21 avr. 2024

Ruben Ӧstlund

 

Suède, 1974






The guitar Mongoloid

Réalisé par Ruben Ӧstlund
Avec Mikael Allu, Bjarne Gunnarsson, Erik Gustafsson
Comédie dramatique
1h25
2004
Suède
Le quotidien étrange d’une ville suédoise : un groupe de jeunes vole et détruit des vélos, une femme cherche le sien, un enfant handicapé mental joue de la guitare, des hommes jouent à la roulette russe…
Contrairement à ses satires somptueusement grotesques parodiant les riches oisifs, le premier long métrage de Ruben Östlund adopte une esthétique lo-fi qui rappelle les débuts provocateurs d’Harmony Korine. Une aventure urbaine déjantée qui combat l’ennui du quotidien avec des pitreries choquantes.
Oui, c’est vrai, Östlund a l’œil, et sait capter l’étrangeté du quotidien, et sa violence sous-jacente, à travers des scènes drôlatiques ou étranges filmées en plan éloigné, en caméra fixe et en plans-séquence. Mais on a du mal à deviner le but de cette successions de situations plus ou moins liées entre elle si ce n'est qu'elles mettent en scène une poignée d'individus plus ou moins truculents, plus ou moins frappés... Östlund, on le sait aujourd'hui, n'aime rien tant qu'enregistrer l'aliénation de la société, ou plutôt le moment où la folie s'introduit dans nos vies et on sent qu'il a une petite préférence pour les instants qui partent en vrille. On sent déjà une attirance pour ces moments "grinçants", décalés, déroutants, même si ici les farces tournent souvent très court et et qu'on frôle l'ennui plus souvent qu'à son tour... C'est la qualité et le défaut du film : il peut ennuyer parfois, être carrément grimaçant et déplaisant... mais il a le mérite d'aller chercher justement ces émotions-là chez le spectateur, et à ce titre il a toutes les raisons d'exister. Avec ce premier film, Ӧstlund est donc sur les rails et possède déjà un style propre et un œil. Il développera par la suite bien plus amplement, dans des fictions beaucoup plus ambitieuses, ce regard de "poil à gratter" de la société suédoise.


Happy Sweden
Réalisé par Ruben Ӧstlund
Avec Villmar Björkman, Linnea Cart-Lamy, Leif Edlund, Sara Eriksson
Comédie dramatique
1h38
2008
Suède
L'influence du groupe sur l'individu. L'individu qui pense trop à son image. L'imbécile qui fait des blagues salaces pour amuser la galerie, deux adolescentes qui jouent aux allumeuses, la maîtresse d'école zélée qui en fait trop avec ses collègues... jusqu'au jour où les limites sont franchies. Un tableau de la société suédoise telle qu'on ne la soupçonne pas.
Construit comme un puzzle, c’est un film déconcertant. Ruben Östlund fait une peinture non-conformiste de la société suédoise, qui est parfois drôle mais le plus souvent corrosif et glaçant. C’est une véritable analyse clinique des comportements humains, qui nous place en tant que spectateur devant ces scènes de la vie sociale ordinaire où tout peut déraper. Le groupe comme phénomène social constitue ici un véritable laboratoire .A travers cinq « vignettes » sans liens entre elles, mais dont le seul point commun est d’opposer une personne au jugement d’un groupe. Si les situations de chaque récit se déversent un peu trop facilement dans l’écumoire de la démonstration globale – c’est le risque des films à sketches – la dislocation de la narration et l’utilisation singulière du cadre font d’Happy Sweden un film bien moins innocent que son titre français ne le laisse penser. À l’instar de son premier long-métrage, Happy Sweden met un point d’honneur à briser le lambris de l’apparente harmonie des images d’Epinöl. Face à l’archétype d’une société harmonieuse et consensuelle, le fameux modèle suédois, de petites fissures s’infiltrent sournoisement, invisibles à l’œil nu. Le scalpel de l’image les révèle et il est réconfortant que cela soit fait subtilement, avec tact et sans clin d’œil complaisant.


Réalisé par Ruben Ӧstlund
Avec Kevin Vaz, Johan Jonason, John Ortiz
Drame
1h58
2011
Suède, France
Entre 2006 et 2008, en plein centre ville de Göteborg en Suède, un groupe de garçons âgés de douze à quatorze ans rackette d’autres enfants à plus de quarante reprises. Par le biais d’un savant jeu de rôles qui reposait sur l’usage d’une rhétorique de gang, les voleurs ont mis au point une stratégie élaborée connue sous le nom de « coup du petit frère », n’impliquant aucune violence physique.
S’il avait été sélectionné en compétition officielle, « Play » aurait été le film-scandale de cette édition du Festival de Cannes 2011. Passionnant dans sa rhétorique et évoquant la dialectique comme arme suprême au cœur d’un monde de contradictions idéologiques et sociologiques, Ruben Östlund dresse avec « Play » un révoltant et glaçant constat qui laisse la tension s’installer séquences après séquences. Non dénué pour autant d’humour, il en profite pour tacler par la même occasion le modèle de société et l’autorité suédoise avec cette histoire de berceau abandonné dans le wagon d’un train ou encore la séquence de contrôle dans le métro qui rend compte de l’état procédurier qu’est devenu la Suède.
En plus d’un fond passionnant et incroyablement profond, « Play » est aussi impressionnant d’un point de vue formel. Tourné exclusivement en plan fixes, les mouvements et zooms-arrière crées en post-production dévoilent le plus souvent dans leurs recoins, en avant comme en arrière plans, quelques clés essentielles qui donnent une toute autre dimension au propos.
Les longues séquences se succèdent et trouvent leur rythme dans les jeux excellents des jeunes acteurs qui enchaînent tour à tour leurs jeux de rôles et leurs petits complots pendant souvent plus de dix minutes. Voir les deux groupes interagir à travers l’excellent sens des plans du réalisateur et sa brillante utilisation du hors-champs est tout bonnement captivant. Pour couronner le tout, Östlund clôt son film sur une scène absolument surprenante et dérangeante, jouant avec brio sur les attentes et la position du spectateur. Une réussite totale.


Snow Therapy
Réalisé par Ruben Ӧstlund
Avec Johannes Kuhnke, Lisa Loven Kongsli, Clara Wettergren
Comédie dramatique
1h58
2014
Suède
Une famille suédoise passe ensemble quelques précieux jours de vacances dans une station de sports d’hiver des Alpes françaises. Le soleil brille et les pistes sont magnifiques mais lors d’un déjeuner dans un restaurant de montagne, une avalanche vient tout bouleverser. Les clients du restaurant sont pris de panique, Ebba, la mère, appelle son mari Tomas à l’aide tout en essayant de protéger leurs enfants, alors que Tomas, lui, a pris la fuite ne pensant qu’à sauver sa peau… Mais le désastre annoncé ne se produit pas, l’avalanche s’est arrêtée juste avant le restaurant, et la réalité reprend son cours au milieu des rires nerveux. Il n’y a aucun dommage visible, et pourtant, l’univers familial est ébranlé. La réaction inattendue de Tomas va les amener à réévaluer leurs rôles et leurs certitudes, un point d’interrogation planant au dessus du père en particulier. Alors que la fin des vacances approche, le mariage de Tomas et d’Ebba est pendu à un fil, et Tomas tente désespérément de reprendre sa place de patriarche de la famille.
Ruben Östlund poursuit son travail d'entomologiste sadique : depuis ses débuts, ce formaliste sous influence hanekienne adore soumettre ses personnages et les spectateurs aux expériences les plus dérangeantes. Fort de son pitch imparable, de son cadre précis et de son rythme prégnant attisant la tension, le cinéaste tricote avec Snow Therapy une comédie grinçante sur un couple en crise ouverte, soudain torpillé par ses peurs et sa culpabilité. Il observe une société privilégiée, mais qui pète de trouille, asphyxiée par le principe de précaution, la normalisation forcée des comportements, l'absence criante de solidarité. Savoureux.


Réalisé par Ruben Ӧstlund
Avec Claes Bang, Elisabeth Moss, Dominic West
Comédie dramatique
2h22
2017
Suède, Allemagne, danemark, France
Christian est un père divorcé qui aime consacrer du temps à ses deux enfants. Conservateur apprécié d’un musée d’art contemporain, il fait aussi partie de ces gens qui roulent en voiture électrique et soutiennent les grandes causes humanitaires. Il prépare sa prochaine exposition, intitulée « The Square », autour d’une installation incitant les visiteurs à l’altruisme et leur rappelant leur devoir à l’égard de leurs prochains. Mais il est parfois difficile de vivre en accord avec ses valeurs : quand Christian se fait voler son téléphone portable, sa réaction ne l’honore guère… Au même moment, l’agence de communication du musée lance une campagne surprenante pour The Square : l’accueil est totalement inattendu et plonge Christian dans une crise existentielle.
Ruben Östlund est un fidèle de la Croisette et un habitué des prix. Passé par la Quinzaine en 2011 avec Play, Un Certain Regard en 2008 (Happy Sweden) et en 2014 avec Snow Therapy, le cinéaste nordique s'est vu, à deux reprises, récompensé par les jurys. En 2017, il a atteint le stade ultime en concourant pour la fameuse Palme avec The Square et mieux, en la recevant des mains du président du jury Pedro Almodóvar. Avec une mise en scène d'une virtuosité sans égale cette année-là en compétition, le long-métrage se moque allègrement de l'art. Des expositions loufoques à l'impressionnant dîner avec l'homme-chimpanzé, il nous offre des séquences tordantes, grinçantes, choquantes, inattendues mais lourdes de sens.  Comme pour son Snow TherapyRuben Östlund met une nouvelle fois la confiance (perdue) des sociétés nordiques au centre du récit grâce à un personnage principal, superbement écrit et interprété par l'impérial Claes Bang, conservateur de musée d’art contemporain peinant à concilier ses idéaux altruistes et son comportement égocentrique.


Sans filtre
Réalisé par Ruben Ӧstlund
Avec Harris Dickinson, Charlbi Dean Kriek, Woody Harrelson
Comédie dramatique
2h29
2022
France, Allemagne, Royaume-Uni, Etats-Unis
Après la Fashion Week, Carl et Yaya, couple de mannequins et influenceurs, sont invités sur un yacht pour une croisière de luxe. Tandis que l’équipage est aux petits soins avec les vacanciers, le capitaine refuse de sortir de sa cabine alors que le fameux dîner de gala approche. Les événements prennent une tournure inattendue et les rapports de force s'inversent lorsqu'une tempête se lève et met en danger le confort des passagers.
L’après Palme d’or est toujours difficile à négocier pour un cinéaste. Comment revenir sur la Croisette après avoir conquis le Graal ? Comment se renouveler au risque de décevoir les premiers fans ? Le réalisateur suédois Ruben Östlund apporte une réponse cinglante à tous ceux qui espéraient qu’il s’assagisse, une fois repu. Farce grotesque sur notre monde des apparences et les nouveaux riches, «Sans filtre» vomit notre époque au sens propre comme au sens figuré. Une sorte de hara-kiri cinématographique qui restera comme l’un des grands films de ce 75e Festival de Cannes, comme «La Grande bouffe» en son temps. Le fait qu'il soit récompensé de la Palme d'or en dit aussi long sur notre époque... «Triangle of Sadness» (le titre original fait référence au froncement des sourcils) est conçu en trois actes, le premier est une conversation édifiante entre Ken et Barbie 2.0, Carl et Yaya, le deuxième une variation grotesque jusqu’au malaise de «La Croisière s’amuse», le troisième un «Koh-Lanta» revisité où les rôles s’inversent. La charge est un peu facile, certains gags se répètent jusqu’à la nausée mais Ruben Östlund réussit une nouvelle fois son coup. Provoquer un rire du «malaise» en nous tendant un miroir si peu déformant. A la surprise générale, le film a donc obtenu la Palme d'or... Car c'est bien là le paradoxe que Ruben Östlund lui-même reconnait. Le milieu des happy few qu'il fustige depuis «The Square» l'a adoubé quand la critique, elle, est plus circonspecte et l'accuse de cynisme. Nul n'est prophète en son pays mais il faut être aveugle pour ne pas être impressionné par la manière dont Ruben Östlund construit chaque scène comme une installation d'art contemporain où il mobilise l'attention du spectateur devant une situation qui s'éternise.