Cinéaste iranien, 1960
Bâdkonak-e
sefid (بادکنک
سفید)
Réalisé
par Jafar Panahi
Avec
Aida Mohammadkhani, Mohsen Kafili, Fereshteh Sadr Orafai
Film
iranien
Genre :
comédie dramatique
Durée :
1h25
Année :
1995
Dans
les rues bondées de Téhéran, une petite fille part à la recherche
d'un poisson rouge pour célébrer le nouvel an iranien. Elle va
perdre l'argent que sa mère lui a confié et faire de nombreuses
rencontres.
Jafar
Panahi a été assistant-réalisateur du dernier film d'Abbas
Kiarostami, AU TRAVERS DES OLIVIERS. Au nom de leur récente amitié,
le célèbre cinéaste lui a proposé d'écrire le scénario de son
premier film. Résultat: une œuvre d'une simplicité désarmante au
charme irrésistible. A partir d'un canevas d'une minceur
stupéfiante, les auteurs parviennent sans peine à soutenir tout au
long l'intérêt du spectateur. L'action en temps réel, une heure
vingt-cinq minutes avant le nouvel an, contribue assurément à cet
état de fait, en installant un suspense d'une réelle efficacité.
Par ailleurs, les déboires de cette petite fille imprudente,
paniquée à l'idée d'affronter la colère de sa mère si elle
revient bredouille à la maison, ont comme toile de fond une
savoureuse peinture de mœurs de la société iranienne, dans
laquelle certaines situations loufoques confinent à l'absurde. La
réalisation souple et aérée laisse une large place à
l'improvisation, ce qui n'empêche pas la caméra de traquer sans
relâche les différentes expressions qui se lisent sur l'attachante
frimousse de la jeune héroïne.
(آینه, Ayneh)
Réalisé
par Jafar Panahi
Avec
Aida Mohammadkhani, Mina Mohammad Khani, Kazem Mojdehi, Naser Omouni,
Mohtaram Shirzad, Jafar Panahi, Tahereh Samadpour
Film
iranien
Genre :
drame
Durée :
1h34
Année :
1997
Mina
a 7 ans, elle vit à Téhéran. Un soir, à la sortie de l’école,
personne ne vient la chercher. Face à l’indifférence des adultes,
elle cherche son chemin toute seule dans la grande ville
bouillonnante. Elle ne connaît pas son adresse, mais se met en quête
des repères familiers qu’elle pourrait retrouver en se remémorant
les détails du trajet effectué quotidiennement avec sa mère et en
questionnant inlassablement les adultes qui l’entourent. Mais Mina
n’est pas une enfant ordinaire car c’est aussi une jeune actrice,
celle du film de Jafar Panahi qui se tourne sous nos yeux sans que
nous ne nous en rendions compte.
Le
Miroir est
un film incroyable. Il est une proposition de cinéma rare et
fascinante. Il invite le spectateur, tel Alice au pays des mollahs, à
traverser le miroir. Miroir de l’enfance, miroir de la société
iranienne si complexe et lointaine qu’elle nous est
fondamentalement étrangère. Et également miroir du cinéma et de
sa fabrication, car dans un dispositif que nous ne révélerons pas
ici le film propose une réflexion unique sur ce qu’est faire du
cinéma. C’est donc un voyage à la rencontre d’un pays, d’une
culture, d’une langue que l’on proposera ici en emmenant des
jeunes spectateurs découvrir ce film, qui suscitera forcément débat
et discussion. Jafar Panahi est un cinéaste phare de la Nouvelle
Vague iranienne, mais également figure importante de l’opposition
au régime, qui l’a souvent empêché de tourner ou de sortir ses
films dans son propre pays. Alors que les œuvres de Panahi sont
systématiquement primées dans les grands festivals internationaux,
elles sont aujourd’hui interdites en Iran. Tournant ses films en
secret, il a inventé la technique de la double équipe de
tournage. La première est un leurre qui prend en cas de danger la
place de la deuxième, la vraie, qui tourne dans la clandestinité.
Emprisonné en 2010, il a été condamné et interdit de faire des
films. C’est à ce titre qu’il faut lire Le
Miroir comme
le portrait d’une enfant en résistance contre les injustices que
la société iranienne charrie et notamment celles qui touchent
violemment les femmes.
(دایره, Dayereh)
Réalisé
par Jafar Panahi
Avec
Myriam Parvin Almani, Nargess Mamizadeh, Fatemeh Naghavi
Film
iranien, italien, suisse
Genre :
drame
Durée :
1h30
Année :
2000
En
suivant le destin de six femmes en temps réel, ce film aborde divers
thèmes tels que la fugue des mineurs, la polygamie, l’avortement,
l’abandon et la prostitution, mettant ainsi en évidence la
violence et les discriminations auxquelles les femmes sont
confrontées en vertu de la loi islamique en Iran.
Film
charnière dans la filmographie de Jafar Panahi, Le Cercle, son
troisième long métrage, le voit s’affranchir des « films
d’enfants » et de l’influence d’Abbas Kiarostami pour
aborder frontalement la problématique de la condition des femmes en
Iran. Plusieurs destins s’entrelacent : d’anciennes détenues,
des mères célibataires, des prostituées courent, fuient, se
cachent. Servi par une mise en scène vertigineuse et des actrices
admirables, le film dénonce le joug patriarcal auquel doivent se
soumettre quotidiennement ces femmes. À l’aide d’une boucle
narrative inexorable qui se déroule sur une journée, Jafar Panahi
fait surgir des figures autrement noyées à jamais dans la masse.
C’est à partir de ce film que Panahi est considéré par les
autorités iraniennes comme un cinéaste à surveiller et elles
feront tout pour que le tournage n’ait pas lieu. « Au lieu d’en
débattre, le régime enfouit ces plaies sociales sous le couvercle
du silence, analyse Panahi. Mon devoir de cinéaste m’imposait de
les traiter. Je l’ai fait. »
Le film a obtenu le Lion d’or
à la Mostra de Venise en 2000.
(طلای
سرخ, Talāye
sorkh)
Réalisé
par Jafar Panahi
Avec
Hossain Emadeddin, Kamyar Sheisi
Film
iranien
Genre :
drame, thriller
Durée :
1h37
Année :
2003
A
Téhéran, Hussein abat le propriétaire d'une bijouterie d'un coup
de revolver avant de retourner l'arme contre lui. Quelques jours plus
tôt... Ce modeste livreur de pizzas s'extasie devant un sac rempli
de billets de banque trouvé par son ami Ali. L'espace d'une nuit,
Hussein va connaître la vie de luxe que son salaire de misère ne
pourrait jamais le laisser entrevoir. Au matin, il retourne à la
bijouterie.
Interdit
de diffusion publique ou privée en Iran en raison de sa critique de
la société iranienne sous le régime des Mollahs,
le film n'en est pas moins un succès critique et gagne des prix dans
plusieurs festivals internationaux comme le Festival
de Cannes ou
le Festival
international du film de Valladolid.
C’est
par une formidable scène-choc que débute Sang et or de
l’iranien Jafar Panahi, tiré d’un magnifique scénario de
son ami et compatriote Abbas Kiarostami (comme cela avait
déjà été le cas pour son premier film, Le ballon blanc, en
1995), dont il fut l’assistant sur le tournage d’Au travers des
oliviers.
Lors
de la phénoménale séquence d’ouverture, dans
laquelle Panahi joue avec les différents niveaux de plans,
un homme de forte carrure (Hussein) braque une bijouterie des beaux
quartiers de Téhéran, alors que son complice Ali fait le guet dans
la rue. Piégé par le système de sécurité actionné par le
gérant, Hussein se retrouve enfermé dans la boutique. Il abat alors
le propriétaire et se donne la mort.
C’est
à partir d’un fait divers lu dans un journal que Kiarostami a
écrit son scénario. Dans Sang et or, qui clôturait la
sélection Un Certain Regard du Festival de Cannes 2003 et
a remporté le Prix du Jury, Panahi s’est intéressé aux
raisons qui ont pu pousser le braqueur à retourner son arme contre
lui. Débute alors un long flash-back revenant sur les dernières
heures de Hussein.
Mais
ce flash-back n’est pas immédiatement évident pour le spectateur,
puisque l’on voit la fin de la séquence du braquage, lors de
laquelle Ali s’enfuit en mobylette, aussitôt suivie d’une autre
séquence (en simple raccord) où Ali finit son trajet en mobylette
pour rejoindre dans un café... son ami Hussein qui l’attend !
Ali lui apporte un sac à main, dans lequel ils découvrent quelques
babioles, ainsi qu’un reçu du paiement d’un collier dont le
montant (quelques chiffres suivis d’une myriade de zéros !)
dépasse l’entendement de nos deux anti-héros, beautiful
losers, qui vivent plus que chichement de leur métier de livreur de
pizzas à mobylette.
C’est
sur cette opposition entre riches et pauvres que va se construire le
film, avec de nombreux allers-retours entre le haut (les quartiers
riches) et le bas de la ville. Panahi dresse d’ailleurs
une belle topographie de Téhéran (avec ses travellings lors des
trajets en mobylette, les vues aériennes de la terrasse d’un
duplex, les rues qui montent vers la bijouterie...).
En
plus de celle d’ouverture, on se souviendra de deux autres scènes
magnifiques. Dans la première, Hussein doit livrer des pizzas dans
la ville haute, dans un appartement au-dessous duquel a lieu une
soirée privée. Mais le quartier est bouclé par l’armée qui
attend que les convives sortent un par un pour les arrêter. Ne
pouvant donc approcher l’immeuble où il doit livrer ses pizza,
Hussein essaie de faire comprendre aux forces de l’ordre qu’elles
l’empêchent d’effectuer son travail déjà assez difficile comme
ça. Puis il abdique et attend. Mais voyant ses pizzas refroidir et
sur le point d’être perdues, il va les distribuer aux jeunes
soldats et autres personnages qui se trouvent dans la rue ! Dans
cette scène, Panahi nous montre avec beaucoup de finesse
que Hussein a un cœur gros comme ça et nous rappelle que danser et
boire de l’alcool en Iran est répréhensible par la loi.
Lors
d’une autre séquence, Hussein livre des pizzas chez un riche fils
à papa aux relations amoureuses tumultueuses
(l’appartement se situe dans la ville haute et, qui plus est, au
18ème étage d’un immeuble luxueux). Grâce à de sublimes
mouvements de caméra, Panahi nous fait découvrir en même
temps qu’Hussein l’appartement somptueux, dont la décoration en
dit énormément sur les propriétaires (réfrigérateur immense,
électro-ménager et hi-fi dernier cri, piano à queue, salle de
musculation et piscine avec fontaine, terrasse immense dominant toute
la ville... constituent ce duplex de nouveaux riches, dans lequel
évolue Hussein comme un pachyderme fatigué dans une boutique de
porcelaine).
C’est
d’ailleurs ce qui frappe chez Hussein. Ce contraste entre sa large
silhouette et son visage gonflé par la cortisone et ses pensées
existentielles résultant de sa lucidité sur la place misérable
qu’il occupe dans la société iranienne. Celui qui ressemble à
une forteresse humaine a aussi une âme. En le voyant, on ne peut
s’empêcher de penser au personnage de Forest
Whitaker dans Ghost Dog de Jim Jarmusch. Humilié
à plusieurs reprises, Hussein semble encaisser les coups, mais
devient de plus en plus écœuré par sa misère qui le sépare du
monde des riches et prend pleinement conscience qu’il fait partie
du camp des faibles, ceux qui montent les étages à pied.
A
force d’humiliations, Hussein perd peu à peu son honneur, sa
dignité. Or, que reste-t-il à celui qui ne possède rien, quand son
honneur est bafoué ?
(آفساید, Afsaid)
Réalisé
par Jafar Panahi
Avec
Sima Mobarak Shahi, Safdar Samandar
Film
iranien
Genre :
comédie dramatique
Durée :
1h28
Année :
2006
8
Mai 2006 : l’Iran est en passe de se qualifier pour la coupe du
monde de football. Un car de supporters déchaînés est en route
vers le stade. Une
fille déguisée en garçon s’est discrètement glissée parmi eux
elle ne sera pas la seule à tenter de transgresser l’interdiction
faite aux femmes d’assister aux manifestations sportives. A
l’entrée du stade, elle est démasquée et confiée à la brigade
des mœurs qui devra décider de son sort. Enfermée
dans un enclos improvisé, elle est très vite rejointe par d’autres
filles. Ensemble,
elles refusent d’abandonner et usent de toutes les techniques pour
voir le match.
Le récit est limpide, l'action nerveuse et la mise en scène ingénieuse et brillante, toujours sur le fil de la fiction et du documentaire. les acteurs, non professionnels, sont magnifiques. Un cinéma-vérité qui plonge au cœur de la société iranienne. Un plaidoyer pour l'émancipation des femmes.
Le récit est limpide, l'action nerveuse et la mise en scène ingénieuse et brillante, toujours sur le fil de la fiction et du documentaire. les acteurs, non professionnels, sont magnifiques. Un cinéma-vérité qui plonge au cœur de la société iranienne. Un plaidoyer pour l'émancipation des femmes.
(این
فیلم نیست, In
film nist)
Réalisé
par Jafar Panahi, Mojtaba Mirtahmasb
Film
iranien
Genre :
documentaire
Durée :1h15
Année :
2011
Assigné
à résidence dans son appartement de Téhéran, le réalisateur
iranien Jafar Panahi tourne en rond en attendant le verdict d’une
justice kafkaïenne. Aidé de son compatriote documentariste Mojtabâ
Mirtahmâsb, ils mettent en scène un non-film coincé entre quatre
murs, glosant sur l’épée de Damoclès suspendue au-dessus des
artistes iraniens contemporains, constamment surveillés par le
pouvoir…
Jafar
Panahi nous offre une sorte de masterclass bricolée au moyen d’une
fiction racontée pour que les spectateurs s’en fassent leurs
propres images, un direct TV du tsunami de Fukushima, un documentaire
sur la vie d’un varan domestique et un film d’ascenseur sur la
survie étudiante vue à travers ses mille bullshit jobs. C’est
aussi un direct sur les feux d’artifices du jour de l’an 2011
bannis par l’état. Ce sera le début d’une série de films
tournés clandestinement (Pardé, Taxi
Téhéran, Trois
visages, Aucun
ours)
et primés par les grands festivals. C’est enfin l’attente d’un
verdict qui a livré sa réponse ce 11 juillet 2022 : six années
d’emprisonnement dans la sinistre et cruelle prison d’Evin.
(پرده, Pardeh)
Réalisé
par Jafar Panahi et Kambozia Partovi
Avec
Kambuzia Partovi, Jafar
Panahi, Maryam
Moghadam
Film
iranien
Genre :
drame
Durée :
1h46
Année :
2013
Les
destins croisés d'un homme et son chien et d'une jeune femme,
barricadés de l'autre côté de la Mer Caspienne.
Pardé,
qui signifie « le rideau », est le deuxième des films réalisés
par Jafar Panahi après sa condamnation. Réalisé avec le concours
de Kambozia Partovi, coscénariste du Cercle et
réalisateur, c’est surtout son film le plus désespéré. Il se
situe entre le huis-clos anxiogène de Ceci
n’est pas un film où
Panahi, en instance d’appel, ne mesure pas encore la gravité de la
sentence, et le regain d’énergie à l’œuvre dans Taxi
Téhéran,
à l’air (presque) libre. Tourné en cachette dans sa maison de
vacances au bord de la mer Caspienne, le film est une plongée dans
la psyché de Jafar Panahi qui est à nouveau le personnage central
de son film. Tiraillé entre la volonté de continuer à créer et la
tentation du suicide, deux options incarnées par deux personnages
aux antipodes, Jafar Panahi tisse un récit stratifié, complexe et
allégorique. L’appel de la mer est fort dans ce huis-clos
pirandellien où différents régimes d’images s’entrechoquent,
se complètent et s’opposent.
Inédit
en France, le film remporte l’Ours d’argent du meilleur scénario
à la Berlinale en 2013.
(تاکسی, Taxi)
Réalisé
par Jafar Panahi
Avec
Jafar
Panahi
Film
iranien
Genre :
comédie dramatique
Durée :
1h26
Année :
2015
Trois
caméras placées dans le taxi, un toit ouvrant pour seul dispositif
d'éclairage. Et des acteurs, amateurs, amis, dont les noms ne sont
pas mentionnés au générique, en guise de maigre protection contre
la répression. Tour à tour, le siège passager ou la banquette
arrière accueillent les conversations d'habitants de Téhéran. Un
blessé doit être transféré en urgence à l'hôpital et dicte par
vidéo ses dernières volontés ; un vendeur de films sous le manteau
propose des Kurosawa ou… la saison 5 de The Walking Dead ;
une avocate interdite d'exercice tente quand même d'aider une femme
arrêtée parce qu'elle voulait assister à un match de volley-ball ;
et la nièce du réalisateur pose des questions candides sur la
censure car, comme l'a expliqué sa maîtresse, "quand la
réalité est laide ou problématique, il ne faut pas la montrer".
(Se
rokh)
Réalisé
par Jafar Panahi
Avec
Behnaz Jafari, Jafar Panahi
Film
iranien
Genre :
drame
Durée :
1h40
Année :
2018
La
comédienne Behnaz Jafari a reçu sur son portable une vidéo très
alarmante de la part de Marziyeh, une jeune fille qu’elle ne
connaît pas. Cette dernière lui explique avoir été acceptée au
concours d’entrée du conservatoire de Téhéran, mais, sa famille
refusant de la laisser mener une vie de saltimbanque, elle a sombré
dans un profond désespoir. Craignant que l’inconnue n’ait mis
fin à ses jours, comme le laisse présager la fin brutale de son
message, Behnaz prend la route avec son ami le réalisateur Jafar
Panahi pour le village isolé des montagnes azerbaïdjanaises où vit
l’adolescente…
Ce
road-movie rural est aussi un hommage au regretté Abbas Kiarostami,
dont Jafar Panahi fut l’assistant et le coscénariste. Bien des
plans filmés derrière le pare-brise, sur les routes étroites et
sinueuses de cette lointaine province, rappellent ceux de son aîné
quand il tournait Au travers des oliviers ou Le Goût de la cerise.
(Jaddeh
Khaki)
Réalisé
par Jafar Panahi
Avec
Naser Hashemi, Jafar Panahi
Film
iranien
Genre :
drame
Durée :
1h46
Année :
2022
Dans
un village iranien proche de la frontière, un metteur en scène est
témoin d’une histoire d’amour tandis qu’il en filme une autre.
La tradition et la politique auront-elles raison des deux ?
Alors
qu’il est frappé d’une interdiction de tourner pour une durée
de dix ans, le cinéaste Jafar
Panahi –
qui nous avait bluffé avec des œuvres fortes et radicales comme Le
cercle (2000) et Sang et or (2003) – a décidé de
résister et de continuer à exprimer ses idées à travers des
longs-métrages tournés en clandestinité. Ainsi, depuis plusieurs
années, Jafar Panahi est devenu par force le sujet même de ses
films. Il explique sa situation dans des films de fiction à la
lisière du documentaire comme Ceci n’est pas un film (2011)
ou encore l’excellent Taxi Téhéran (2015) qui a reçu
l’Ours d’or au Festival de Berlin. Après Trois
visages (2018), il nous revient donc avec Aucun ours (2022)
qui creuse toujours le même sillon d’un apparent documentaire,
mêlé à une fiction. A l’aide d’une mise en abîme, Jafar
Panahi débute son film par une scène de ménage entre un homme et
une femme qui cherchent à quitter l’Iran en clandestinité.
Pourtant, au bout de quelques minutes, le spectateur découvre que la
scène en question est en réalité le tournage d’un film de
fiction. Dès lors, Jafar Panahi nous montre comment il parvient à
réaliser ses films en étant toujours tenu à distance du plateau,
afin qu’aucune preuve de son implication ne soit établie. Il
utilise notamment internet et peut ainsi assister au tournage et
donner ses conseils avisés. Un
pays coincé entre un pouvoir autoritaire et des traditions
sclérosantes Pourtant,
à cet élément qui tient de la pure autobiographie, Jafar Panahi
ajoute une intrigue supplémentaire, elle aussi fictive, qui le voit
être accusé par des villageois de favoriser l’union interdite
entre deux jeunes gens. Dès lors, la frontière entre fiction et
documentaire se brouille totalement. En réalité, ces deux histoires
finissent surtout par peindre le portrait d’un pays, l’Iran donc,
qui est totalement verrouillé. Que ce soit le couple urbain qui
cherche à s’évader de Téhéran qui est une prison à ciel ouvert
à cause d’un pouvoir islamique totalitaire ou que ce soit le
couple campagnard qui ne peut vivre son amour à cause des traditions
ancestrales, l’individu ne compte aucunement dans un pays où
s’épanouir en liberté est impossible. Désormais
très sûr de lui devant la caméra, Jafar Panahi nous fait part de
son désarroi face à une nation irrémédiablement bloquée dans le
passé, ses traditions ancestrales et sa religion. D’un grand
pessimisme, Aucun ours irrite très souvent car les
différents protagonistes sont systématiquement prisonniers d’un
système de valeur qui va à l’encontre des nôtres. Le titre
lui-même fait référence à une fable qui est transmise aux
villageois selon laquelle ils peuvent être agressés par un
plantigrade s’ils s’éloignent trop de leur foyer. Or, Jafar
Panahi précise bien qu’aucun ours ne vit dans cette région,
preuve que les superstitions ont la peau dure dans cette partie du
monde. On
signalera au passage le courage d’un réalisateur qui se moque
ouvertement des us et coutumes des paysans locaux. Il ose même
détourner une cérémonie solennelle de serment en évitant de jurer
sur le Coran et en dénonçant la stupidité des traditions locales.
Une sacrée prise de risques pour une œuvre finalement très
subversive et qui décrit l’Iran comme un enfer sur Terre. Il faut
dire que durant le tournage, le cinéaste a été dénoncé plusieurs
fois par des villageois et n’a eu de cesse de se déplacer pour
continuer à tourner librement. D’ailleurs, depuis le tournage,
Jafar Panahi a à nouveau été arrêté et mis en prison, au point
qu’il a entamé une grève de la faim en février 2023 afin de
dénoncer ses conditions de détention. Grâce à la pression
internationale, il a finalement pu être libéré, tout en étant
toujours sous haute surveillance. Très
fort et d’une puissance évocatrice qui rejoint ses premières
œuvres citées plus haut, Aucun ours est assurément un
grand film, par-delà même les circonstances qui l’ont vu naître.
Il mérite en tout cas largement le Prix spécial du jury qui lui a
été décerné à la Mostra de Venise. Certes, la récompense était
de l’ordre du geste politique symbolique, mais le long-métrage
mérite vraiment des éloges par sa puissance de dénonciation.
(Yek
tasadof-e sadeh)
Réalisé
par Jafar Panahi
Avec
Vahid Mobasseri, Mariam Afshari, Ebrahim Azizi
Film
iranien
Genre :
drame
Durée :
1h42
Année :
2025
Iran,
de nos jours. Un homme croise par hasard celui qu’il croit être
son ancien tortionnaire. Mais face à ce père de famille qui nie
farouchement avoir été son bourreau, le doute s’installe.
Le
film commence comme Les graines du figuier sauvage, on se
dit qu’on va suivre le parcours d’un personnage qui est un
rouage du régime, puis ça dévie : en sortant de prison,
Jafar Panahi a découvert un autre Iran, où on ne fait plus les
films de la même manière. Il n’a plus besoin de passer par
toutes les circonvolutions métaphoriques qui étaient nécessaires
auparavant. C'est donc un film très direct, qui ne prend pas de
détours pour raconter ce qu’il veut raconter, mais utilise malgré
tout une dialectique passionnante qui essaie de penser l’après
régime, avec des interrogations politiques et morales sur le
traitement à réserver à ceux qui ont torturé et massacré
pendant des années. Au-delà du sujet, Panahi questionne aussi sa
manière de faire du cinéma et de filmer l’Iran contemporain, et
montre comment les personnages restent hantés par ce régime
totalitaire."