Ruben Ӧstlund
Suède, 1974
The
guitar Mongoloid
Réalisé
par Ruben Ӧstlund
Avec
Mikael Allu, Bjarne Gunnarsson, Erik Gustafsson
Comédie
dramatique
1h25
2004
Suède
Le
quotidien étrange d’une ville suédoise : un groupe de jeunes vole
et détruit des vélos, une femme cherche le sien, un enfant
handicapé mental joue de la guitare, des hommes jouent à la
roulette russe…
Contrairement
à ses satires somptueusement grotesques parodiant les riches oisifs,
le premier long métrage de Ruben Östlund adopte une esthétique
lo-fi qui rappelle les débuts provocateurs d’Harmony Korine. Une
aventure urbaine déjantée qui combat l’ennui du quotidien avec
des pitreries choquantes.
Oui,
c’est vrai, Östlund a l’œil, et sait capter l’étrangeté du
quotidien, et sa violence sous-jacente, à travers des scènes
drôlatiques ou étranges filmées en plan éloigné, en caméra fixe
et en plans-séquence. Mais on a du mal à deviner le but de cette
successions de situations plus ou moins liées entre elle si ce n'est
qu'elles mettent en scène une poignée d'individus plus ou moins
truculents, plus ou moins frappés... Östlund, on le sait
aujourd'hui, n'aime rien tant qu'enregistrer l'aliénation de la
société, ou plutôt le moment où la folie s'introduit dans nos
vies et on sent qu'il a une petite préférence pour les instants qui
partent en vrille. On sent déjà une attirance pour ces moments
"grinçants", décalés, déroutants, même si ici les
farces tournent souvent très court et et qu'on frôle l'ennui plus
souvent qu'à son tour... C'est la qualité et le défaut du film :
il peut ennuyer parfois, être carrément grimaçant et déplaisant...
mais il a le mérite d'aller chercher justement ces émotions-là
chez le spectateur, et à ce titre il a toutes les raisons d'exister.
Avec ce premier film, Ӧstlund est donc sur les rails et possède
déjà un style propre et un œil. Il développera par la suite bien
plus amplement, dans des fictions beaucoup plus ambitieuses, ce
regard de "poil à gratter" de la société suédoise.
Happy
Sweden
Réalisé
par Ruben Ӧstlund
Avec
Villmar Björkman, Linnea Cart-Lamy, Leif Edlund, Sara
Eriksson
Comédie
dramatique
1h38
2008
Suède
L'influence
du groupe sur l'individu. L'individu qui pense trop à son image.
L'imbécile qui fait des blagues salaces pour amuser la galerie, deux
adolescentes qui jouent aux allumeuses, la maîtresse d'école zélée
qui en fait trop avec ses collègues... jusqu'au jour où les limites
sont franchies. Un tableau de la société suédoise telle qu'on ne
la soupçonne pas.
Construit
comme un puzzle, c’est un film déconcertant. Ruben Östlund fait
une peinture non-conformiste de la société suédoise, qui est
parfois drôle mais le plus souvent corrosif et glaçant. C’est une
véritable analyse clinique des comportements humains, qui nous place
en tant que spectateur devant ces scènes de la vie sociale ordinaire
où tout peut déraper. Le groupe comme phénomène social constitue
ici un véritable laboratoire .A travers cinq « vignettes » sans
liens entre elles, mais dont le seul point commun est d’opposer une
personne au jugement d’un groupe. Si les situations de
chaque récit se déversent un peu trop facilement dans l’écumoire
de la démonstration globale – c’est le risque des films
à sketches – la dislocation de la narration et l’utilisation
singulière du cadre font d’Happy Sweden un film bien moins
innocent que son titre français ne le laisse penser. À l’instar
de son premier long-métrage, Happy Sweden met un point
d’honneur à briser le lambris de l’apparente harmonie des
images d’Epinöl. Face à l’archétype d’une société
harmonieuse et consensuelle, le fameux modèle suédois, de petites
fissures s’infiltrent sournoisement, invisibles à l’œil
nu. Le scalpel de l’image les révèle et il est réconfortant que
cela soit fait subtilement, avec tact et sans clin d’œil
complaisant.
Réalisé
par Ruben Ӧstlund
Avec
Kevin Vaz, Johan Jonason, John Ortiz
Drame
1h58
2011
Suède,
France
Entre
2006 et 2008, en plein centre ville de Göteborg en Suède, un groupe
de garçons âgés de douze à quatorze ans rackette d’autres
enfants à plus de quarante reprises. Par le biais d’un savant jeu
de rôles qui reposait sur l’usage d’une rhétorique de gang, les
voleurs ont mis au point une stratégie élaborée connue sous le nom
de « coup du petit frère », n’impliquant aucune violence
physique.
S’il
avait été sélectionné en compétition officielle, « Play »
aurait été le film-scandale de cette édition du Festival de Cannes
2011. Passionnant dans sa rhétorique et évoquant la dialectique
comme arme suprême au cœur d’un monde de contradictions
idéologiques et sociologiques, Ruben Östlund dresse avec « Play »
un révoltant et glaçant constat qui laisse la tension s’installer
séquences après séquences. Non dénué pour autant d’humour, il
en profite pour tacler par la même occasion le modèle de société
et l’autorité suédoise avec cette histoire de berceau abandonné
dans le wagon d’un train ou encore la séquence de contrôle dans
le métro qui rend compte de l’état procédurier qu’est devenu
la Suède.
En plus d’un fond passionnant et incroyablement
profond, « Play » est aussi impressionnant d’un point de vue
formel. Tourné exclusivement en plan fixes, les mouvements et
zooms-arrière crées en post-production dévoilent le plus souvent
dans leurs recoins, en avant comme en arrière plans, quelques clés
essentielles qui donnent une toute autre dimension au propos.
Les
longues séquences se succèdent et trouvent leur rythme dans les
jeux excellents des jeunes acteurs qui enchaînent tour à tour leurs
jeux de rôles et leurs petits complots pendant souvent plus de dix
minutes. Voir les deux groupes interagir à travers l’excellent
sens des plans du réalisateur et sa brillante utilisation du
hors-champs est tout bonnement captivant. Pour couronner le tout,
Östlund clôt son film sur une scène absolument surprenante et
dérangeante, jouant avec brio sur les attentes et la position du
spectateur. Une réussite totale.
Snow Therapy
Réalisé
par Ruben Ӧstlund
Avec
Johannes Kuhnke, Lisa Loven Kongsli, Clara Wettergren
Comédie
dramatique
1h58
2014
Suède
Une
famille suédoise passe ensemble quelques précieux jours de vacances
dans une station de sports d’hiver des Alpes françaises. Le soleil
brille et les pistes sont magnifiques mais lors d’un déjeuner dans
un restaurant de montagne, une avalanche vient tout bouleverser. Les
clients du restaurant sont pris de panique, Ebba, la mère, appelle
son mari Tomas à l’aide tout en essayant de protéger leurs
enfants, alors que Tomas, lui, a pris la fuite ne pensant qu’à
sauver sa peau… Mais le désastre annoncé ne se produit pas,
l’avalanche s’est arrêtée juste avant le restaurant, et la
réalité reprend son cours au milieu des rires nerveux. Il n’y a
aucun dommage visible, et pourtant, l’univers familial est ébranlé.
La réaction inattendue de Tomas va les amener à réévaluer leurs
rôles et leurs certitudes, un point d’interrogation planant au
dessus du père en particulier. Alors que la fin des vacances
approche, le mariage de Tomas et d’Ebba est pendu à un fil, et
Tomas tente désespérément de reprendre sa place de patriarche de
la famille.
Ruben
Östlund poursuit son travail d'entomologiste sadique : depuis ses
débuts, ce formaliste sous influence hanekienne adore soumettre ses
personnages et les spectateurs aux expériences les plus
dérangeantes. Fort de son pitch imparable, de son cadre précis et
de son rythme prégnant attisant la tension, le cinéaste tricote
avec Snow Therapy une comédie grinçante sur un couple en crise
ouverte, soudain torpillé par ses peurs et sa culpabilité. Il
observe une société privilégiée, mais qui pète de trouille,
asphyxiée par le principe de précaution, la normalisation forcée
des comportements, l'absence criante de solidarité. Savoureux.
Réalisé
par Ruben Ӧstlund
Avec
Claes Bang, Elisabeth Moss, Dominic West
Comédie
dramatique
2h22
2017
Suède,
Allemagne, danemark, France
Christian
est un père divorcé qui aime consacrer du temps à ses deux
enfants. Conservateur apprécié d’un musée d’art contemporain,
il fait aussi partie de ces gens qui roulent en voiture électrique
et soutiennent les grandes causes humanitaires. Il prépare sa
prochaine exposition, intitulée « The Square », autour d’une
installation incitant les visiteurs à l’altruisme et leur
rappelant leur devoir à l’égard de leurs prochains. Mais il est
parfois difficile de vivre en accord avec ses valeurs : quand
Christian se fait voler son téléphone portable, sa réaction ne
l’honore guère… Au même moment, l’agence de
communication du musée lance une campagne surprenante pour The
Square : l’accueil est totalement inattendu et plonge Christian
dans une crise existentielle.
Ruben
Östlund est un fidèle de la Croisette et un habitué
des prix. Passé par la Quinzaine en 2011 avec Play, Un Certain
Regard en 2008 (Happy Sweden)
et en 2014 avec Snow
Therapy, le cinéaste nordique s'est vu, à deux reprises,
récompensé par les jurys. En 2017, il a atteint le stade ultime en
concourant pour la fameuse Palme avec The
Square et mieux, en la recevant des mains du président
du jury Pedro Almodóvar.
Avec une mise en scène d'une virtuosité sans égale cette année-là
en compétition, le long-métrage se moque allègrement de
l'art. Des expositions loufoques à l'impressionnant dîner avec
l'homme-chimpanzé, il nous offre des séquences tordantes,
grinçantes, choquantes, inattendues mais lourdes de sens.
Comme pour son Snow
Therapy, Ruben
Östlund met une nouvelle fois la confiance (perdue) des
sociétés nordiques au centre du récit grâce à un
personnage principal, superbement écrit et interprété par
l'impérial Claes Bang,
conservateur de musée d’art contemporain peinant à
concilier ses idéaux altruistes et son comportement égocentrique.
Sans
filtre
Réalisé
par Ruben Ӧstlund
Avec
Harris Dickinson, Charlbi Dean Kriek, Woody Harrelson
Comédie
dramatique
2h29
2022
France,
Allemagne, Royaume-Uni, Etats-Unis
Après
la Fashion Week, Carl et Yaya, couple de mannequins et influenceurs,
sont invités sur un yacht pour une croisière de luxe. Tandis que
l’équipage est aux petits soins avec les vacanciers, le capitaine
refuse de sortir de sa cabine alors que le fameux dîner de gala
approche. Les événements prennent une tournure inattendue et les
rapports de force s'inversent lorsqu'une tempête se lève et met en
danger le confort des passagers.
L’après
Palme d’or est toujours difficile à négocier pour un cinéaste.
Comment revenir sur la Croisette après avoir conquis le Graal ?
Comment se renouveler au risque de décevoir les premiers fans ? Le
réalisateur suédois Ruben Östlund apporte une réponse
cinglante à tous ceux qui espéraient qu’il s’assagisse, une
fois repu. Farce grotesque sur notre monde des apparences et les
nouveaux riches, «Sans filtre» vomit notre époque au sens propre
comme au sens figuré. Une sorte de hara-kiri cinématographique qui
restera comme l’un des grands films de ce 75e Festival de Cannes,
comme «La Grande bouffe» en son temps. Le fait qu'il soit
récompensé de la Palme d'or en dit aussi long sur notre époque...
«Triangle of Sadness» (le titre original fait référence au
froncement des sourcils) est conçu en trois actes, le premier est
une conversation édifiante entre Ken et Barbie 2.0, Carl et Yaya, le
deuxième une variation grotesque jusqu’au malaise de «La
Croisière s’amuse», le troisième un «Koh-Lanta» revisité où
les rôles s’inversent. La charge est un peu facile, certains gags
se répètent jusqu’à la nausée mais Ruben Östlund réussit
une nouvelle fois son coup. Provoquer un rire du «malaise» en nous
tendant un miroir si peu déformant. A la surprise générale,
le film a donc obtenu la Palme d'or... Car c'est bien là le paradoxe
que Ruben Östlund lui-même reconnait. Le milieu des happy few qu'il
fustige depuis «The Square» l'a adoubé quand la critique, elle,
est plus circonspecte et l'accuse de cynisme. Nul n'est prophète en
son pays mais il faut être aveugle pour ne pas être impressionné
par la manière dont Ruben Östlund construit chaque scène
comme une installation d'art contemporain où il mobilise l'attention
du spectateur devant une situation qui s'éternise.