1958, France
Réalisé
par Bruno Dumont
Avec David Douche, Marjorie Cottreel, Kader Chaatouf
Drame
1h36
1997
France
Chronique de la vie de Freddy, jeune épileptique, qui vit avec sa mère Yvette à Bailleul où elle tient le café Au Petit Casino, siège d'un club de pinsonneux, amateurs de pinsons qui concourent tous les dimanches et marquent à la craie sur un long morceau de bois le nombre de trilles de leur oiseau.
Tourné et situé à Bailleul, bourg perdu du Nord-Pas-de-Calais, La Vie de Jésus évoque l’univers du grand Jacques Brel, des images de plat pays où le ciel est bas et gris, où la terre est rude et fumante… En changeant un peu les paroles, on pourrait presque évoquer les personnages du film sur l’air de Ces gens-là. Du côté des références cinématographiques, certains films et cinéastes remontent à l’esprit par bouffées mentales : Pialat pour la puissance physique des plans ; Brisseau pour la façon de traquer la grâce dans les territoires les moins évidents, les plus risqués ; Bresson pour la rigueur dépouillée des cadrages et du découpage et parce que le Freddy de Dumont est un personnage bressonien, juste un peu plus fruste et incarné… Mais Dumont récuse les références : « Il n’y a pas consciemment de à la manière de« , « Les influences, c’est ce qu’il y a de pire au cinéma »… C’est sans doute pour ça, parce qu’il n’y a jamais pensé pendant le tournage, que certaines parentés de cinéma apparaissent à la vision de son film et qu’on se permet de les citer en guise de vague boussole sans risque de faire passer Dumont pour un simple élève La Vie de Jésus tient debout tout seul et très fermement.
Avec David Douche, Marjorie Cottreel, Kader Chaatouf
Drame
1h36
1997
France
Chronique de la vie de Freddy, jeune épileptique, qui vit avec sa mère Yvette à Bailleul où elle tient le café Au Petit Casino, siège d'un club de pinsonneux, amateurs de pinsons qui concourent tous les dimanches et marquent à la craie sur un long morceau de bois le nombre de trilles de leur oiseau.
Tourné et situé à Bailleul, bourg perdu du Nord-Pas-de-Calais, La Vie de Jésus évoque l’univers du grand Jacques Brel, des images de plat pays où le ciel est bas et gris, où la terre est rude et fumante… En changeant un peu les paroles, on pourrait presque évoquer les personnages du film sur l’air de Ces gens-là. Du côté des références cinématographiques, certains films et cinéastes remontent à l’esprit par bouffées mentales : Pialat pour la puissance physique des plans ; Brisseau pour la façon de traquer la grâce dans les territoires les moins évidents, les plus risqués ; Bresson pour la rigueur dépouillée des cadrages et du découpage et parce que le Freddy de Dumont est un personnage bressonien, juste un peu plus fruste et incarné… Mais Dumont récuse les références : « Il n’y a pas consciemment de à la manière de« , « Les influences, c’est ce qu’il y a de pire au cinéma »… C’est sans doute pour ça, parce qu’il n’y a jamais pensé pendant le tournage, que certaines parentés de cinéma apparaissent à la vision de son film et qu’on se permet de les citer en guise de vague boussole sans risque de faire passer Dumont pour un simple élève La Vie de Jésus tient debout tout seul et très fermement.
Réalisé
par Bruno Dumont
Avec Emmanuel Schotté, Séverine Caneele, Philippe Tullier
Drame
2h28
1999
France
Pharaon de Winter, petit-fils du peintre du même nom, vit seul avec sa mère dans le Nord. Il passe son temps libre à jardiner, à faire du vélo, mais surtout en compagnie de sa voisine Domino, dont il est secrètement amoureux. Lieutenant de police, il doit enquêter sur le viol et le meurtre d'une fillette. Ses investigations vont le conduire non seulement a la recherche du criminel, mais aussi en quête de preuves d'humanité entre les êtres.
L'humanité, deuxième long métrage de Bruno Dumont, remporte le Grand Prix du jury au Festival de Cannes en 1999, et ses deux acteurs principaux, Emmanuel Schotté et Séverine Caneele, des non-professionnels, y reçoivent chacun un prix d'interprétation. Accueilli froidement, le choix du jury cannois divise la critique : L'humanité est une œuvre déroutante, exaspérante et fascinante à la fois, réalisée par un cinéaste controversé.
L'humanité, c'est d'abord un film ancré dans un paysage, celui du Nord, et dans une ville, Bailleul, où le cinéaste est né et a tourné son premier long métrage. « Bruno Dumont aime cette lumière, la mer et les gens qui vivent avec. Pourtant, L'humanité n'est pas un film réaliste, encore moins un film sociétal. « La campagne française est mystérieusement changée en terra incognita par le scope pictural de Bruno Dumont » observe Télérama. « Le cinéaste cherche à éliminer le Nord « documentaire » pour atteindre quelque chose de plus universel.
Bruno Dumont introduit son film par « la représentation d'un sexe féminin au milieu d'un champ vide, qui plus est, le sexe violé et mutilé d'un cadavre d'enfant. Le cinéaste donne à cette blessure redondante filmée comme un simple objet à l'abandon sous un ciel immense et pesant un statut de limon originel, de terrain propice au départ de la fiction », note Les Cahiers du cinéma. Un jeune lieutenant de police, au nom original hérité d'un ancêtre peintre, Pharaon De Winter (Emmanuel Schotté) sera le seul guide dans une enquête dont on comprend rapidement qu'elle n'est qu'un prétexte « pour mieux se laisser couler dans les tréfonds de l'âme humaine » (La Croix).
Bruno Dumont poursuit son exploration de la matière humaine « dans ce qu'elle a de plus immédiat », écrit Positif. « Il montre des visages saisis dans leur plus simple expression, des mains noueuses, des corps crûment enlacés dans d'insistantes scènes d'accouplement presque animales » (La Croix). « Le spectateur est là, à Bailleul en Flandre, mais en même temps ailleurs, à la recherche de l'intériorité d'êtres impuissants, écrasés par la tragédie de la vie » poursuit Télérama.
Charlie Hebdo s'interroge : « Quelle sorte de regard le cinéaste-démiurge porte-t-il sur son humanité souffrante ? Il ne voit partout qu'une culpabilité universelle, celle de notre monstrueuse nature ». Au centre de ce désordre, Pharaon est le réceptacle de la souffrance humaine. Emmanuel Schotté en est le troublant interprète, « surlignant l'altérité de son personnage par sa lourdeur, son émotivité excessive et sa fragilité devant la laideur du mal » (Jeune cinéma), il communique « avec le monde et ses semblables à travers les sensations visuelles, auditives, olfactives et tactiles » (La Tribune). « Après La vie de Jésus, portrait troublant de la haine, Bruno Dumont livre une méditation sur l'amour » (Le Point). L'Express conclut : « Qu'est-ce que L'humanité ? Un film de métaphysique quotidienne sur la terre, la chair, le sexe, la bonté totale et le mal ordinaire ».
La presse rapproche souvent L'humanité des films de Robert Bresson : d'abord par le choix d'acteurs non-professionnels et le caractère pictural des images. Mais aussi, comme l'écrit L'Avant-Scène cinéma, « par sa rigueur, son souci du cadre, la durée des plans et la force de leur composition ». Libération évoque « le radicalisme du montage, le jeu stylisé des acteurs, la bande-son contrastée alternant de manière tranchée les silences et les bruits ». Le quotidien poursuit : « dès les premiers plans, Bruno Dumont conjugue deux démarches quasi contradictoires : une puissance contemplative, une espèce d'inhalation presque enivrante des humus et des pollens, et en même temps une rigueur storyboardée, des plans forgés dans une armature de fer, comme calculés au micron près ».
Pour Les Inrockuptibles, « le film est en constant déséquilibre entre naturalisme et stylisation. De ce décalage résulte une incertitude permanente sur les enjeux du film et sur le rapport de Bruno Dumont à ses personnages ». « Si le film donne parfois plus à entendre l'intelligence de son auteur qu'à voir le rapport au monde de ses personnages, il maintient une tension entre le spirituel et le matériel incontestable, imprégnant cette tentative cinématographique quasi théorique d'une odeur entêtante de terre et de chair », conclut Positif.
Avec Emmanuel Schotté, Séverine Caneele, Philippe Tullier
Drame
2h28
1999
France
Pharaon de Winter, petit-fils du peintre du même nom, vit seul avec sa mère dans le Nord. Il passe son temps libre à jardiner, à faire du vélo, mais surtout en compagnie de sa voisine Domino, dont il est secrètement amoureux. Lieutenant de police, il doit enquêter sur le viol et le meurtre d'une fillette. Ses investigations vont le conduire non seulement a la recherche du criminel, mais aussi en quête de preuves d'humanité entre les êtres.
L'humanité, deuxième long métrage de Bruno Dumont, remporte le Grand Prix du jury au Festival de Cannes en 1999, et ses deux acteurs principaux, Emmanuel Schotté et Séverine Caneele, des non-professionnels, y reçoivent chacun un prix d'interprétation. Accueilli froidement, le choix du jury cannois divise la critique : L'humanité est une œuvre déroutante, exaspérante et fascinante à la fois, réalisée par un cinéaste controversé.
L'humanité, c'est d'abord un film ancré dans un paysage, celui du Nord, et dans une ville, Bailleul, où le cinéaste est né et a tourné son premier long métrage. « Bruno Dumont aime cette lumière, la mer et les gens qui vivent avec. Pourtant, L'humanité n'est pas un film réaliste, encore moins un film sociétal. « La campagne française est mystérieusement changée en terra incognita par le scope pictural de Bruno Dumont » observe Télérama. « Le cinéaste cherche à éliminer le Nord « documentaire » pour atteindre quelque chose de plus universel.
Bruno Dumont introduit son film par « la représentation d'un sexe féminin au milieu d'un champ vide, qui plus est, le sexe violé et mutilé d'un cadavre d'enfant. Le cinéaste donne à cette blessure redondante filmée comme un simple objet à l'abandon sous un ciel immense et pesant un statut de limon originel, de terrain propice au départ de la fiction », note Les Cahiers du cinéma. Un jeune lieutenant de police, au nom original hérité d'un ancêtre peintre, Pharaon De Winter (Emmanuel Schotté) sera le seul guide dans une enquête dont on comprend rapidement qu'elle n'est qu'un prétexte « pour mieux se laisser couler dans les tréfonds de l'âme humaine » (La Croix).
Bruno Dumont poursuit son exploration de la matière humaine « dans ce qu'elle a de plus immédiat », écrit Positif. « Il montre des visages saisis dans leur plus simple expression, des mains noueuses, des corps crûment enlacés dans d'insistantes scènes d'accouplement presque animales » (La Croix). « Le spectateur est là, à Bailleul en Flandre, mais en même temps ailleurs, à la recherche de l'intériorité d'êtres impuissants, écrasés par la tragédie de la vie » poursuit Télérama.
Charlie Hebdo s'interroge : « Quelle sorte de regard le cinéaste-démiurge porte-t-il sur son humanité souffrante ? Il ne voit partout qu'une culpabilité universelle, celle de notre monstrueuse nature ». Au centre de ce désordre, Pharaon est le réceptacle de la souffrance humaine. Emmanuel Schotté en est le troublant interprète, « surlignant l'altérité de son personnage par sa lourdeur, son émotivité excessive et sa fragilité devant la laideur du mal » (Jeune cinéma), il communique « avec le monde et ses semblables à travers les sensations visuelles, auditives, olfactives et tactiles » (La Tribune). « Après La vie de Jésus, portrait troublant de la haine, Bruno Dumont livre une méditation sur l'amour » (Le Point). L'Express conclut : « Qu'est-ce que L'humanité ? Un film de métaphysique quotidienne sur la terre, la chair, le sexe, la bonté totale et le mal ordinaire ».
La presse rapproche souvent L'humanité des films de Robert Bresson : d'abord par le choix d'acteurs non-professionnels et le caractère pictural des images. Mais aussi, comme l'écrit L'Avant-Scène cinéma, « par sa rigueur, son souci du cadre, la durée des plans et la force de leur composition ». Libération évoque « le radicalisme du montage, le jeu stylisé des acteurs, la bande-son contrastée alternant de manière tranchée les silences et les bruits ». Le quotidien poursuit : « dès les premiers plans, Bruno Dumont conjugue deux démarches quasi contradictoires : une puissance contemplative, une espèce d'inhalation presque enivrante des humus et des pollens, et en même temps une rigueur storyboardée, des plans forgés dans une armature de fer, comme calculés au micron près ».
Pour Les Inrockuptibles, « le film est en constant déséquilibre entre naturalisme et stylisation. De ce décalage résulte une incertitude permanente sur les enjeux du film et sur le rapport de Bruno Dumont à ses personnages ». « Si le film donne parfois plus à entendre l'intelligence de son auteur qu'à voir le rapport au monde de ses personnages, il maintient une tension entre le spirituel et le matériel incontestable, imprégnant cette tentative cinématographique quasi théorique d'une odeur entêtante de terre et de chair », conclut Positif.
Réalisé
par Bruno Dumont
Avec David Wissak, Yekaterina Golubeva, Jeremy Davies
Drame, épouvante-horreur
1h59
2003
Avec David Wissak, Yekaterina Golubeva, Jeremy Davies
Drame, épouvante-horreur
1h59
2003
France
David, photographe indépendant, et Katia, jeune femme sans travail, atterrissent à Los Angeles et se lancent à la recherche d'un désert pour les décors d'un magazine. S'accouplant sans relâche à tout endroit et à tout moment, ils se disputent et se réconcilient, ne se doutant pas que le danger ne vient pas seulement d'eux-mêmes.
Ce qui impressionne le plus, dans le troisième film de Bruno Dumont, c’est la violence presque palpable qui couve, la tension qui l’habite de bout en bout alors qu’il ne se passe quasiment rien. Quand le personnage féminin refuse à son compagnon le droit de la regarder pisser comme il le souhaiterait,le réalisateur s’autorise dès le plan suivant à la filmer en action et donc à nous la montrer, nous forçant à devenir voyeurs, nous rendant complices d’un violpar l’image qui en annonce peut-être d’autres,nous obligeant à nous identifier à la nature pour en dénoncer la soi-disant innocence. C’est dire si Twentynine Palms, au-delà d’un apparent relâchement narratif, est solidement structuré, obéit à une loi interne d’une glaçante logique. Twentynine Palms est un film qui dérange, un film qui ne cherche pas à plaire. Mais on n’en attendait pas moins de Bruno Dumont.
Les deux premiers films de Dumont étaient déjà travaillés par le cinéma américain : La Vie de Jésus par le western, L’Humanité par le film noir. Le « déplacement » de Dumont du nord de la France (plus précisément de sa région de Bailleul) au sud-ouest des Etats-Unis ne marque donc pas un véritable dépaysement cinématographique. D’autant que le cinéaste a apporté avec lui ses thèmes de prédilection : une sexualité masculine surtout animale, incontrôlable, agressive, vide de sens ; des rapports entre hommes et femmes épuisés et épuisants, l’amour et l’horreur inextricables ; le vide culturelet spirituel des contrées dites civilisées, où l’individu est toujours tenté d’imposer sa justice personnelle ;des thèmes exacerbés par la solitude des personnages (jusqu’aux ultimes minutes du film, terrifiantes, on ne verra quasiment personne d’autre que ce couple) et le décor vaste et inculte où se libèrent leurs pulsions. Dans Twentynine Palms, le désert ne semble rester désespérément habité que par les obsessions de Dumont, comme s’il était allé voir ailleurs s’il y était et que nous nous voyions contraints de lui révéler la banale réalité : oui, il y est, lui, et rien d’autre.Un long voyage pour par grand-chose, pourra-t-on penser. Mais peut-être aussi une étape nécessaire dans l’évolution d’un cinéaste singulier.
David, photographe indépendant, et Katia, jeune femme sans travail, atterrissent à Los Angeles et se lancent à la recherche d'un désert pour les décors d'un magazine. S'accouplant sans relâche à tout endroit et à tout moment, ils se disputent et se réconcilient, ne se doutant pas que le danger ne vient pas seulement d'eux-mêmes.
Ce qui impressionne le plus, dans le troisième film de Bruno Dumont, c’est la violence presque palpable qui couve, la tension qui l’habite de bout en bout alors qu’il ne se passe quasiment rien. Quand le personnage féminin refuse à son compagnon le droit de la regarder pisser comme il le souhaiterait,le réalisateur s’autorise dès le plan suivant à la filmer en action et donc à nous la montrer, nous forçant à devenir voyeurs, nous rendant complices d’un violpar l’image qui en annonce peut-être d’autres,nous obligeant à nous identifier à la nature pour en dénoncer la soi-disant innocence. C’est dire si Twentynine Palms, au-delà d’un apparent relâchement narratif, est solidement structuré, obéit à une loi interne d’une glaçante logique. Twentynine Palms est un film qui dérange, un film qui ne cherche pas à plaire. Mais on n’en attendait pas moins de Bruno Dumont.
Les deux premiers films de Dumont étaient déjà travaillés par le cinéma américain : La Vie de Jésus par le western, L’Humanité par le film noir. Le « déplacement » de Dumont du nord de la France (plus précisément de sa région de Bailleul) au sud-ouest des Etats-Unis ne marque donc pas un véritable dépaysement cinématographique. D’autant que le cinéaste a apporté avec lui ses thèmes de prédilection : une sexualité masculine surtout animale, incontrôlable, agressive, vide de sens ; des rapports entre hommes et femmes épuisés et épuisants, l’amour et l’horreur inextricables ; le vide culturelet spirituel des contrées dites civilisées, où l’individu est toujours tenté d’imposer sa justice personnelle ;des thèmes exacerbés par la solitude des personnages (jusqu’aux ultimes minutes du film, terrifiantes, on ne verra quasiment personne d’autre que ce couple) et le décor vaste et inculte où se libèrent leurs pulsions. Dans Twentynine Palms, le désert ne semble rester désespérément habité que par les obsessions de Dumont, comme s’il était allé voir ailleurs s’il y était et que nous nous voyions contraints de lui révéler la banale réalité : oui, il y est, lui, et rien d’autre.Un long voyage pour par grand-chose, pourra-t-on penser. Mais peut-être aussi une étape nécessaire dans l’évolution d’un cinéaste singulier.
Réalisé
par Bruno Dumont
Avec Samuel Boidin, Adélaïde Leroux
Guerre, romance
1h32
2006
France
De nos jours, dans les Flandres, Demester et de jeunes gars du pays partent soldats dans un conflit lointain. Amoureux de la jeune Barbe, Demester supportait ses moeurs étranges et ses amants. Attendant les soldats, seule en Flandres, Barbe dépérit. Face à ce conflit, Demester se transforme en guerrier. Tragiquement, la guerre exacerbera les sentiments et les liens de ces deux êtres, les menant aux extrémités de leur condition.
Bruno Dumont, scénariste et réalisateur, montre la guerre de manière brute, sauvage, meurtrière et qui ne laisse aucune place aux beaux et bons sentiments. Même l’amour devient viol. Un climat, qui malgré son soleil de plomb, en refroidira plus d’un. Et si le bonheur n’est pas le désert, il n’est pas non plus dans le pré. En Flandres, Dumont n’oublie pas celle qui attend le retour de ses deux hommes. Et comme mises en parallèle, le réalisateur ausculte ces deux nouvelles vies, à la fois éloignées et très proches : au combat, des enfants tués de leurs propres mains, en Flandres, un avortement ; au combat, être fait prisonnier et endurer les pires tortures, en Flandres, se faire interner en hôpital psychiatrique et subir de lourds traitements… De chaque côté, la souffrance, forte, forge. Et Dumont ne l’abrège que dans les dernières minutes de son film. Il laisse ainsi s’échapper quelques lueurs d’espoir avant que le générique de fin ne défile sous nos yeux, silencieux, laissant le spectateur s’interroger : y’a-t-il même eu un seul morceau de musique durant tout le film ?!
Avec Samuel Boidin, Adélaïde Leroux
Guerre, romance
1h32
2006
France
De nos jours, dans les Flandres, Demester et de jeunes gars du pays partent soldats dans un conflit lointain. Amoureux de la jeune Barbe, Demester supportait ses moeurs étranges et ses amants. Attendant les soldats, seule en Flandres, Barbe dépérit. Face à ce conflit, Demester se transforme en guerrier. Tragiquement, la guerre exacerbera les sentiments et les liens de ces deux êtres, les menant aux extrémités de leur condition.
Bruno Dumont, scénariste et réalisateur, montre la guerre de manière brute, sauvage, meurtrière et qui ne laisse aucune place aux beaux et bons sentiments. Même l’amour devient viol. Un climat, qui malgré son soleil de plomb, en refroidira plus d’un. Et si le bonheur n’est pas le désert, il n’est pas non plus dans le pré. En Flandres, Dumont n’oublie pas celle qui attend le retour de ses deux hommes. Et comme mises en parallèle, le réalisateur ausculte ces deux nouvelles vies, à la fois éloignées et très proches : au combat, des enfants tués de leurs propres mains, en Flandres, un avortement ; au combat, être fait prisonnier et endurer les pires tortures, en Flandres, se faire interner en hôpital psychiatrique et subir de lourds traitements… De chaque côté, la souffrance, forte, forge. Et Dumont ne l’abrège que dans les dernières minutes de son film. Il laisse ainsi s’échapper quelques lueurs d’espoir avant que le générique de fin ne défile sous nos yeux, silencieux, laissant le spectateur s’interroger : y’a-t-il même eu un seul morceau de musique durant tout le film ?!
Réalisé
par Bruno Dumont
Avec Julie Sokolowski, Karl Sarafidis
Drame
1h45
2009
France
Choquée par la foi extatique et aveugle d'Hadewijch, une novice, la mère supérieure la met à la porte du couvent. Hadewijch redevient Céline, jeune parisienne et fille de diplomate. Sa passion amoureuse pour Dieu, sa rage et sa rencontre avec Yassine et Nassir l'entraînent, entre grâce et folie, sur des chemins dangereux.
Ce qui captive Dumont, ce philosophe de formation, c'est la profondeur métaphysique du cinéma, le sacré chez l'homme. Hadewijch l'intéresse en ce qu'elle exprime, de façon radieuse, le désir d'aimer et d'être aimée. Transposé à notre époque, le film suit les errances d'une jeune fille d'aujourd'hui, perdue, insoumise, avide d'absolu. Etudiante en théologie, novice dans un couvent, elle prie le Christ, son "bien aimé", et choque les religieuses par sa détermination à se mortifier (peu vêtue en plein froid, abstinence alimentaire). Inapte à la vie monacale aux yeux de l'Eglise (pour laquelle les extatiques ont toujours été suspectes de développer une sexualité indirecte), coupable pour les soeurs de refuser la règle, de se détacher du monde au profit d'un "amour de soi", elle est renvoyée. Hadewijch est l'histoire d'un désir détourné dans la privation, d'un rêve de fusion charnelle si intense qu'il est canalisé sur l'amour d'un Christ impalpable. Redevenue Céline, elle se lie avec un jeune banlieusard arabe, repousse ses avances, accepte de rencontrer son frère qui anime un groupe de réflexion sur l'islam. Convaincue par le prosélyte que "si l'on a la foi, il faut agir", elle se laisse embrigader dans un groupe terroriste. Le périple de Céline passe par ce dévoiement intégriste de la religion, qu'elle renie après un attentat. Ce reniement intervient par une discussion, centrale chez Dumont, sur le visible et l'invisible. Par une prière dans une église, et ces pleurs qu'elle verse volontiers - telles des stations sur un chemin de croix -, en particulier en voyant les victimes d'une bombe au Moyen-Orient. La fin d'Hadewijch rappelle que Bruno Dumont n'est pas homme à livrer les clés de ses films. Ce qui paraît logique ici, en référence à ce qui anime l'héroïne, c'est que le massacre des innocents la ramène à son désir originel. Le corps du Christ manque à la chaste Céline, mais aussi invisible soit-il, il est partout. Chez David, ce détenu que l'on a relâché de prison pour restaurer le toit du cloître, et qu'elle avait perçu comme une possible incarnation de Dieu lors d'une pluie diluvienne, cette eau qui purifie. Image de rédemption, ce voyou sera le corps qu'elle attendait quand elle tente de se noyer et qu'il la sort de la rivière, la serre contre lui. Dans la droite ligne de son film précédent, Flandres, Dumont suggère la faculté à rebondir du péché au rachat, l'étreinte comme un rêve d'union. La mystique, pour Dumont, est une façon de "passer par les apparences du réel pour accéder à une autre dimension". Passer par la chute des corps pour faire apparaître l'âme. En ce sens, Hadewijch est un film rossellinien.
Avec Julie Sokolowski, Karl Sarafidis
Drame
1h45
2009
France
Choquée par la foi extatique et aveugle d'Hadewijch, une novice, la mère supérieure la met à la porte du couvent. Hadewijch redevient Céline, jeune parisienne et fille de diplomate. Sa passion amoureuse pour Dieu, sa rage et sa rencontre avec Yassine et Nassir l'entraînent, entre grâce et folie, sur des chemins dangereux.
Ce qui captive Dumont, ce philosophe de formation, c'est la profondeur métaphysique du cinéma, le sacré chez l'homme. Hadewijch l'intéresse en ce qu'elle exprime, de façon radieuse, le désir d'aimer et d'être aimée. Transposé à notre époque, le film suit les errances d'une jeune fille d'aujourd'hui, perdue, insoumise, avide d'absolu. Etudiante en théologie, novice dans un couvent, elle prie le Christ, son "bien aimé", et choque les religieuses par sa détermination à se mortifier (peu vêtue en plein froid, abstinence alimentaire). Inapte à la vie monacale aux yeux de l'Eglise (pour laquelle les extatiques ont toujours été suspectes de développer une sexualité indirecte), coupable pour les soeurs de refuser la règle, de se détacher du monde au profit d'un "amour de soi", elle est renvoyée. Hadewijch est l'histoire d'un désir détourné dans la privation, d'un rêve de fusion charnelle si intense qu'il est canalisé sur l'amour d'un Christ impalpable. Redevenue Céline, elle se lie avec un jeune banlieusard arabe, repousse ses avances, accepte de rencontrer son frère qui anime un groupe de réflexion sur l'islam. Convaincue par le prosélyte que "si l'on a la foi, il faut agir", elle se laisse embrigader dans un groupe terroriste. Le périple de Céline passe par ce dévoiement intégriste de la religion, qu'elle renie après un attentat. Ce reniement intervient par une discussion, centrale chez Dumont, sur le visible et l'invisible. Par une prière dans une église, et ces pleurs qu'elle verse volontiers - telles des stations sur un chemin de croix -, en particulier en voyant les victimes d'une bombe au Moyen-Orient. La fin d'Hadewijch rappelle que Bruno Dumont n'est pas homme à livrer les clés de ses films. Ce qui paraît logique ici, en référence à ce qui anime l'héroïne, c'est que le massacre des innocents la ramène à son désir originel. Le corps du Christ manque à la chaste Céline, mais aussi invisible soit-il, il est partout. Chez David, ce détenu que l'on a relâché de prison pour restaurer le toit du cloître, et qu'elle avait perçu comme une possible incarnation de Dieu lors d'une pluie diluvienne, cette eau qui purifie. Image de rédemption, ce voyou sera le corps qu'elle attendait quand elle tente de se noyer et qu'il la sort de la rivière, la serre contre lui. Dans la droite ligne de son film précédent, Flandres, Dumont suggère la faculté à rebondir du péché au rachat, l'étreinte comme un rêve d'union. La mystique, pour Dumont, est une façon de "passer par les apparences du réel pour accéder à une autre dimension". Passer par la chute des corps pour faire apparaître l'âme. En ce sens, Hadewijch est un film rossellinien.
Réalisé
par Bruno Dumont
Avec David Dewaele, Alexandra Lematre
Drame
1h49
2011
France
En bord de Manche, sur la Côte d'Opale, près d'un hameau, de ses dunes et ses marais, demeure un gars étrange qui vivote, braconne, prie et fait des feux. Un vagabond venu de nulle part qui, dans un même souffle, chasse le mal d’un village hanté par le démon et met le monde hors Satan.
"Une œuvre d’art est un coin de nature décrit par un tempérament". La citation d’Émile Zola s’applique parfaitement au travail de Bruno Dumont. En six longs métrages, l’ancien professeur de philosophie s’est imposé comme l’un des plus grands auteurs français. De L’Humanité (1999) à Flandres (2006), tous deux primés à Cannes, ses films interpellent par leur exigence, leur profondeur, leur sens du cadrage influencé par les toiles impressionnistes de Monet et Manet, leurs références. Avec Hors Satan, qu’il qualifie de "film écologique", le réalisateur s’interroge sur la notion de spiritualité intrinsèquement liée à la nature et tente une incursion troublante dans le fantastique.
Sur la côte d’Opale, un étranger installe son campement dans les dunes de sable. Chaque jour, il s’agenouille en prière au soleil couchant. Une attitude qui excite la curiosité des habitants du hameau le plus proche. Une mère sollicite son aide : sa fille serait possédée par le démon. Peu à peu, il devient le guérisseur de la communauté. "Je déploie une mise en scène pour magnifier l’ordinaire. Je ne veux pas tout expliquer. Je limite les dialogues, je n’utilise pas de musique. J’éprouve de la considération pour le spectateur. Je le pousse à réfléchir, à ressentir, à s’élever. Aujourd’hui, le cinéma est une attraction pour un public passif. Chez moi, parfois on ne comprend pas tout sur le moment, mais je donne les clés pour la suite, rien n’est gratuit". Son objectif? "Atteindre la simplicité, l’évidence, l’harmonie". Comme à son habitude, Bruno Dumont a planté sa caméra dans la Manche, entre Boulogne-sur-Mer et Calais, où il habite. "Du décor naît l’histoire. J’ai engagé des comédiens non professionnels, des hommes et des femmes au visage marqué par la dureté de l’existence. Leur force, leur courage, leur dignité m’inspirent". De son propre aveu, le cinéaste n’est pas croyant. "On est fasciné par le mal même si, moralement, on le condamne. La religion me pèse, mais j’ai besoin de sacralité".
Avec David Dewaele, Alexandra Lematre
Drame
1h49
2011
France
En bord de Manche, sur la Côte d'Opale, près d'un hameau, de ses dunes et ses marais, demeure un gars étrange qui vivote, braconne, prie et fait des feux. Un vagabond venu de nulle part qui, dans un même souffle, chasse le mal d’un village hanté par le démon et met le monde hors Satan.
"Une œuvre d’art est un coin de nature décrit par un tempérament". La citation d’Émile Zola s’applique parfaitement au travail de Bruno Dumont. En six longs métrages, l’ancien professeur de philosophie s’est imposé comme l’un des plus grands auteurs français. De L’Humanité (1999) à Flandres (2006), tous deux primés à Cannes, ses films interpellent par leur exigence, leur profondeur, leur sens du cadrage influencé par les toiles impressionnistes de Monet et Manet, leurs références. Avec Hors Satan, qu’il qualifie de "film écologique", le réalisateur s’interroge sur la notion de spiritualité intrinsèquement liée à la nature et tente une incursion troublante dans le fantastique.
Sur la côte d’Opale, un étranger installe son campement dans les dunes de sable. Chaque jour, il s’agenouille en prière au soleil couchant. Une attitude qui excite la curiosité des habitants du hameau le plus proche. Une mère sollicite son aide : sa fille serait possédée par le démon. Peu à peu, il devient le guérisseur de la communauté. "Je déploie une mise en scène pour magnifier l’ordinaire. Je ne veux pas tout expliquer. Je limite les dialogues, je n’utilise pas de musique. J’éprouve de la considération pour le spectateur. Je le pousse à réfléchir, à ressentir, à s’élever. Aujourd’hui, le cinéma est une attraction pour un public passif. Chez moi, parfois on ne comprend pas tout sur le moment, mais je donne les clés pour la suite, rien n’est gratuit". Son objectif? "Atteindre la simplicité, l’évidence, l’harmonie". Comme à son habitude, Bruno Dumont a planté sa caméra dans la Manche, entre Boulogne-sur-Mer et Calais, où il habite. "Du décor naît l’histoire. J’ai engagé des comédiens non professionnels, des hommes et des femmes au visage marqué par la dureté de l’existence. Leur force, leur courage, leur dignité m’inspirent". De son propre aveu, le cinéaste n’est pas croyant. "On est fasciné par le mal même si, moralement, on le condamne. La religion me pèse, mais j’ai besoin de sacralité".
Réalisé
par Bruno Dumont
Avec Juliette Binoche, Jean-Luc Vincent, Robert Leroy
Biopic
1h35
2013
France
Hiver 1915. Internée par sa famille dans un asile du sud de la France – là où elle ne sculptera plus – chronique de la vie recluse de Camille Claudel, dans l’attente d’une visite de son frère, Paul Claudel.
C’est grâce à l’actrice Anne Delbée et à son roman Une femme que devint publique puis célèbre l’histoire de Camille Claudel (1864-1943), la sœur aînée de l’écrivain Paul Claudel, artiste statuaire de génie qui fut la maîtresse de Rodin mais passa les trente dernières années de sa vie dans un hôpital psychiatrique provençal où sa famille l’avait fait interner.
En 1988, Bruno Nuytten en proposait une première adaptation au cinéma, avec sa compagne Isabelle Adjani dans le rôle principal et Depardieu dans celui de Rodin. Camille Claudel est devenue aujourd’hui une icône internationale, l’artiste maudite par excellence, le symbole de la bêtise bourgeoise (sa famille qui avait honte de son comportement hors norme et de ses névroses préféra la cacher, loin de Paris), mais aussi de la répression de la créativité artistique chez les femmes. Camille Claudel fut la victime des hommes de son temps qui abusèrent ou profitèrent de son talent (Rodin, notamment, que l’on soupçonne d’avoir plagié ou signé quelques-unes de ses œuvres). Sans trahir cette image, dont il sait qu’elle est connue, Bruno Dumont s’intéresse lui à l’infime, à l’intime, en resserrant au maximum son récit, tout en s’inspirant “librement”, comme l’indique le générique, des œuvres et de la correspondance de Paul Claudel, de celle de Camille Claudel et de ses archives médicales. En 1915, Camille est depuis deux ans l’une des résidentes de l’hôpital psychiatrique de Montdevergues, près d’Avignon, quand le médecin-chef lui annonce que son frère lui a écrit, et qu’il viendra lui rendre visite dans trois jours. Le film va raconter ces trois jours dans la vie de Camille Claudel. Juliette Binoche (sans maquillage mais les cheveux teints) porte la première moitié du film sur ses seules épaules, ou presque. Dumont et l’actrice montrent le plus avec le moins : la cohabitation difficile avec les autres pensionnaires (malades et handicapés mentaux), leurs cris, leurs crises. Camille se sent seule, isolée, voudrait rentrer à Paris, voir sa mère. Souffrant manifestement d’un sentiment de persécution, elle semble pourtant bien moins malade que la plupart des internés. Persuadée qu’on veut l’empoisonner, elle a obtenu la permission de préparer elle-même ses repas. Bruno Dumont filme longuement – dans un style qui oscille entre Bresson et Pialat et fait peu à peu monter l’émotion à force de la faire taire – la vie quotidienne de Camille, les religieuses qui veillent sur les malades (interprétées par les vraies infirmières de l’HP où a été tourné le film), les malades (véritables résidents de l’endroit). Sur ces visages torturés par la maladie mentale, par des années d’angoisse, Bruno Dumont filme la douleur, la folie, l’expression d’un mal interne. Sans apitoiement ni fascination, il dresse des portraits de gens qu’on a souvent, dans la vie courante, du mal à regarder plus de quelques secondes – il est sans doute du devoir des artistes que de montrer de face ce que le regard fuit d’habitude. Binoche est extraordinaire, comme elle sait l’être, mais comme elle ne l’avait pas été depuis Mauvais sang de Leos Carax. Pourtant, cette première partie traîne un peu en longueur, reflet de l’impatience de Camille à revoir Paul. Puis Paul Claudel (Jean-Luc Vincent) arrive en voiture sur les chemins pierreux du Vaucluse, et le film prend son envol. Qu’il confie ses pensées au papier ou à un moine, Claudel est dans une autre forme de folie : Dieu, l’absolu asservissement à son ordre. Il sait que sa sœur est une artiste géniale mais pense que tout ce qui se déroule sur terre (y compris la Première Guerre mondiale) est le fruit de la volonté de Dieu. Que Camille a fréquenté le divin, mais qu’elle n’en reviendra pas. Sa maladie est une fatalité à laquelle personne ne peut rien. La rencontre tant attendue par Camille a enfin lieu. Déchirante, glaçante, elle dure dix minutes. Il faut la voir pour le croire. Deux visions du monde s’opposent. Paul, submergé par l’exubérance d’une Camille dépassée par sa joie de le revoir, ne perçoit pas ou refuse de comprendre ce qu’il y a de raison en elle. Il prend congé comme on s’enfuit. Camille, elle, vivra encore vingt-huit ans dans l’asile de Montdevergues. Avant d’y mourir de faim, victime des restrictions alimentaires imposées par le régime de Vichy à ceux qu’on appelait “les fous”. Sans effet de manches, avec humilité, Dumont réalise son film le plus bouleversant, le plus en empathie avec ses personnages. Et nous touche au plus profond de notre être.
Avec Juliette Binoche, Jean-Luc Vincent, Robert Leroy
Biopic
1h35
2013
France
Hiver 1915. Internée par sa famille dans un asile du sud de la France – là où elle ne sculptera plus – chronique de la vie recluse de Camille Claudel, dans l’attente d’une visite de son frère, Paul Claudel.
C’est grâce à l’actrice Anne Delbée et à son roman Une femme que devint publique puis célèbre l’histoire de Camille Claudel (1864-1943), la sœur aînée de l’écrivain Paul Claudel, artiste statuaire de génie qui fut la maîtresse de Rodin mais passa les trente dernières années de sa vie dans un hôpital psychiatrique provençal où sa famille l’avait fait interner.
En 1988, Bruno Nuytten en proposait une première adaptation au cinéma, avec sa compagne Isabelle Adjani dans le rôle principal et Depardieu dans celui de Rodin. Camille Claudel est devenue aujourd’hui une icône internationale, l’artiste maudite par excellence, le symbole de la bêtise bourgeoise (sa famille qui avait honte de son comportement hors norme et de ses névroses préféra la cacher, loin de Paris), mais aussi de la répression de la créativité artistique chez les femmes. Camille Claudel fut la victime des hommes de son temps qui abusèrent ou profitèrent de son talent (Rodin, notamment, que l’on soupçonne d’avoir plagié ou signé quelques-unes de ses œuvres). Sans trahir cette image, dont il sait qu’elle est connue, Bruno Dumont s’intéresse lui à l’infime, à l’intime, en resserrant au maximum son récit, tout en s’inspirant “librement”, comme l’indique le générique, des œuvres et de la correspondance de Paul Claudel, de celle de Camille Claudel et de ses archives médicales. En 1915, Camille est depuis deux ans l’une des résidentes de l’hôpital psychiatrique de Montdevergues, près d’Avignon, quand le médecin-chef lui annonce que son frère lui a écrit, et qu’il viendra lui rendre visite dans trois jours. Le film va raconter ces trois jours dans la vie de Camille Claudel. Juliette Binoche (sans maquillage mais les cheveux teints) porte la première moitié du film sur ses seules épaules, ou presque. Dumont et l’actrice montrent le plus avec le moins : la cohabitation difficile avec les autres pensionnaires (malades et handicapés mentaux), leurs cris, leurs crises. Camille se sent seule, isolée, voudrait rentrer à Paris, voir sa mère. Souffrant manifestement d’un sentiment de persécution, elle semble pourtant bien moins malade que la plupart des internés. Persuadée qu’on veut l’empoisonner, elle a obtenu la permission de préparer elle-même ses repas. Bruno Dumont filme longuement – dans un style qui oscille entre Bresson et Pialat et fait peu à peu monter l’émotion à force de la faire taire – la vie quotidienne de Camille, les religieuses qui veillent sur les malades (interprétées par les vraies infirmières de l’HP où a été tourné le film), les malades (véritables résidents de l’endroit). Sur ces visages torturés par la maladie mentale, par des années d’angoisse, Bruno Dumont filme la douleur, la folie, l’expression d’un mal interne. Sans apitoiement ni fascination, il dresse des portraits de gens qu’on a souvent, dans la vie courante, du mal à regarder plus de quelques secondes – il est sans doute du devoir des artistes que de montrer de face ce que le regard fuit d’habitude. Binoche est extraordinaire, comme elle sait l’être, mais comme elle ne l’avait pas été depuis Mauvais sang de Leos Carax. Pourtant, cette première partie traîne un peu en longueur, reflet de l’impatience de Camille à revoir Paul. Puis Paul Claudel (Jean-Luc Vincent) arrive en voiture sur les chemins pierreux du Vaucluse, et le film prend son envol. Qu’il confie ses pensées au papier ou à un moine, Claudel est dans une autre forme de folie : Dieu, l’absolu asservissement à son ordre. Il sait que sa sœur est une artiste géniale mais pense que tout ce qui se déroule sur terre (y compris la Première Guerre mondiale) est le fruit de la volonté de Dieu. Que Camille a fréquenté le divin, mais qu’elle n’en reviendra pas. Sa maladie est une fatalité à laquelle personne ne peut rien. La rencontre tant attendue par Camille a enfin lieu. Déchirante, glaçante, elle dure dix minutes. Il faut la voir pour le croire. Deux visions du monde s’opposent. Paul, submergé par l’exubérance d’une Camille dépassée par sa joie de le revoir, ne perçoit pas ou refuse de comprendre ce qu’il y a de raison en elle. Il prend congé comme on s’enfuit. Camille, elle, vivra encore vingt-huit ans dans l’asile de Montdevergues. Avant d’y mourir de faim, victime des restrictions alimentaires imposées par le régime de Vichy à ceux qu’on appelait “les fous”. Sans effet de manches, avec humilité, Dumont réalise son film le plus bouleversant, le plus en empathie avec ses personnages. Et nous touche au plus profond de notre être.
Réalisé
par Bruno Dumont
Avec Fabrice Luchini, Juliette Binoche, Valé&ria Bruni-Tedeschi
Comédie dramatique
2h03
2016
France
Eté 1910, Baie de la Slack dans le Nord de la France. De mystérieuses disparitions mettent en émoi la région. L'improbable inspecteur Machin et son sagace Malfoy (mal)mènent l'enquête. Ils se retrouvent bien malgré eux, au cœur d'une étrange et dévorante histoire d'amour entre Ma Loute, fils ainé d'une famille de pêcheurs aux mœurs bien particulières et Billie de la famille Van Peteghem, riches bourgeois lillois décadents.
Ce film de Bruno Dumont qu'on n'attendait plus, un an et quelques mois après sa présentation à Cannes, n'est pas tout à fait le conte social qu'on croit deviner quand les Brufort voient arriver les Van Peteghem dans la baie de la Slack où ils vivent reclus. D'un côté, des anthropophages un peu demeurés, de l'autre, des bourgeois ridicules, et consanguins, qui s'émerveillent devant ce paysage de dunes sans croire un mot de ce qu'ils disent. Déjouant les attentes, Dumont nous entraîne toujours plus loin dans l'absurde et le burlesque de cette comédie policière hors normes. Le spectateur ne rit pas à s'en taper les cuisses, mais plutôt d'un rire jaune, causant parfois un malaise. On peut admirer la beauté austère des paysages du Nord recréés par le cinéaste, mais on sera surtout happé par la folie contagieuse des personnages que les acteurs ont dû avoir un plaisir fou à incarner. « Quant à mon rôle, je ne me reconnais même pas, je ne me retrouve même pas », écrivait à ce propos Fabrice Luchini dans son livre Comédie française. En effet, ceux qui reprochent, un peu à tort, au brillant acteur de souvent faire du Luchini seront étonnés par son personnage de bossu lunatique au drôle d'accent. Ils ne pourront pas non plus résister à l'Aude Van Peteghem complètement hallucinée que compose une Juliette Binoche survoltée. Ajoutez à cela un duo de policiers maladroits, à mi-chemin entre les Dupond-Dupont et Laurel et Hardy, et une Valeria Bruni Tedeschi qui se permet une ascension miraculeuse. Ainsi que le peu volubile Ma Loute et l'androgyne Billie, les deux personnages les moins tarés du groupe si tant est qu'une telle chose soit possible, défendus avec justesse et sensibilité par deux acteurs inconnus. Leurs amours, si improbables soient-elles, constituent un moment de répit dans la folie ambiante. Excessif dans ses outrances, Ma Loute n'en est pas moins un film original qu'on se plaira à revoir.
C’est là une des forces de Dumont : continuer à être lui-même, à faire un cinéma immédiatement identifiable et qui ne ressemble à rien de ce que produisent ses contemporains, tout en se renouvelant et en étonnant à chaque nouveau film. Dans Ma loute, le même, c’est le Nord, ses trognes et ses accents, ses paysages magnifiques et magnifiquement filmés, voisinant avec la grande peinture sans pour autant se figer dans le picturalisme (on pense parfois à Courbet, celui d’Un enterrement à Ornans, ou à Daumier). Le neuf, c’est le film d’époque (et même Belle époque, l’an 1910 pour être précis), ses chapeaux melon, ses costumes cintrés, ses bourgeois et ses prolétaires un peu cintrés aussi, son capitalisme familial fin de race, ses gueux limite sauvages. Dumont oppose ici deux mondes se côtoyant sans se mélanger, deux familles. A notre droite, les Van Peteghem, grands bourgeois lillois venus en villégiature dans leur manoir sur la colline dominant la baie. A notre gauche, les Brufort, pêcheurs et passeurs de barque miséreux, vivant dans un taudis du bord de mer, les pieds littéralement dans la vase. Ces deux classes sociales sont incarnées par deux familles d’acteurs tout aussi opposées : les stars Binoche, Luchini, Bruni Tedeschi représentent la haute, alors que les ramasseurs de moules et les policiers laurel-et-hardyesques ont été pêchés par Dumont dans son vivier habituel du Pas-de-Calais. Il y a donc lutte des classes latente mais, toujours impavide, Dumont ne choisit pas et passe tous ses protagonistes au tamis d’un burlesque qui côtoie sommets et profondeurs du grotesque : bourgeois d’une arrogance et d’une bêtise frisant la consanguinité, sous-prolétaires carnassiers, flics incompétents, ils sont tous aussi hilarants que monstrueux, évoquant aussi bien les premiers gags ciné des origines à la Mack Sennett que les effets sonores et poétiques d’un Tati en passant par la roborative cruauté de trait d’un Mocky. Match nul entre les nantis bêtes et les gueux bestiaux. Mais dans tous les bestiaires humains de sa filmo, Dumont s’attache toujours à une figure de pureté, à un ou plusieurs personnages qui rédiment la monstruosité environnante, souvent des non-adultes, à l’instar de la mystique de Hadewijch ou du couple de pré-ados de P’tit Quinquin. Ici, la Beauté est représentée par Billie, l’une des filles des Van Peteghem. C’est elle (ou lui car Billie est aussi androgyne que son nom) lui le vrai héros secret du film. Dans ce monde où ça s’observe en chiens de faïence, où ça ne se mélange pas (si ce n’est par le biais de l’exploitation ou de la digestion), où ça dégénère littéralement à force d’entre-soi (qu’il soit grand bourgeois ou prolétaire), la pré-queer Billie est bien sûr une figure de l’ouverture, de la circulation sociale, de la transgression genrée et sexuelle, celui/celle qui remplace la lutte des classes par le grand brassage des individus et des identités multiples, celui/celle qui s’arrache à la prison de l’origine et à l’essentialisme. Et les stars ? Elles se sont bien fait “dumonter”, pour leur plus grand bien. Binoche se lâche dans le registre baronne perchée, elle y va tellement à fond qu’elle en devient géniale, à l’opposé extrême de sa première visite chez Dumont en Camille Claudel. Luchini est désopilant, mais pas dans son histrionisme habituel, en trouvant une sorte de comique à deux neurones. Déjouant aussi les attentes, Bruni Tedeschi est la plus sobre, la moins extravertie, elle fait rire ou émeut d’un mouvement de tête ou de regard, et cette performance en retenue est très forte aussi. Nul hiatus de jeu entre les professionnels et les amateurs, tous unifiés par la vision décidément très puissante de Bruno Dumont, mix unique de dépouillement réaliste et de stylisation outrée, de déjà-vu reconfiguré et de jamais-vu.
Avec Fabrice Luchini, Juliette Binoche, Valé&ria Bruni-Tedeschi
Comédie dramatique
2h03
2016
France
Eté 1910, Baie de la Slack dans le Nord de la France. De mystérieuses disparitions mettent en émoi la région. L'improbable inspecteur Machin et son sagace Malfoy (mal)mènent l'enquête. Ils se retrouvent bien malgré eux, au cœur d'une étrange et dévorante histoire d'amour entre Ma Loute, fils ainé d'une famille de pêcheurs aux mœurs bien particulières et Billie de la famille Van Peteghem, riches bourgeois lillois décadents.
Ce film de Bruno Dumont qu'on n'attendait plus, un an et quelques mois après sa présentation à Cannes, n'est pas tout à fait le conte social qu'on croit deviner quand les Brufort voient arriver les Van Peteghem dans la baie de la Slack où ils vivent reclus. D'un côté, des anthropophages un peu demeurés, de l'autre, des bourgeois ridicules, et consanguins, qui s'émerveillent devant ce paysage de dunes sans croire un mot de ce qu'ils disent. Déjouant les attentes, Dumont nous entraîne toujours plus loin dans l'absurde et le burlesque de cette comédie policière hors normes. Le spectateur ne rit pas à s'en taper les cuisses, mais plutôt d'un rire jaune, causant parfois un malaise. On peut admirer la beauté austère des paysages du Nord recréés par le cinéaste, mais on sera surtout happé par la folie contagieuse des personnages que les acteurs ont dû avoir un plaisir fou à incarner. « Quant à mon rôle, je ne me reconnais même pas, je ne me retrouve même pas », écrivait à ce propos Fabrice Luchini dans son livre Comédie française. En effet, ceux qui reprochent, un peu à tort, au brillant acteur de souvent faire du Luchini seront étonnés par son personnage de bossu lunatique au drôle d'accent. Ils ne pourront pas non plus résister à l'Aude Van Peteghem complètement hallucinée que compose une Juliette Binoche survoltée. Ajoutez à cela un duo de policiers maladroits, à mi-chemin entre les Dupond-Dupont et Laurel et Hardy, et une Valeria Bruni Tedeschi qui se permet une ascension miraculeuse. Ainsi que le peu volubile Ma Loute et l'androgyne Billie, les deux personnages les moins tarés du groupe si tant est qu'une telle chose soit possible, défendus avec justesse et sensibilité par deux acteurs inconnus. Leurs amours, si improbables soient-elles, constituent un moment de répit dans la folie ambiante. Excessif dans ses outrances, Ma Loute n'en est pas moins un film original qu'on se plaira à revoir.
C’est là une des forces de Dumont : continuer à être lui-même, à faire un cinéma immédiatement identifiable et qui ne ressemble à rien de ce que produisent ses contemporains, tout en se renouvelant et en étonnant à chaque nouveau film. Dans Ma loute, le même, c’est le Nord, ses trognes et ses accents, ses paysages magnifiques et magnifiquement filmés, voisinant avec la grande peinture sans pour autant se figer dans le picturalisme (on pense parfois à Courbet, celui d’Un enterrement à Ornans, ou à Daumier). Le neuf, c’est le film d’époque (et même Belle époque, l’an 1910 pour être précis), ses chapeaux melon, ses costumes cintrés, ses bourgeois et ses prolétaires un peu cintrés aussi, son capitalisme familial fin de race, ses gueux limite sauvages. Dumont oppose ici deux mondes se côtoyant sans se mélanger, deux familles. A notre droite, les Van Peteghem, grands bourgeois lillois venus en villégiature dans leur manoir sur la colline dominant la baie. A notre gauche, les Brufort, pêcheurs et passeurs de barque miséreux, vivant dans un taudis du bord de mer, les pieds littéralement dans la vase. Ces deux classes sociales sont incarnées par deux familles d’acteurs tout aussi opposées : les stars Binoche, Luchini, Bruni Tedeschi représentent la haute, alors que les ramasseurs de moules et les policiers laurel-et-hardyesques ont été pêchés par Dumont dans son vivier habituel du Pas-de-Calais. Il y a donc lutte des classes latente mais, toujours impavide, Dumont ne choisit pas et passe tous ses protagonistes au tamis d’un burlesque qui côtoie sommets et profondeurs du grotesque : bourgeois d’une arrogance et d’une bêtise frisant la consanguinité, sous-prolétaires carnassiers, flics incompétents, ils sont tous aussi hilarants que monstrueux, évoquant aussi bien les premiers gags ciné des origines à la Mack Sennett que les effets sonores et poétiques d’un Tati en passant par la roborative cruauté de trait d’un Mocky. Match nul entre les nantis bêtes et les gueux bestiaux. Mais dans tous les bestiaires humains de sa filmo, Dumont s’attache toujours à une figure de pureté, à un ou plusieurs personnages qui rédiment la monstruosité environnante, souvent des non-adultes, à l’instar de la mystique de Hadewijch ou du couple de pré-ados de P’tit Quinquin. Ici, la Beauté est représentée par Billie, l’une des filles des Van Peteghem. C’est elle (ou lui car Billie est aussi androgyne que son nom) lui le vrai héros secret du film. Dans ce monde où ça s’observe en chiens de faïence, où ça ne se mélange pas (si ce n’est par le biais de l’exploitation ou de la digestion), où ça dégénère littéralement à force d’entre-soi (qu’il soit grand bourgeois ou prolétaire), la pré-queer Billie est bien sûr une figure de l’ouverture, de la circulation sociale, de la transgression genrée et sexuelle, celui/celle qui remplace la lutte des classes par le grand brassage des individus et des identités multiples, celui/celle qui s’arrache à la prison de l’origine et à l’essentialisme. Et les stars ? Elles se sont bien fait “dumonter”, pour leur plus grand bien. Binoche se lâche dans le registre baronne perchée, elle y va tellement à fond qu’elle en devient géniale, à l’opposé extrême de sa première visite chez Dumont en Camille Claudel. Luchini est désopilant, mais pas dans son histrionisme habituel, en trouvant une sorte de comique à deux neurones. Déjouant aussi les attentes, Bruni Tedeschi est la plus sobre, la moins extravertie, elle fait rire ou émeut d’un mouvement de tête ou de regard, et cette performance en retenue est très forte aussi. Nul hiatus de jeu entre les professionnels et les amateurs, tous unifiés par la vision décidément très puissante de Bruno Dumont, mix unique de dépouillement réaliste et de stylisation outrée, de déjà-vu reconfiguré et de jamais-vu.
Réalisé
par Bruno Dumont
Avec Lise Leplat Prudhomme, Jeanne Voisin
Drame musical
1h45
2017
France
Domrémy, 1425. Jeannette n’est pas encore Jeanne d’Arc, mais à 8 ans elle veut déjà bouter les anglais hors du royaume de France.
Beaucoup se demanderont ce qui a bien pu passer par la tête de Bruno Dumont, auteur des austères et philosophiques L'humanité ou Hors satan, en réalisant l'adaptation du Mystère de la charité de Jeanne d’Arc (1910) et de Jeanne d’Arc (1897) de Charles Péguy, sous forme de comédie musicale. Il faut dire que l'auteur avait déjà pris le tournant de la comédie absurde, à l'humour par moment très visuel, à la fois avec sa série "P'tit Quinquin" et avec "Ma Loute", où il faisait par exemple voler son inspecteur, à la manière d'un ballon de baudruche...
Ici Bruno Dumont s'amuse à créer d'emblée un décalage, entre les contrées ventées (des étranges ruisseaux encaissés dans des arrières des paysages dunaires) et l'austérité des textes déclamés ou chantés. Il oppose également l'époque supposée moyen-âgeuse et la BO électro-pop-rock signée Gautier Serre, alias Igorrr, et l'aspect nature et rude des personnages, en leur imposant des chorégraphies improbables et géométriques signées Philippe Decouflé. Du coup chacun sera libre de réagir (voire de rire) face à ces apparitions de saints dans des arbres, des nonnes aux mouvements de cheveux façon hard-rockeurs, les soudaines parties en slam...
L'unité graphique et épurée des lieux sied donc parfaitement aux textes, convoquant prières et différentes rencontres, menant Jeanne à sa décision de partir. Dumont joue en permanence sur la surprise et réussit à dérouter de bout en bout. Certains seront peut-être allergiques, mais d'autres se laisseront bercer par les envolées de jeunes actrices aux textes difficiles, mais malheureusement pas toutes égales en voix (l'amie Hauviette et les deux Madame Gervaise étant particulièrement intéressantes). Tous pourront en tous cas sourire aux bêlements des moutons qui marquent le début et la fin de certains chants. Un film ovni, sensoriel et déroutant.
Avec Lise Leplat Prudhomme, Jeanne Voisin
Drame musical
1h45
2017
France
Domrémy, 1425. Jeannette n’est pas encore Jeanne d’Arc, mais à 8 ans elle veut déjà bouter les anglais hors du royaume de France.
Beaucoup se demanderont ce qui a bien pu passer par la tête de Bruno Dumont, auteur des austères et philosophiques L'humanité ou Hors satan, en réalisant l'adaptation du Mystère de la charité de Jeanne d’Arc (1910) et de Jeanne d’Arc (1897) de Charles Péguy, sous forme de comédie musicale. Il faut dire que l'auteur avait déjà pris le tournant de la comédie absurde, à l'humour par moment très visuel, à la fois avec sa série "P'tit Quinquin" et avec "Ma Loute", où il faisait par exemple voler son inspecteur, à la manière d'un ballon de baudruche...
Ici Bruno Dumont s'amuse à créer d'emblée un décalage, entre les contrées ventées (des étranges ruisseaux encaissés dans des arrières des paysages dunaires) et l'austérité des textes déclamés ou chantés. Il oppose également l'époque supposée moyen-âgeuse et la BO électro-pop-rock signée Gautier Serre, alias Igorrr, et l'aspect nature et rude des personnages, en leur imposant des chorégraphies improbables et géométriques signées Philippe Decouflé. Du coup chacun sera libre de réagir (voire de rire) face à ces apparitions de saints dans des arbres, des nonnes aux mouvements de cheveux façon hard-rockeurs, les soudaines parties en slam...
L'unité graphique et épurée des lieux sied donc parfaitement aux textes, convoquant prières et différentes rencontres, menant Jeanne à sa décision de partir. Dumont joue en permanence sur la surprise et réussit à dérouter de bout en bout. Certains seront peut-être allergiques, mais d'autres se laisseront bercer par les envolées de jeunes actrices aux textes difficiles, mais malheureusement pas toutes égales en voix (l'amie Hauviette et les deux Madame Gervaise étant particulièrement intéressantes). Tous pourront en tous cas sourire aux bêlements des moutons qui marquent le début et la fin de certains chants. Un film ovni, sensoriel et déroutant.
Réalisé
par Bruno Dumont
Avec Lise Leplat Prudhomme, Fabrice Luchini.
Drame historique
2h18
2019
France
Année 1429. La Guerre de Cent Ans fait rage. Jeanne, investie d’une mission guerrière et spirituelle, délivre la ville d’Orléans et remet le Dauphin sur le trône de France. Elle part ensuite livrer bataille à Paris où elle subit sa première défaite. Emprisonnée à Compiègne par les Bourguignons, elle est livrée aux Anglais. S’ouvre alors son procès à Rouen, mené par Pierre Cauchon qui cherche à lui ôter toute crédibilité. Fidèle à sa mission et refusant de reconnaître les accusations de sorcellerie diligentées contre elle, Jeanne est condamnée au bûcher pour hérésie.
Pour les amateurs du premier volet de la vie de Jeanne d’Arc racontée par Bruno Dumont à partir de Charles Péguy ("Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc"), ce film constituera un beau final, qui parvient à continuer, sans répéter ou trahir, l’entreprise cinématographique du premier volet. En effet, les chansons y sont toujours présentes, mais intégrées de façon nouvelle au récit. Et le travail de Christophe, qui apparaît d’ailleurs pour chanter lui même une de ses compositions à la fin du film, est louable. Un travail en réalité de deux hommes, dans l’adaptation, ou comme se plaît à le dire Bruno Dumont, la « transposition ».
Avec son rythme, ses dialogues et sa direction d’acteurs si particulière, le film de Bruno Dumont propose une nouvelle définition du spirituel. Bien que Jeanne soit hautement religieuse, et que l’Église en tant qu’institution soit présente tout au long du film, c’est un spirituel autre, proprement cinématographique, que Bruno Dumont élabore. En effet, il se sert de la mise en scène et de tous les outils spécifiques de son média, les sorties et entrées de champ, les plongées et contre plongées, les grands angles qui isolent les sujets, et même le numérique qui découpe les corps et permet de un jeu très précis sur les textures, pour proposer un au-delà de l’image.
Bruno Dumont cherche aussi à moderniser sa Jeanne. D’une part, il confie une nouvelle fois le rôle à Lise Leplat Prudhomme, qui jouait la plus jeune Jeanne de son précédent film. La puissance du regard de la jeune actrice, son petit corps face à ceux de ses anciens adjudants et de ses juges, lui donne d’autant plus de puissance quand elle apparaît seule et isolée, aussi bien sur l’immense dallage de la cathédral d’Amiens que dans les dunes de la Normandie, parsemées de blockhaus, ultime prison de la jeune fille. Le réalisateur met également en scène avec une grande justesse le doute et l’inquiétude, que vient supplanter la peur, dans le cœur de la jeune fille, qui tente de ne pas perdre confiance.
Jeanne est un film lent, très lent. Il est à aborder comme une expérience cinématographique, un essai sur le sacré. Trois moments de mise en scène sont particulièrement touchants et signifiants et permettent de mieux comprendre la démarche de Bruno Dumont. Il s’agit d’abord de la première chanson du film, qui est supportée par un long plan séquence, en contre plongée, sur Jeanne fixant la caméra, son regard transperçant le ciel. A cette première scène musicale vient répondre l’ultime réquisitoire du procès, chanté par le compositeur lui-même, Christophe (incarnant Guillaume Evrard). Le texte, directement adapté des mots de Péguy, est saisissant. Enfin, dans le premier tiers du film, Bruno Dumont décide de filmer une scène de bataille, le ballet des corps, d’une manière sublime et complètement inédite. Une scène qui bénéficie d’une vraie performance des participants et d’un grand sens du montage et des cadres pour magnifier l’action.
Avec Lise Leplat Prudhomme, Fabrice Luchini.
Drame historique
2h18
2019
France
Année 1429. La Guerre de Cent Ans fait rage. Jeanne, investie d’une mission guerrière et spirituelle, délivre la ville d’Orléans et remet le Dauphin sur le trône de France. Elle part ensuite livrer bataille à Paris où elle subit sa première défaite. Emprisonnée à Compiègne par les Bourguignons, elle est livrée aux Anglais. S’ouvre alors son procès à Rouen, mené par Pierre Cauchon qui cherche à lui ôter toute crédibilité. Fidèle à sa mission et refusant de reconnaître les accusations de sorcellerie diligentées contre elle, Jeanne est condamnée au bûcher pour hérésie.
Pour les amateurs du premier volet de la vie de Jeanne d’Arc racontée par Bruno Dumont à partir de Charles Péguy ("Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc"), ce film constituera un beau final, qui parvient à continuer, sans répéter ou trahir, l’entreprise cinématographique du premier volet. En effet, les chansons y sont toujours présentes, mais intégrées de façon nouvelle au récit. Et le travail de Christophe, qui apparaît d’ailleurs pour chanter lui même une de ses compositions à la fin du film, est louable. Un travail en réalité de deux hommes, dans l’adaptation, ou comme se plaît à le dire Bruno Dumont, la « transposition ».
Avec son rythme, ses dialogues et sa direction d’acteurs si particulière, le film de Bruno Dumont propose une nouvelle définition du spirituel. Bien que Jeanne soit hautement religieuse, et que l’Église en tant qu’institution soit présente tout au long du film, c’est un spirituel autre, proprement cinématographique, que Bruno Dumont élabore. En effet, il se sert de la mise en scène et de tous les outils spécifiques de son média, les sorties et entrées de champ, les plongées et contre plongées, les grands angles qui isolent les sujets, et même le numérique qui découpe les corps et permet de un jeu très précis sur les textures, pour proposer un au-delà de l’image.
Bruno Dumont cherche aussi à moderniser sa Jeanne. D’une part, il confie une nouvelle fois le rôle à Lise Leplat Prudhomme, qui jouait la plus jeune Jeanne de son précédent film. La puissance du regard de la jeune actrice, son petit corps face à ceux de ses anciens adjudants et de ses juges, lui donne d’autant plus de puissance quand elle apparaît seule et isolée, aussi bien sur l’immense dallage de la cathédral d’Amiens que dans les dunes de la Normandie, parsemées de blockhaus, ultime prison de la jeune fille. Le réalisateur met également en scène avec une grande justesse le doute et l’inquiétude, que vient supplanter la peur, dans le cœur de la jeune fille, qui tente de ne pas perdre confiance.
Jeanne est un film lent, très lent. Il est à aborder comme une expérience cinématographique, un essai sur le sacré. Trois moments de mise en scène sont particulièrement touchants et signifiants et permettent de mieux comprendre la démarche de Bruno Dumont. Il s’agit d’abord de la première chanson du film, qui est supportée par un long plan séquence, en contre plongée, sur Jeanne fixant la caméra, son regard transperçant le ciel. A cette première scène musicale vient répondre l’ultime réquisitoire du procès, chanté par le compositeur lui-même, Christophe (incarnant Guillaume Evrard). Le texte, directement adapté des mots de Péguy, est saisissant. Enfin, dans le premier tiers du film, Bruno Dumont décide de filmer une scène de bataille, le ballet des corps, d’une manière sublime et complètement inédite. Une scène qui bénéficie d’une vraie performance des participants et d’un grand sens du montage et des cadres pour magnifier l’action.
Réalisé
par Bruno Dumont
Avec Léa Seydoux, Benjamin Biolay, Julianne Köhler, Blanche Gardin
Comédie dramatique
2h14
2021
France
« France » est à la fois le portrait d’une femme, journaliste à la télévision, d’un pays, le nôtre, et d’un système, celui des médias.
La scène initiale ancre d’emblée France dans une double impureté (mélange des registres et images truquées) qui constitue le principal intérêt d’un ensemble par ailleurs très hétéroclite et inégal. Le réalisateur met son humour noir au service d’une exploration de l’envers du décor et dresse un parallèle assez glaçant entre fabrique de l’information et fabrique du comique (importance du rythme, utilisation du champ-contrechamp, effets de décalage et de répétition, etc.), notamment dans une scène qui montre France face à des chefs touaregs armés jusqu’aux dents, invités à prendre la pose pour enregistrer des plans de coupe. À mi-chemin, le réalisateur semble pourtant se désintéresser de ce qui aurait pu rester jusqu’au bout une comédie efficace et balisée, mordante mais dépourvue d’aspérités. Cet autre film, que l’on pourrait qualifier de plus « psychologique », reste paradoxalement toujours en surface et se résume à un plan récurrent : un très lent travelling sur le visage de Léa Seydoux, accompagné d’une musique sourde et mélancolique. Un plan qui est à la fois le signe d’un échec (Dumont répète le même procédé sans jamais accéder à ce qui se cache sous la surface diaphane du visage de Léa Seydoux) et l’expression d’un beau problème : qui est véritablement ce personnage qui occupe l’écran à chaque instant ? C’est sans doute là que se trouve la plus belle articulation d’un récit par ailleurs très imparfait : la comédie vire au tragique dès lors que l’objet de la satire s’aperçoit en cours de route de sa propre inconsistance. Au seuil du film, la superposition de la silhouette de Léa Seydoux aux images d’Emmanuel Macron venait certes appuyer l’efficacité comique et le caractère allégorique du propos, mais elle signalait aussi la nature résolument fictionnelle de France de Meurs, figure tragique condamnée à épouser les contours d’une illusion dont elle fait chaque jour commerce.
Avec Léa Seydoux, Benjamin Biolay, Julianne Köhler, Blanche Gardin
Comédie dramatique
2h14
2021
France
« France » est à la fois le portrait d’une femme, journaliste à la télévision, d’un pays, le nôtre, et d’un système, celui des médias.
La scène initiale ancre d’emblée France dans une double impureté (mélange des registres et images truquées) qui constitue le principal intérêt d’un ensemble par ailleurs très hétéroclite et inégal. Le réalisateur met son humour noir au service d’une exploration de l’envers du décor et dresse un parallèle assez glaçant entre fabrique de l’information et fabrique du comique (importance du rythme, utilisation du champ-contrechamp, effets de décalage et de répétition, etc.), notamment dans une scène qui montre France face à des chefs touaregs armés jusqu’aux dents, invités à prendre la pose pour enregistrer des plans de coupe. À mi-chemin, le réalisateur semble pourtant se désintéresser de ce qui aurait pu rester jusqu’au bout une comédie efficace et balisée, mordante mais dépourvue d’aspérités. Cet autre film, que l’on pourrait qualifier de plus « psychologique », reste paradoxalement toujours en surface et se résume à un plan récurrent : un très lent travelling sur le visage de Léa Seydoux, accompagné d’une musique sourde et mélancolique. Un plan qui est à la fois le signe d’un échec (Dumont répète le même procédé sans jamais accéder à ce qui se cache sous la surface diaphane du visage de Léa Seydoux) et l’expression d’un beau problème : qui est véritablement ce personnage qui occupe l’écran à chaque instant ? C’est sans doute là que se trouve la plus belle articulation d’un récit par ailleurs très imparfait : la comédie vire au tragique dès lors que l’objet de la satire s’aperçoit en cours de route de sa propre inconsistance. Au seuil du film, la superposition de la silhouette de Léa Seydoux aux images d’Emmanuel Macron venait certes appuyer l’efficacité comique et le caractère allégorique du propos, mais elle signalait aussi la nature résolument fictionnelle de France de Meurs, figure tragique condamnée à épouser les contours d’une illusion dont elle fait chaque jour commerce.
Réalisé
par Bruno Dumont
Avec Lyna Khoudri, Anamaria Vartolomei, Bernard Pruvost, Fabrice Luchini, Lily-Rose Depp, Virginie Efira, Camille Cottin
Comédie, Science-fiction
1h50
2024
France
Côte d'Opale, nord de la France. Dans un paisible et pittoresque village de pêcheurs, un événement se produit enfin : un bébé spécial naît. Un enfant si unique et si particulier qu'il déclenche une guerre secrète entre les forces extraterrestres du bien et du mal.
On retrouve cette région du Boulonnais si chère à Dumont, dunes, cratères, villages, et plages, on retrouve ses habitants, parmi lesquels le cinéaste a sélectionné une poignée d’acteurs non professionnels avec leurs têtes blondes et leur accent du nord - certains sont familiers, notamment le fameux duo burlesque des gendarmes de Ptit Quinquin. On retrouve aussi l’autre versant : ce goût de Dumont pour des acteurs professionnels très grand cinéma français, en l’occurrence Camille Cottin joue la grande prêtresse du Bien, tandis que Fabrice Luchini interprète le Mal en personne. Dumont radicalise une tendance qu’il avait plusieurs fois effleurée ces derniers temps, en livrant un vrai film de science-fiction, une guerre des étoiles avec effets spéciaux, sabres lasers, vaisseaux, cavalcades, et cette lutte fondamentale entre forces lumineuses et forces obscures. Bref, un film de genre. Le problème de ce film, et peut-être de Dumont, c’est qu’on se demande un peu tout le temps où et comment il se situe dans le rapport au genre et à ce qu’il véhicule comme idéologie ; cette lutte entre le bien et le mal, qu’est-ce que ça veut dire pour lui : est-ce qu’il observe ce manichéisme avec distance - celle de la parodie - ou est-ce qu’il adhère, en mystique (on sait qu’il l’est) à cette histoire de combat fondamental qui travaille l’humanité. Le genre, ça marche si on est sérieux, dès lors qu’on soupçonne quelque chose de l’ordre de la satire, le système s’effondre avec la cohérence de l’univers proposé. Il se trouve par ailleurs que ça fait des années que le cinéma de genre hollywoodien, les Stars Wars et autres Gardiens de la galaxie sont tous remplis d’ironie, de parodie et de références : le méta est partout. Dumont, jouant avec la pop culture, arrive comme du méta de méta, de quoi donner un peu le tournis, ou le classer complètement hors-sol. Résultat : prise au premier degré, cette fable n’est pas passionnante, le récit est plutôt plat, très linéaire avec ce manichéisme qui structure le récit et son personnel. Prise au second degré, on bute sur ce problème de posture, qui est quasi un problème éthique : où est le maître du jeu, est-ce qu’il joue tout seul avec des gadgets de cinéma, est-ce qu’il ne se ficherait pas un peu de nous ? Bref, le soupçon d’un substrat cynique et antimoderne un peu désagréable, qu’on pressentait déjà dans France, se confirme notamment à l’endroit des personnages féminins. Là, le film perd en singularité ce qu’il accumule d’un mépris par ailleurs bien répandu du progressisme contemporain. Reste du Dumont étrange et déstabilisant qu’on aime des choses somme toutes artificielles, qui relèvent moins du récit et de la mise en scène que de motifs éparpillés çà et là : un décor, une gestuelle burlesque, un accent, un décalage, des choses qu’on retrouve avec plaisir, mais sans le choc d’absurdité ou de beauté esthétique dont on le sait capable.
Avec Lyna Khoudri, Anamaria Vartolomei, Bernard Pruvost, Fabrice Luchini, Lily-Rose Depp, Virginie Efira, Camille Cottin
Comédie, Science-fiction
1h50
2024
France
Côte d'Opale, nord de la France. Dans un paisible et pittoresque village de pêcheurs, un événement se produit enfin : un bébé spécial naît. Un enfant si unique et si particulier qu'il déclenche une guerre secrète entre les forces extraterrestres du bien et du mal.
On retrouve cette région du Boulonnais si chère à Dumont, dunes, cratères, villages, et plages, on retrouve ses habitants, parmi lesquels le cinéaste a sélectionné une poignée d’acteurs non professionnels avec leurs têtes blondes et leur accent du nord - certains sont familiers, notamment le fameux duo burlesque des gendarmes de Ptit Quinquin. On retrouve aussi l’autre versant : ce goût de Dumont pour des acteurs professionnels très grand cinéma français, en l’occurrence Camille Cottin joue la grande prêtresse du Bien, tandis que Fabrice Luchini interprète le Mal en personne. Dumont radicalise une tendance qu’il avait plusieurs fois effleurée ces derniers temps, en livrant un vrai film de science-fiction, une guerre des étoiles avec effets spéciaux, sabres lasers, vaisseaux, cavalcades, et cette lutte fondamentale entre forces lumineuses et forces obscures. Bref, un film de genre. Le problème de ce film, et peut-être de Dumont, c’est qu’on se demande un peu tout le temps où et comment il se situe dans le rapport au genre et à ce qu’il véhicule comme idéologie ; cette lutte entre le bien et le mal, qu’est-ce que ça veut dire pour lui : est-ce qu’il observe ce manichéisme avec distance - celle de la parodie - ou est-ce qu’il adhère, en mystique (on sait qu’il l’est) à cette histoire de combat fondamental qui travaille l’humanité. Le genre, ça marche si on est sérieux, dès lors qu’on soupçonne quelque chose de l’ordre de la satire, le système s’effondre avec la cohérence de l’univers proposé. Il se trouve par ailleurs que ça fait des années que le cinéma de genre hollywoodien, les Stars Wars et autres Gardiens de la galaxie sont tous remplis d’ironie, de parodie et de références : le méta est partout. Dumont, jouant avec la pop culture, arrive comme du méta de méta, de quoi donner un peu le tournis, ou le classer complètement hors-sol. Résultat : prise au premier degré, cette fable n’est pas passionnante, le récit est plutôt plat, très linéaire avec ce manichéisme qui structure le récit et son personnel. Prise au second degré, on bute sur ce problème de posture, qui est quasi un problème éthique : où est le maître du jeu, est-ce qu’il joue tout seul avec des gadgets de cinéma, est-ce qu’il ne se ficherait pas un peu de nous ? Bref, le soupçon d’un substrat cynique et antimoderne un peu désagréable, qu’on pressentait déjà dans France, se confirme notamment à l’endroit des personnages féminins. Là, le film perd en singularité ce qu’il accumule d’un mépris par ailleurs bien répandu du progressisme contemporain. Reste du Dumont étrange et déstabilisant qu’on aime des choses somme toutes artificielles, qui relèvent moins du récit et de la mise en scène que de motifs éparpillés çà et là : un décor, une gestuelle burlesque, un accent, un décalage, des choses qu’on retrouve avec plaisir, mais sans le choc d’absurdité ou de beauté esthétique dont on le sait capable.