15 juil. 2025

Jafar Panahi

Cinéaste iranien, 1960








Le ballon blanc
Bâdkonak-e sefid (بادکنک سفید)
Réalisé par Jafar Panahi
Avec Aida Mohammadkhani, Mohsen Kafili, Fereshteh Sadr Orafai
Film iranien
Genre : comédie dramatique
Durée : 1h25
Année : 1995
Dans les rues bondées de Téhéran, une petite fille part à la recherche d'un poisson rouge pour célébrer le nouvel an iranien. Elle va perdre l'argent que sa mère lui a confié et faire de nombreuses rencontres.
Jafar Panahi a été assistant-réalisateur du dernier film d'Abbas Kiarostami, AU TRAVERS DES OLIVIERS. Au nom de leur récente amitié, le célèbre cinéaste lui a proposé d'écrire le scénario de son premier film. Résultat: une œuvre d'une simplicité désarmante au charme irrésistible. A partir d'un canevas d'une minceur stupéfiante, les auteurs parviennent sans peine à soutenir tout au long l'intérêt du spectateur. L'action en temps réel, une heure vingt-cinq minutes avant le nouvel an, contribue assurément à cet état de fait, en installant un suspense d'une réelle efficacité. Par ailleurs, les déboires de cette petite fille imprudente, paniquée à l'idée d'affronter la colère de sa mère si elle revient bredouille à la maison, ont comme toile de fond une savoureuse peinture de mœurs de la société iranienne, dans laquelle certaines situations loufoques confinent à l'absurde. La réalisation souple et aérée laisse une large place à l'improvisation, ce qui n'empêche pas la caméra de traquer sans relâche les différentes expressions qui se lisent sur l'attachante frimousse de la jeune héroïne.

Le miroir
(آینه, Ayneh)
Réalisé par Jafar Panahi
Avec Aida Mohammadkhani, Mina Mohammad Khani, Kazem Mojdehi, Naser Omouni, Mohtaram Shirzad, Jafar Panahi, Tahereh Samadpour
Film iranien
Genre : drame
Durée : 1h34
Année : 1997
Mina a 7 ans, elle vit à Téhéran. Un soir, à la sortie de l’école, personne ne vient la chercher. Face à l’indifférence des adultes, elle cherche son chemin toute seule dans la grande ville bouillonnante. Elle ne connaît pas son adresse, mais se met en quête des repères familiers qu’elle pourrait retrouver en se remémorant les détails du trajet effectué quotidiennement avec sa mère et en questionnant inlassablement les adultes qui l’entourent. Mais Mina n’est pas une enfant ordinaire car c’est aussi une jeune actrice, celle du film de Jafar Panahi qui se tourne sous nos yeux sans que nous ne nous en rendions compte.
Le Miroir est un film incroyable. Il est une proposition de cinéma rare et fascinante. Il invite le spectateur, tel Alice au pays des mollahs, à traverser le miroir. Miroir de l’enfance, miroir de la société iranienne si complexe et lointaine qu’elle nous est fondamentalement étrangère. Et également miroir du cinéma et de sa fabrication, car dans un dispositif que nous ne révélerons pas ici le film propose une réflexion unique sur ce qu’est faire du cinéma. C’est donc un voyage à la rencontre d’un pays, d’une culture, d’une langue que l’on proposera ici en emmenant des jeunes spectateurs découvrir ce film, qui suscitera forcément débat et discussion. Jafar Panahi est un cinéaste phare de la Nouvelle Vague iranienne, mais également figure importante de  l’opposition au régime, qui l’a souvent empêché de tourner ou de sortir ses films dans son propre pays. Alors que les œuvres de Panahi sont systématiquement primées dans les grands festivals internationaux, elles sont aujourd’hui interdites en Iran. Tournant ses films en secret, il a inventé la technique de la double  équipe de tournage. La première est un leurre qui prend en cas de danger la place de la deuxième, la vraie, qui tourne dans la clandestinité. Emprisonné en 2010, il a été condamné et interdit de faire des films. C’est à ce titre qu’il faut lire Le Miroir comme le portrait d’une enfant en résistance contre les injustices que la société iranienne charrie et notamment celles qui touchent violemment les femmes.

Le cercle
(دایره, Dayereh)
Réalisé par Jafar Panahi
Avec Myriam Parvin Almani, Nargess Mamizadeh, Fatemeh Naghavi
Film iranien, italien, suisse
Genre : drame
Durée : 1h30
Année : 2000
En suivant le destin de six femmes en temps réel, ce film aborde divers thèmes tels que la fugue des mineurs, la polygamie, l’avortement, l’abandon et la prostitution, mettant ainsi en évidence la violence et les discriminations auxquelles les femmes sont confrontées en vertu de la loi islamique en Iran.
Film charnière dans la filmographie de Jafar Panahi, Le Cercle, son troisième long métrage, le voit s’affranchir des « films d’enfants » et de l’influence d’Abbas Kiarostami pour aborder frontalement la problématique de la condition des femmes en Iran. Plusieurs destins s’entrelacent : d’anciennes détenues, des mères célibataires, des prostituées courent, fuient, se cachent. Servi par une mise en scène vertigineuse et des actrices admirables, le film dénonce le joug patriarcal auquel doivent se soumettre quotidiennement ces femmes. À l’aide d’une boucle narrative inexorable qui se déroule sur une journée, Jafar Panahi fait surgir des figures autrement noyées à jamais dans la masse. C’est à partir de ce film que Panahi est considéré par les autorités iraniennes comme un cinéaste à surveiller et elles feront tout pour que le tournage n’ait pas lieu. « Au lieu d’en débattre, le régime enfouit ces plaies sociales sous le couvercle du silence, analyse Panahi. Mon devoir de cinéaste m’imposait de les traiter. Je l’ai fait. »
Le film a obtenu le Lion d’or à la Mostra de Venise en 2000.

Sang et or
(طلای سرخ, Talāye sorkh)
Réalisé par Jafar Panahi
Avec Hossain Emadeddin, Kamyar Sheisi
Film iranien
Genre : drame, thriller
Durée : 1h37
Année : 2003
A Téhéran, Hussein abat le propriétaire d'une bijouterie d'un coup de revolver avant de retourner l'arme contre lui. Quelques jours plus tôt... Ce modeste livreur de pizzas s'extasie devant un sac rempli de billets de banque trouvé par son ami Ali. L'espace d'une nuit, Hussein va connaître la vie de luxe que son salaire de misère ne pourrait jamais le laisser entrevoir. Au matin, il retourne à la bijouterie.
Interdit de diffusion publique ou privée en Iran en raison de sa critique de la société iranienne sous le régime des Mollahs, le film n'en est pas moins un succès critique et gagne des prix dans plusieurs festivals internationaux comme le Festival de Cannes ou le Festival international du film de Valladolid.
C’est par une formidable scène-choc que débute Sang et or de l’iranien Jafar Panahi, tiré d’un magnifique scénario de son ami et compatriote Abbas Kiarostami (comme cela avait déjà été le cas pour son premier film, Le ballon blanc, en 1995), dont il fut l’assistant sur le tournage d’Au travers des oliviers.
 Lors de la phénoménale séquence d’ouverture, dans laquelle Panahi joue avec les différents niveaux de plans, un homme de forte carrure (Hussein) braque une bijouterie des beaux quartiers de Téhéran, alors que son complice Ali fait le guet dans la rue. Piégé par le système de sécurité actionné par le gérant, Hussein se retrouve enfermé dans la boutique. Il abat alors le propriétaire et se donne la mort.
 C’est à partir d’un fait divers lu dans un journal que Kiarostami a écrit son scénario. Dans Sang et or, qui clôturait la sélection Un Certain Regard du Festival de Cannes 2003 et a remporté le Prix du Jury, Panahi s’est intéressé aux raisons qui ont pu pousser le braqueur à retourner son arme contre lui. Débute alors un long flash-back revenant sur les dernières heures de Hussein.
 Mais ce flash-back n’est pas immédiatement évident pour le spectateur, puisque l’on voit la fin de la séquence du braquage, lors de laquelle Ali s’enfuit en mobylette, aussitôt suivie d’une autre séquence (en simple raccord) où Ali finit son trajet en mobylette pour rejoindre dans un café... son ami Hussein qui l’attend ! Ali lui apporte un sac à main, dans lequel ils découvrent quelques babioles, ainsi qu’un reçu du paiement d’un collier dont le montant (quelques chiffres suivis d’une myriade de zéros !) dépasse l’entendement de nos deux anti-héros, beautiful losers, qui vivent plus que chichement de leur métier de livreur de pizzas à mobylette.
C’est sur cette opposition entre riches et pauvres que va se construire le film, avec de nombreux allers-retours entre le haut (les quartiers riches) et le bas de la ville. Panahi dresse d’ailleurs une belle topographie de Téhéran (avec ses travellings lors des trajets en mobylette, les vues aériennes de la terrasse d’un duplex, les rues qui montent vers la bijouterie...).
 En plus de celle d’ouverture, on se souviendra de deux autres scènes magnifiques. Dans la première, Hussein doit livrer des pizzas dans la ville haute, dans un appartement au-dessous duquel a lieu une soirée privée. Mais le quartier est bouclé par l’armée qui attend que les convives sortent un par un pour les arrêter. Ne pouvant donc approcher l’immeuble où il doit livrer ses pizza, Hussein essaie de faire comprendre aux forces de l’ordre qu’elles l’empêchent d’effectuer son travail déjà assez difficile comme ça. Puis il abdique et attend. Mais voyant ses pizzas refroidir et sur le point d’être perdues, il va les distribuer aux jeunes soldats et autres personnages qui se trouvent dans la rue ! Dans cette scène, Panahi nous montre avec beaucoup de finesse que Hussein a un cœur gros comme ça et nous rappelle que danser et boire de l’alcool en Iran est répréhensible par la loi.
 Lors d’une autre séquence, Hussein livre des pizzas chez un riche fils à papa  aux relations amoureuses tumultueuses (l’appartement se situe dans la ville haute et, qui plus est, au 18ème étage d’un immeuble luxueux). Grâce à de sublimes mouvements de caméra, Panahi nous fait découvrir en même temps qu’Hussein l’appartement somptueux, dont la décoration en dit énormément sur les propriétaires (réfrigérateur immense, électro-ménager et hi-fi dernier cri, piano à queue, salle de musculation et piscine avec fontaine, terrasse immense dominant toute la ville... constituent ce duplex de nouveaux riches, dans lequel évolue Hussein comme un pachyderme fatigué dans une boutique de porcelaine).
 C’est d’ailleurs ce qui frappe chez Hussein. Ce contraste entre sa large silhouette et son visage gonflé par la cortisone et ses pensées existentielles résultant de sa lucidité sur la place misérable qu’il occupe dans la société iranienne. Celui qui ressemble à une forteresse humaine a aussi une âme. En le voyant, on ne peut s’empêcher de penser au personnage de Forest Whitaker dans Ghost Dog de Jim Jarmusch. Humilié à plusieurs reprises, Hussein semble encaisser les coups, mais devient de plus en plus écœuré par sa misère qui le sépare du monde des riches et prend pleinement conscience qu’il fait partie du camp des faibles, ceux qui montent les étages à pied.
A force d’humiliations, Hussein perd peu à peu son honneur, sa dignité. Or, que reste-t-il à celui qui ne possède rien, quand son honneur est bafoué ?

Hors jeu
(آفساید, Afsaid)
Réalisé par Jafar Panahi
Avec Sima Mobarak Shahi, Safdar Samandar
Film iranien
Genre : comédie dramatique
Durée : 1h28
Année : 2006

8 Mai 2006 : l’Iran est en passe de se qualifier pour la coupe du monde de football. Un car de supporters déchaînés est en route vers le stade. Une fille déguisée en garçon s’est discrètement glissée parmi eux elle ne sera pas la seule à tenter de transgresser l’interdiction faite aux femmes d’assister aux manifestations sportives. A l’entrée du stade, elle est démasquée et confiée à la brigade des mœurs qui devra décider de son sort. Enfermée dans un enclos improvisé, elle est très vite rejointe par d’autres filles. Ensemble, elles refusent d’abandonner et usent de toutes les techniques pour voir le match.
Le récit est limpide, l'action nerveuse et la mise en scène ingénieuse et brillante, toujours sur le fil de la fiction et du documentaire. les acteurs, non professionnels, sont magnifiques. Un cinéma-vérité qui plonge au cœur de la société iranienne. Un plaidoyer pour l'émancipation des femmes.

Ceci n'est pas un film
(این فیلم نیست, In film nist)
Réalisé par Jafar Panahi, Mojtaba Mirtahmasb
Film iranien
Genre : documentaire
Durée :1h15
Année : 2011
Assigné à résidence dans son appartement de Téhéran, le réalisateur iranien Jafar Panahi tourne en rond en attendant le verdict d’une justice kafkaïenne. Aidé de son compatriote documentariste Mojtabâ Mirtahmâsb, ils mettent en scène un non-film coincé entre quatre murs, glosant sur l’épée de Damoclès suspendue au-dessus des artistes iraniens contemporains, constamment surveillés par le pouvoir…
Jafar Panahi nous offre une sorte de masterclass bricolée au moyen d’une fiction racontée pour que les spectateurs s’en fassent leurs propres images, un direct TV du tsunami de Fukushima, un documentaire sur la vie d’un varan domestique et un film d’ascenseur sur la survie étudiante vue à travers ses mille bullshit jobs. C’est aussi un direct sur les feux d’artifices du jour de l’an 2011 bannis par l’état. Ce sera le début d’une série de films tournés clandestinement (PardéTaxi TéhéranTrois visagesAucun ours) et primés par les grands festivals. C’est enfin l’attente d’un verdict qui a livré sa réponse ce 11 juillet 2022 : six années d’emprisonnement dans la sinistre et cruelle prison d’Evin.

Pardé
(پرده, Pardeh)
Réalisé par Jafar Panahi et Kambozia Partovi
Avec Kambuzia PartoviJafar PanahiMaryam Moghadam
Film iranien
Genre : drame
Durée : 1h46
Année : 2013
Les destins croisés d'un homme et son chien et d'une jeune femme, barricadés de l'autre côté de la Mer Caspienne.
Pardé, qui signifie « le rideau », est le deuxième des films réalisés par Jafar Panahi après sa condamnation. Réalisé avec le concours de Kambozia Partovi, coscénariste du Cercle et réalisateur, c’est surtout son film le plus désespéré. Il se situe entre le huis-clos anxiogène de Ceci n’est pas un film où Panahi, en instance d’appel, ne mesure pas encore la gravité de la sentence, et le regain d’énergie à l’œuvre dans Taxi Téhéran, à l’air (presque) libre. Tourné en cachette dans sa maison de vacances au bord de la mer Caspienne, le film est une plongée dans la psyché de Jafar Panahi qui est à nouveau le personnage central de son film. Tiraillé entre la volonté de continuer à créer et la tentation du suicide, deux options incarnées par deux personnages aux antipodes, Jafar Panahi tisse un récit stratifié, complexe et allégorique. L’appel de la mer est fort dans ce huis-clos pirandellien où différents régimes d’images s’entrechoquent, se complètent et s’opposent.
Inédit en France, le film remporte l’Ours d’argent du meilleur scénario à la Berlinale en 2013.

Taxi Téhéran
(تاکسی, Taxi)
Réalisé par Jafar Panahi
Avec Jafar Panahi
Film iranien
Genre : comédie dramatique
Durée : 1h26
Année : 2015
Trois caméras placées dans le taxi, un toit ouvrant pour seul dispositif d'éclairage. Et des acteurs, amateurs, amis, dont les noms ne sont pas mentionnés au générique, en guise de maigre protection contre la répression. Tour à tour, le siège passager ou la banquette arrière accueillent les conversations d'habitants de Téhéran. Un blessé doit être transféré en urgence à l'hôpital et dicte par vidéo ses dernières volontés ; un vendeur de films sous le manteau propose des Kurosawa ou… la saison 5 de The Walking Dead ; une avocate interdite d'exercice tente quand même d'aider une femme arrêtée parce qu'elle voulait assister à un match de volley-ball ; et la nièce du réalisateur pose des questions candides sur la censure car, comme l'a expliqué sa maîtresse, "quand la réalité est laide ou problématique, il ne faut pas la montrer".

Trois visages
(Se rokh)
Réalisé par Jafar Panahi
Avec Behnaz Jafari, Jafar Panahi
Film iranien
Genre : drame
Durée : 1h40
Année : 2018
La comédienne Behnaz Jafari a reçu sur son portable une vidéo très alarmante de la part de Marziyeh, une jeune fille qu’elle ne connaît pas. Cette dernière lui explique avoir été acceptée au concours d’entrée du conservatoire de Téhéran, mais, sa famille refusant de la laisser mener une vie de saltimbanque, elle a sombré dans un profond désespoir. Craignant que l’inconnue n’ait mis fin à ses jours, comme le laisse présager la fin brutale de son message, Behnaz prend la route avec son ami le réalisateur Jafar Panahi pour le village isolé des montagnes azerbaïdjanaises où vit l’adolescente…
Ce road-movie rural est aussi un hommage au regretté Abbas Kiarostami, dont Jafar Panahi fut l’assistant et le coscénariste. Bien des plans filmés derrière le pare-brise, sur les routes étroites et sinueuses de cette lointaine province, rappellent ceux de son aîné quand il tournait Au travers des oliviers ou Le Goût de la cerise.

Aucun ours
(Jaddeh Khaki)
Réalisé par Jafar Panahi
Avec Naser Hashemi, Jafar Panahi
Film iranien
Genre : drame
Durée : 1h46
Année : 2022
Dans un village iranien proche de la frontière, un metteur en scène est témoin d’une histoire d’amour tandis qu’il en filme une autre. La tradition et la politique auront-elles raison des deux ?
Alors qu’il est frappé d’une interdiction de tourner pour une durée de dix ans, le cinéaste Jafar Panahi – qui nous avait bluffé avec des œuvres fortes et radicales comme Le cercle (2000) et Sang et or (2003) – a décidé de résister et de continuer à exprimer ses idées à travers des longs-métrages tournés en clandestinité. Ainsi, depuis plusieurs années, Jafar Panahi est devenu par force le sujet même de ses films. Il explique sa situation dans des films de fiction à la lisière du documentaire comme Ceci n’est pas un film (2011) ou encore l’excellent Taxi Téhéran (2015) qui a reçu l’Ours d’or au Festival de Berlin. Après Trois visages (2018), il nous revient donc avec Aucun ours (2022) qui creuse toujours le même sillon d’un apparent documentaire, mêlé à une fiction. A l’aide d’une mise en abîme, Jafar Panahi débute son film par une scène de ménage entre un homme et une femme qui cherchent à quitter l’Iran en clandestinité. Pourtant, au bout de quelques minutes, le spectateur découvre que la scène en question est en réalité le tournage d’un film de fiction. Dès lors, Jafar Panahi nous montre comment il parvient à réaliser ses films en étant toujours tenu à distance du plateau, afin qu’aucune preuve de son implication ne soit établie. Il utilise notamment internet et peut ainsi assister au tournage et donner ses conseils avisés. Un pays coincé entre un pouvoir autoritaire et des traditions sclérosantes Pourtant, à cet élément qui tient de la pure autobiographie, Jafar Panahi ajoute une intrigue supplémentaire, elle aussi fictive, qui le voit être accusé par des villageois de favoriser l’union interdite entre deux jeunes gens. Dès lors, la frontière entre fiction et documentaire se brouille totalement. En réalité, ces deux histoires finissent surtout par peindre le portrait d’un pays, l’Iran donc, qui est totalement verrouillé. Que ce soit le couple urbain qui cherche à s’évader de Téhéran qui est une prison à ciel ouvert à cause d’un pouvoir islamique totalitaire ou que ce soit le couple campagnard qui ne peut vivre son amour à cause des traditions ancestrales, l’individu ne compte aucunement dans un pays où s’épanouir en liberté est impossible. Désormais très sûr de lui devant la caméra, Jafar Panahi nous fait part de son désarroi face à une nation irrémédiablement bloquée dans le passé, ses traditions ancestrales et sa religion. D’un grand pessimisme, Aucun ours irrite très souvent car les différents protagonistes sont systématiquement prisonniers d’un système de valeur qui va à l’encontre des nôtres. Le titre lui-même fait référence à une fable qui est transmise aux villageois selon laquelle ils peuvent être agressés par un plantigrade s’ils s’éloignent trop de leur foyer. Or, Jafar Panahi précise bien qu’aucun ours ne vit dans cette région, preuve que les superstitions ont la peau dure dans cette partie du monde. On signalera au passage le courage d’un réalisateur qui se moque ouvertement des us et coutumes des paysans locaux. Il ose même détourner une cérémonie solennelle de serment en évitant de jurer sur le Coran et en dénonçant la stupidité des traditions locales. Une sacrée prise de risques pour une œuvre finalement très subversive et qui décrit l’Iran comme un enfer sur Terre. Il faut dire que durant le tournage, le cinéaste a été dénoncé plusieurs fois par des villageois et n’a eu de cesse de se déplacer pour continuer à tourner librement. D’ailleurs, depuis le tournage, Jafar Panahi a à nouveau été arrêté et mis en prison, au point qu’il a entamé une grève de la faim en février 2023 afin de dénoncer ses conditions de détention. Grâce à la pression internationale, il a finalement pu être libéré, tout en étant toujours sous haute surveillance. Très fort et d’une puissance évocatrice qui rejoint ses premières œuvres citées plus haut, Aucun ours est assurément un grand film, par-delà même les circonstances qui l’ont vu naître. Il mérite en tout cas largement le Prix spécial du jury qui lui a été décerné à la Mostra de Venise. Certes, la récompense était de l’ordre du geste politique symbolique, mais le long-métrage mérite vraiment des éloges par sa puissance de dénonciation.

Un simple accident
(Yek tasadof-e sadeh)
Réalisé par Jafar Panahi
Avec Vahid Mobasseri, Mariam Afshari, Ebrahim Azizi
Film iranien
Genre : drame
Durée : 1h42
Année : 2025
Iran, de nos jours. Un homme croise par hasard celui qu’il croit être son ancien tortionnaire. Mais face à ce père de famille qui nie farouchement avoir été son bourreau, le doute s’installe.
Le film commence comme Les graines du figuier sauvage, on se dit qu’on va suivre le parcours d’un personnage qui est un rouage du régime, puis ça dévie : en sortant de prison, Jafar Panahi a découvert un autre Iran, où on ne fait plus les films de la même manière. Il n’a plus besoin de passer par toutes les circonvolutions métaphoriques qui étaient nécessaires auparavant. C'est donc un film très direct, qui ne prend pas de détours pour raconter ce qu’il veut raconter, mais utilise malgré tout une dialectique passionnante qui essaie de penser l’après régime, avec des interrogations politiques et morales sur le traitement à réserver à ceux qui ont torturé et massacré pendant des années. Au-delà du sujet, Panahi questionne aussi sa manière de faire du cinéma et de filmer l’Iran contemporain, et montre comment les personnages restent hantés par ce régime totalitaire."