campion. L’aridité de l’œuvre de jeunesse laissera bientôt place à une représentation ouverte de la sensibilité (Un ange à ma table), romantique même (La Leçon de piano), tenue en tous cas à distance de ses démons familiaux.
Un
ange à ma table (An Angel at My Table)
Réalisé par Jane Campion
Avec Kerry Fox, Alexia Keogh, Karen Fergusson
Biopic
2h38
1990
Nouvelle-Zélande, Australie, Royaume-Uni
Divisé en trois chapitres, qui portent les titres des trois parties de l’autobiographie de Janet Frame (To the Is-land, An Angel at My Table et The Envoy from Mirror City) le film de Jane Campion retrace les débuts difficiles de cette femme, issue d’une famille nombreuse dans un milieu ouvrier, qui se distingue très tôt par ses dons littéraires et son goût pour la poésie. Lorsqu’elle étudiait à l’université avec le rêve de devenir enseignante, elle fut arbitrairement internée en hôpital psychiatrique et diagnostiquée schizophrène. Enfermée pendant huit ans, elle subira deux cents électrochocs et échappera de justesse à une lobotomie. N’ayant jamais cessé d’écrire, c’est sa notoriété grandissante et la chance d’avoir été publiée qui lui permettront enfin de quitter l’asile et de commencer une nouvelle vie, en voyageant en Angleterre et en Espagne.
Biographie dramatisée de l'auteure néo-zélandaise Janet Frame, le film suit Frame depuis son enfance dans une famille pauvre, ses années dans un établissement psychiatrique et ses années d'écriture après sa libération. Produit à l'origine sous forme de mini-série télévisée, le film, un peu trop long, est divisé en trois parties, avec les rôles principaux joués par trois actrices qui incarnent Frame à différentes étapes de sa vie : Alexia Keogh (enfant), Karen Fergusson ( adolescent) et Kerry Fox (adulte). Ce film impressionnant adopte une approche immersive de la vie de Janet Frame, ne quittant jamais son point de vue sur le monde, poétique, parfois cauchemardesque mais toujours d’une grande honnêteté. Victime désignée d’une société qui a décidé de la ranger parmi les malades mentaux, la jeune femme témoigne sous sa fragilité et sa timidité apparentes d’une persévérance, d’un courage exceptionnel qui lui permettront de surmonter de nombreuses épreuves. C’est aussi à un exercice d’admiration totale que se livre Jane Campion, pour l’artiste et aussi la femme. D’admiration et d’identification, et l’on pourrait aisément imaginer Jane Campion déclarer « Janet Frame, c’est moi. » Le film développe une écriture et une esthétique « féminines », autour du refoulement puis de l’épanouissement de la sensualité de Janet Frame, qui souffrira longtemps de se sentir différente et mal aimée, mais dont les émotions exacerbées nourriront l’œuvre.
La Leçon de piano (The Piano)
Réalisé par Jane Campion
Avec Holly Hunter, Harvey Keitel, Sam Neill, Anna Paquin
Dramer, Romance
2h01
1993
Nouvelle-Zélande, Australie, France
Ada, mère d’une fillette de neuf ans, s’apprête à partager la vie d’un inconnu, au fin fond du bush néo-zélandais. Son nouveau mari accepte de transporter toutes ses possessions, à l’exception de la plus précieuse : un piano, qui échoue chez un voisin illettré. Ne pouvant se résigner à cette perte, Ada accepte le marché que lui propose ce dernier : regagner le piano, touche par touche en se soumettant à ses fantaisies...
Palme d’or du Festival de Cannes de 1993, La Leçon de piano est seulement le troisième film de la cinéaste néo-zélandaise Jane Campion après les remarqués Sweetie (1989) et Un ange à ma table (1990). Grande amatrice de littérature romanesque et gothique, marquée notamment par les œuvres des sœurs Brontë ou d’Ann Radcliffe, Jane Campion transpose avec succès ce genre typiquement anglais dans les contrées sauvages de la Nouvelle-Zélande, à l’aura tout aussi mystérieuse que celle des landes. La scénariste-réalisatrice joue brillamment avec les codes du classicisme pour raconter l’histoire de ce triangle amoureux à haute tension érotique, magnifiquement incarné par Holly Hunter (Crash), Harvey Keitel (Reservoir Dogs) et Sam Neill (Jurassic Park). Comme toujours chez Campion, l’histoire est envisagée à travers le prisme féminin : le personnage d’Ada est une femme forte et affirmée, prête à affronter toutes les batailles pour récupérer son piano, son unique moyen d’expression avec sa fille Flora – interprétée par l’impressionnante Anna Paquin (True Blood), alors âgée de neuf ans. Jane Campion signe là une œuvre charnelle – où le plaisir féminin est pour une fois mis en avant – autour de personnages tiraillés entre la culture qui leur a été inculquée, et leurs instincts et pulsions naturels. Avec ses paysages ensorcelants et sa musique enivrante, La Leçon de piano est une peinture aussi délicate qu’embrasée de la passion amoureuse sublimée par un fabuleux quatuor d’acteurs. Durant toute sa filmographie, Jane Campion s’est efforcée d’offrir des rôles ambitieux à ses actrices. La leçon de piano n’échappe pas à la règle. Malgré son mutisme, Ada impose la volonté (et Holly Hunter son talent) d’un caractère fort, en contradiction totale avec les conventions de l’époque victorienne. Ces gestes hachés, seuls moyens de communication avec sa fille, se transforment en ballet lorsque ses doigts effleurent les touches de son piano. Ada dicte certes ses volontés, apposant au film un caractère féministe, mais elle n’en demeure pas moins une femme fragile qui se bat avec ses armes : le désir charnel, la passion et la fragilité. On ne peut éprouver en ce sens que de la compassion mêlée à du respect pour ce petit bout de femme, perdu entre l’amour de deux hommes. Jane Campion ne réalise pas un pamphlet contre les conditions sévères de vie de la gent féminine à cette période. Elle se penche sur la naissance d’une passion dévorante, qui bouscule sans commune mesure l’ordre établi. Le piano devient un objet de partage, durant ce jeu érotique. Il ne s’agit plus de laisser les cordes vibrer à la place du cœur d’Ada. Cette dernière s’ouvre enfin au monde, symbole d’une émancipation révolutionnaire. Jane Campion revisite l’acte sexuel en caressant le corps de ses acteurs avec sa caméra. Rarement un contact charnel n’aura été aussi palpable qu’avec La leçon de piano. On ne peut rien faire d’autre que de se laisser bercer par la poésie de ce film.
Portrait de femme (The Portrait of a Lady)
Réalisé par Jane Campion
Avec Nicole Kidman, John Malkovich, Shelley Duvall
Drame
2h22
1996
États-Unis, Royaume-Uni
À la fin des années 1800, Isabel Archer, jeune Américaine en visite chez ses cousins anglais, choque son entourage par son esprit libre et aventureux. Son cousin Ralph, phtisique incurable, l’aime en secret. Elle part à Florence où une amie la jette dans les bras de son amant, Gilbert Osmond, un habile manipulateur. Commence alors une quête vers la liberté…
Portrait de femme est une œuvre mal-aimée dans la filmographie de Jane Campion puisque souffrant de succéder au célébré La Leçon de Piano (1993) qui lui valut tous les honneurs dont un Palme d’or. Cette adaptation d’un classique de Henry James prend en effet à rebrousse-poil par son austérité ceux qui avait été envoûtés par la flamboyance romanesque de La Leçon de Piano.
« Campion occulte tout le début du roman de [Henry] James et invente un prologue poétique et contemporain qui invite à une lecture féministe de son film. Si les décors, les étoffes et la direction artistique sont magnifiques, Jane Campion privilégie l’ombre à la lumière, les intérieurs oppressants aux vues de la Toscane où se déroule la dernière partie du film. Portrait de femme offre un rôle (et un écrin) splendides à Nicole Kidman alors à l’apogée de sa beauté et de sa domination insolente sur le cinéma d’auteur mondial. »
Olivier Père, arte.fr, 4 décembre 2017
Réalisé par Jane Campion
Avec Kerry Fox, Alexia Keogh, Karen Fergusson
Biopic
2h38
1990
Nouvelle-Zélande, Australie, Royaume-Uni
Divisé en trois chapitres, qui portent les titres des trois parties de l’autobiographie de Janet Frame (To the Is-land, An Angel at My Table et The Envoy from Mirror City) le film de Jane Campion retrace les débuts difficiles de cette femme, issue d’une famille nombreuse dans un milieu ouvrier, qui se distingue très tôt par ses dons littéraires et son goût pour la poésie. Lorsqu’elle étudiait à l’université avec le rêve de devenir enseignante, elle fut arbitrairement internée en hôpital psychiatrique et diagnostiquée schizophrène. Enfermée pendant huit ans, elle subira deux cents électrochocs et échappera de justesse à une lobotomie. N’ayant jamais cessé d’écrire, c’est sa notoriété grandissante et la chance d’avoir été publiée qui lui permettront enfin de quitter l’asile et de commencer une nouvelle vie, en voyageant en Angleterre et en Espagne.
Biographie dramatisée de l'auteure néo-zélandaise Janet Frame, le film suit Frame depuis son enfance dans une famille pauvre, ses années dans un établissement psychiatrique et ses années d'écriture après sa libération. Produit à l'origine sous forme de mini-série télévisée, le film, un peu trop long, est divisé en trois parties, avec les rôles principaux joués par trois actrices qui incarnent Frame à différentes étapes de sa vie : Alexia Keogh (enfant), Karen Fergusson ( adolescent) et Kerry Fox (adulte). Ce film impressionnant adopte une approche immersive de la vie de Janet Frame, ne quittant jamais son point de vue sur le monde, poétique, parfois cauchemardesque mais toujours d’une grande honnêteté. Victime désignée d’une société qui a décidé de la ranger parmi les malades mentaux, la jeune femme témoigne sous sa fragilité et sa timidité apparentes d’une persévérance, d’un courage exceptionnel qui lui permettront de surmonter de nombreuses épreuves. C’est aussi à un exercice d’admiration totale que se livre Jane Campion, pour l’artiste et aussi la femme. D’admiration et d’identification, et l’on pourrait aisément imaginer Jane Campion déclarer « Janet Frame, c’est moi. » Le film développe une écriture et une esthétique « féminines », autour du refoulement puis de l’épanouissement de la sensualité de Janet Frame, qui souffrira longtemps de se sentir différente et mal aimée, mais dont les émotions exacerbées nourriront l’œuvre.
La Leçon de piano (The Piano)
Réalisé par Jane Campion
Avec Holly Hunter, Harvey Keitel, Sam Neill, Anna Paquin
Dramer, Romance
2h01
1993
Nouvelle-Zélande, Australie, France
Ada, mère d’une fillette de neuf ans, s’apprête à partager la vie d’un inconnu, au fin fond du bush néo-zélandais. Son nouveau mari accepte de transporter toutes ses possessions, à l’exception de la plus précieuse : un piano, qui échoue chez un voisin illettré. Ne pouvant se résigner à cette perte, Ada accepte le marché que lui propose ce dernier : regagner le piano, touche par touche en se soumettant à ses fantaisies...
Palme d’or du Festival de Cannes de 1993, La Leçon de piano est seulement le troisième film de la cinéaste néo-zélandaise Jane Campion après les remarqués Sweetie (1989) et Un ange à ma table (1990). Grande amatrice de littérature romanesque et gothique, marquée notamment par les œuvres des sœurs Brontë ou d’Ann Radcliffe, Jane Campion transpose avec succès ce genre typiquement anglais dans les contrées sauvages de la Nouvelle-Zélande, à l’aura tout aussi mystérieuse que celle des landes. La scénariste-réalisatrice joue brillamment avec les codes du classicisme pour raconter l’histoire de ce triangle amoureux à haute tension érotique, magnifiquement incarné par Holly Hunter (Crash), Harvey Keitel (Reservoir Dogs) et Sam Neill (Jurassic Park). Comme toujours chez Campion, l’histoire est envisagée à travers le prisme féminin : le personnage d’Ada est une femme forte et affirmée, prête à affronter toutes les batailles pour récupérer son piano, son unique moyen d’expression avec sa fille Flora – interprétée par l’impressionnante Anna Paquin (True Blood), alors âgée de neuf ans. Jane Campion signe là une œuvre charnelle – où le plaisir féminin est pour une fois mis en avant – autour de personnages tiraillés entre la culture qui leur a été inculquée, et leurs instincts et pulsions naturels. Avec ses paysages ensorcelants et sa musique enivrante, La Leçon de piano est une peinture aussi délicate qu’embrasée de la passion amoureuse sublimée par un fabuleux quatuor d’acteurs. Durant toute sa filmographie, Jane Campion s’est efforcée d’offrir des rôles ambitieux à ses actrices. La leçon de piano n’échappe pas à la règle. Malgré son mutisme, Ada impose la volonté (et Holly Hunter son talent) d’un caractère fort, en contradiction totale avec les conventions de l’époque victorienne. Ces gestes hachés, seuls moyens de communication avec sa fille, se transforment en ballet lorsque ses doigts effleurent les touches de son piano. Ada dicte certes ses volontés, apposant au film un caractère féministe, mais elle n’en demeure pas moins une femme fragile qui se bat avec ses armes : le désir charnel, la passion et la fragilité. On ne peut éprouver en ce sens que de la compassion mêlée à du respect pour ce petit bout de femme, perdu entre l’amour de deux hommes. Jane Campion ne réalise pas un pamphlet contre les conditions sévères de vie de la gent féminine à cette période. Elle se penche sur la naissance d’une passion dévorante, qui bouscule sans commune mesure l’ordre établi. Le piano devient un objet de partage, durant ce jeu érotique. Il ne s’agit plus de laisser les cordes vibrer à la place du cœur d’Ada. Cette dernière s’ouvre enfin au monde, symbole d’une émancipation révolutionnaire. Jane Campion revisite l’acte sexuel en caressant le corps de ses acteurs avec sa caméra. Rarement un contact charnel n’aura été aussi palpable qu’avec La leçon de piano. On ne peut rien faire d’autre que de se laisser bercer par la poésie de ce film.
Portrait de femme (The Portrait of a Lady)
Réalisé par Jane Campion
Avec Nicole Kidman, John Malkovich, Shelley Duvall
Drame
2h22
1996
États-Unis, Royaume-Uni
À la fin des années 1800, Isabel Archer, jeune Américaine en visite chez ses cousins anglais, choque son entourage par son esprit libre et aventureux. Son cousin Ralph, phtisique incurable, l’aime en secret. Elle part à Florence où une amie la jette dans les bras de son amant, Gilbert Osmond, un habile manipulateur. Commence alors une quête vers la liberté…
Portrait de femme est une œuvre mal-aimée dans la filmographie de Jane Campion puisque souffrant de succéder au célébré La Leçon de Piano (1993) qui lui valut tous les honneurs dont un Palme d’or. Cette adaptation d’un classique de Henry James prend en effet à rebrousse-poil par son austérité ceux qui avait été envoûtés par la flamboyance romanesque de La Leçon de Piano.
« Campion occulte tout le début du roman de [Henry] James et invente un prologue poétique et contemporain qui invite à une lecture féministe de son film. Si les décors, les étoffes et la direction artistique sont magnifiques, Jane Campion privilégie l’ombre à la lumière, les intérieurs oppressants aux vues de la Toscane où se déroule la dernière partie du film. Portrait de femme offre un rôle (et un écrin) splendides à Nicole Kidman alors à l’apogée de sa beauté et de sa domination insolente sur le cinéma d’auteur mondial. »
Olivier Père, arte.fr, 4 décembre 2017
Holy
Smoke
Réalisé par Jane Campion
Avec Harvey Keitel, Kate Winslet, Pam Grier
Comédie dramatique
1h55
1999
Australie, États-Unis
Au cours d'un voyage en Inde, Ruth, belle et jeune Australienne, est bouleversée par un gourou. Inquiète, sa famille imagine un stratagème pour la faire revenir et demande a l’Américain P.J. Waters, specialiste de la déprogrammation spirituelle, de la ramener a une culture plus occidentale. Pour lui, le cas pourrait être réglé en vingt-quatre heures. Deux jours plus tard, le pouvoir change de camp. P.J. Waters, le professionnel du désenvoûtement, doit affronter, désarmé, l'emprise de sa passion pour Ruth, son ange vengeur.
L’intrigue est saugrenue, peu crédible telle que présentée dans le film ; les personnages virevoltent les uns vers les autres de façon tout à fait aléatoire et l’épilogue final vient, et c’est dommage, briser le déséquilibre de ce film loufoque. Qu’importe, pourtant, car ces maladresses comptent peu dans ce cinquième long métrage de la cinéaste Jane Campion.
L’emprise de cette œuvre réside ailleurs, dans son dérèglement sensible, dans son extravagance hallucinogène. Jane Campion délaisse un certain formalisme à l’œuvre dans ses précédents films. Le film ressemble à un petit bibelot rétro qui prend vie. La famille de Ruth roule dans une voiture aux cornes de cerf, un plan de jeu vidéo bleu électrique s’intercale entre des paysages de l’outback et des archives de Charles Manson. Les images du film pourraient s’acoquiner avec un esprit de secte, heureusement tellement troublé et libre qu’il disparaîtra aussitôt. Holy Smoke est un objet bizarre dans la filmographie de Jane Campion et mérite d’être vu.
Réalisé par Jane Campion
Avec Harvey Keitel, Kate Winslet, Pam Grier
Comédie dramatique
1h55
1999
Australie, États-Unis
Au cours d'un voyage en Inde, Ruth, belle et jeune Australienne, est bouleversée par un gourou. Inquiète, sa famille imagine un stratagème pour la faire revenir et demande a l’Américain P.J. Waters, specialiste de la déprogrammation spirituelle, de la ramener a une culture plus occidentale. Pour lui, le cas pourrait être réglé en vingt-quatre heures. Deux jours plus tard, le pouvoir change de camp. P.J. Waters, le professionnel du désenvoûtement, doit affronter, désarmé, l'emprise de sa passion pour Ruth, son ange vengeur.
L’intrigue est saugrenue, peu crédible telle que présentée dans le film ; les personnages virevoltent les uns vers les autres de façon tout à fait aléatoire et l’épilogue final vient, et c’est dommage, briser le déséquilibre de ce film loufoque. Qu’importe, pourtant, car ces maladresses comptent peu dans ce cinquième long métrage de la cinéaste Jane Campion.
L’emprise de cette œuvre réside ailleurs, dans son dérèglement sensible, dans son extravagance hallucinogène. Jane Campion délaisse un certain formalisme à l’œuvre dans ses précédents films. Le film ressemble à un petit bibelot rétro qui prend vie. La famille de Ruth roule dans une voiture aux cornes de cerf, un plan de jeu vidéo bleu électrique s’intercale entre des paysages de l’outback et des archives de Charles Manson. Les images du film pourraient s’acoquiner avec un esprit de secte, heureusement tellement troublé et libre qu’il disparaîtra aussitôt. Holy Smoke est un objet bizarre dans la filmographie de Jane Campion et mérite d’être vu.
In
the Cut
Réalisé par Jane Campion
Avec Meg Ryan, Mark Ruffalo, Jennifer Jason Leigh, Nick Damici, Patrice O'Neal, Sharrieff Pugh
Érotique, Thriller
1h42
2003
États-Unis, Australie, Royaume-Uni
Une professeure de lettres introvertie enquête avec un policier fruste sur une série de meurtres macabres. Alors qu’une liaison passionnée débute entre les deux protagonistes, la jeune femme soupçonne son amant d’être lui-même le tueur...
Avec In the Cut, Jane Campion subvertit habilement les codes du film noir et ses «deux figures récurrentes: celle de l’homme ordinaire plongé en plein mystère et qui se retrouve à jouer les détectives amateurs, et celle de la femme fatale qui manipule, ou non, le premier, et qui le conduira, ou non, à sa perte. Campion inverse les rôles en proposant une ‹femme ordinaire› pour propulser un récit de ‹mystère› traversé par un ‹homme fatal› qui manipule, ou non, la première, et qui la conduira, ou non, à sa perte» (François Lévesque, Le Devoir, 2023).
Sensuelle et ultrasensible, la mise en scène traduit, avec une intense subtilité, les vacillements perceptibles de l'héroïne. Pour sa première incursion en territoire américain, Jane Campion joue avec son matériau, avec ses spectateurs : en suivant les traces sanglantes qui parcourent In the Cut, on arrivera très loin des horreurs qui sont la récompense usuelle des amateurs de films gore, vers un monde à la fois plus secret et infiniment plus riche.
Réalisé par Jane Campion
Avec Meg Ryan, Mark Ruffalo, Jennifer Jason Leigh, Nick Damici, Patrice O'Neal, Sharrieff Pugh
Érotique, Thriller
1h42
2003
États-Unis, Australie, Royaume-Uni
Une professeure de lettres introvertie enquête avec un policier fruste sur une série de meurtres macabres. Alors qu’une liaison passionnée débute entre les deux protagonistes, la jeune femme soupçonne son amant d’être lui-même le tueur...
Avec In the Cut, Jane Campion subvertit habilement les codes du film noir et ses «deux figures récurrentes: celle de l’homme ordinaire plongé en plein mystère et qui se retrouve à jouer les détectives amateurs, et celle de la femme fatale qui manipule, ou non, le premier, et qui le conduira, ou non, à sa perte. Campion inverse les rôles en proposant une ‹femme ordinaire› pour propulser un récit de ‹mystère› traversé par un ‹homme fatal› qui manipule, ou non, la première, et qui la conduira, ou non, à sa perte» (François Lévesque, Le Devoir, 2023).
Sensuelle et ultrasensible, la mise en scène traduit, avec une intense subtilité, les vacillements perceptibles de l'héroïne. Pour sa première incursion en territoire américain, Jane Campion joue avec son matériau, avec ses spectateurs : en suivant les traces sanglantes qui parcourent In the Cut, on arrivera très loin des horreurs qui sont la récompense usuelle des amateurs de films gore, vers un monde à la fois plus secret et infiniment plus riche.
Bright
Star
Réalisé par Jane Campion
Avec Abbie Cornish, Ben Whishaw, Paul Schneider
Drame, Romance
1h59
2009
Australie, États-Unis, France
Un drame consacré à l'histoire d'amour entre le poète John Keats (1795-1821), figure de proue de l'école romantique anglaise, et Fanny Brawne.
Après 6 ans d’absence, date de son dernier long métrage In the cut (2003), Jane Campion revient sur grand écran dans son genre de prédilection, les films d’époques dramatiques en costume (La leçon de piano, Portrait de femme). Jane Campion donne à voir le développement de leur passion par un travail formel minutieux et en s’appuyant sur des décors naturels: «La cinéaste réalise de véritables tableaux vivants, une peinture pleine de matière dans laquelle la nature est reine, et qu’elle parvient à nous faire ressentir. Le rythme des saisons accompagne les jeux des amoureux, la palette de couleurs se déploie finement aussi bien dans les scènes d’intérieur que d’extérieur. La nature est filmée comme l’écrin des sentiments de Keats et Fanny, où les éléments s’allient pour mieux les porter» (Sarah Elkaïm, www.critikat.com, 2010).
Réalisé par Jane Campion
Avec Abbie Cornish, Ben Whishaw, Paul Schneider
Drame, Romance
1h59
2009
Australie, États-Unis, France
Un drame consacré à l'histoire d'amour entre le poète John Keats (1795-1821), figure de proue de l'école romantique anglaise, et Fanny Brawne.
Après 6 ans d’absence, date de son dernier long métrage In the cut (2003), Jane Campion revient sur grand écran dans son genre de prédilection, les films d’époques dramatiques en costume (La leçon de piano, Portrait de femme). Jane Campion donne à voir le développement de leur passion par un travail formel minutieux et en s’appuyant sur des décors naturels: «La cinéaste réalise de véritables tableaux vivants, une peinture pleine de matière dans laquelle la nature est reine, et qu’elle parvient à nous faire ressentir. Le rythme des saisons accompagne les jeux des amoureux, la palette de couleurs se déploie finement aussi bien dans les scènes d’intérieur que d’extérieur. La nature est filmée comme l’écrin des sentiments de Keats et Fanny, où les éléments s’allient pour mieux les porter» (Sarah Elkaïm, www.critikat.com, 2010).
The
Power of the Dog
Réalisé par Jane Campion
Avec Benedict Cumberbatch, Kirsten Dunst, Jesse Plemons
Drame
2h06
2021
Nouvelle-Zélande, Australie, Canada, États-Unis, Royaume-Uni
Les frères Phil et George Burbank sont diamétralement opposés. Lorsque George épouse en secret Rose, une jeune veuve, Phil, ivre de colère, se met en tête d'anéantir celle-ci. Il cherche alors à atteindre Rose en se servant de son fils Peter, garçon sensible et efféminé, comme d'un pion dans sa stratégie sadique et sans merci…
Un monde (ultra) masculin, voilà ce qu’a choisi d’infiltrer Jane Campion. Infiltrer, c’est bien le mot, le nombre de femmes ayant opposé leur regard aux codes du western étant quasi nul. C’est peu dire que celui de la cinéaste est précieux, elle dont les films les plus adoubés sont aussi des films d’époque (La Leçon de piano, Bright Star, Portrait de femme…), genre du déguisement et de la performance. The Power of the Dog est d’ailleurs moins western classique que film d’époque sophistiqué, où il s’agit de montrer non plus la féminité corsetée, mais la masculinité triomphante du cow-boy – soit celle de l’antihéros Phil, figure d’absolu en la matière. Au milieu de ce paysage viril – il n’a pas échappé à la cinéaste que la forme des montagnes épouse celle des muscles saillants de l’homme –, deux anomalies : une femme, Rose, et l’adolescent qu’elle élève, Peter, dont la sensibilité lui vaut les railleries des fermiers. Lorsque George se marie avec Rose, c’en est trop pour Phil, qui ne tolère qu’une stricte homosocialité au sein du ranch. Très loin de tout classicisme, The Power of the Dog en déroutera plus d’un puisqu’il s’affranchit rapidement du scénario stricto sensu ; en élaguant l’explication au maximum, Jane Campion cherche à rendre au film sa forme la plus sensitive, la plus muette possible. N’y subsistent plus que des silhouettes ou des sons en opposition – ceux du piano, du banjo, du peigne de Peter ou des boots de Phil pourraient faire récit à eux seuls. Mais son tour de force est bien de désacraliser la fameuse « masculinité triomphante » en l’envisageant, elle aussi, comme un corset en forme d’héritage que les générations d’hommes se transmettent. Bronco Henry, maître décédé de Phil, en est le fantôme ; marchant dans les pas d’une tradition de sous-textes gays dans le western, Jane Campion fait de son cow-boy un homme rongé par ses désirs contraints. Peter apparaît alors comme l’incarnation de Phil au même âge, et l’ambigu rapport de domination entre les deux hommes devient le grand sujet du film qui, dans sa dernière partie, fait advenir le fantastique le plus crépusculaire, transformant sournoisement l’héritage en vraie malédiction.
Un film fascinant, complexe et exigeant, une œuvre dense et parfaitement maîtrisée, signant le retour en grâce d’une réalisatrice plus que jamais à part dans l’histoire du cinéma contemporain, renouant magistralement avec la veine la plus ambitieuse de sa carrière.
Réalisé par Jane Campion
Avec Benedict Cumberbatch, Kirsten Dunst, Jesse Plemons
Drame
2h06
2021
Nouvelle-Zélande, Australie, Canada, États-Unis, Royaume-Uni
Les frères Phil et George Burbank sont diamétralement opposés. Lorsque George épouse en secret Rose, une jeune veuve, Phil, ivre de colère, se met en tête d'anéantir celle-ci. Il cherche alors à atteindre Rose en se servant de son fils Peter, garçon sensible et efféminé, comme d'un pion dans sa stratégie sadique et sans merci…
Un monde (ultra) masculin, voilà ce qu’a choisi d’infiltrer Jane Campion. Infiltrer, c’est bien le mot, le nombre de femmes ayant opposé leur regard aux codes du western étant quasi nul. C’est peu dire que celui de la cinéaste est précieux, elle dont les films les plus adoubés sont aussi des films d’époque (La Leçon de piano, Bright Star, Portrait de femme…), genre du déguisement et de la performance. The Power of the Dog est d’ailleurs moins western classique que film d’époque sophistiqué, où il s’agit de montrer non plus la féminité corsetée, mais la masculinité triomphante du cow-boy – soit celle de l’antihéros Phil, figure d’absolu en la matière. Au milieu de ce paysage viril – il n’a pas échappé à la cinéaste que la forme des montagnes épouse celle des muscles saillants de l’homme –, deux anomalies : une femme, Rose, et l’adolescent qu’elle élève, Peter, dont la sensibilité lui vaut les railleries des fermiers. Lorsque George se marie avec Rose, c’en est trop pour Phil, qui ne tolère qu’une stricte homosocialité au sein du ranch. Très loin de tout classicisme, The Power of the Dog en déroutera plus d’un puisqu’il s’affranchit rapidement du scénario stricto sensu ; en élaguant l’explication au maximum, Jane Campion cherche à rendre au film sa forme la plus sensitive, la plus muette possible. N’y subsistent plus que des silhouettes ou des sons en opposition – ceux du piano, du banjo, du peigne de Peter ou des boots de Phil pourraient faire récit à eux seuls. Mais son tour de force est bien de désacraliser la fameuse « masculinité triomphante » en l’envisageant, elle aussi, comme un corset en forme d’héritage que les générations d’hommes se transmettent. Bronco Henry, maître décédé de Phil, en est le fantôme ; marchant dans les pas d’une tradition de sous-textes gays dans le western, Jane Campion fait de son cow-boy un homme rongé par ses désirs contraints. Peter apparaît alors comme l’incarnation de Phil au même âge, et l’ambigu rapport de domination entre les deux hommes devient le grand sujet du film qui, dans sa dernière partie, fait advenir le fantastique le plus crépusculaire, transformant sournoisement l’héritage en vraie malédiction.
Un film fascinant, complexe et exigeant, une œuvre dense et parfaitement maîtrisée, signant le retour en grâce d’une réalisatrice plus que jamais à part dans l’histoire du cinéma contemporain, renouant magistralement avec la veine la plus ambitieuse de sa carrière.