Metteur en scène américain (Etats-Unis), 1939
L'ouest
sauvage et nu
Réalisé
par Francis Ford Coppola.
Avec
Karl Schanzer, Don Kenney, Marli Renfro, Virginia Gordon
Film
américain
Genre :
comédie western
Durée :
1h09
Année
de production : 1962
Lors
d'un voyage à Las Vegas, la rencontre improbable entre deux hommes
radicalement différents : Samuel Hill, un mineur, et Benjamin
Jabowski, un riche citadin.
Comme
beaucoup de grands réalisateurs, les débuts de Francis Ford Coppola
sont souvent oubliés... Ou passé sous silence. Il faut dire que le
cinéma d'exploitation est rarement bien perçu...
En
réalité, le film mélange pas mal d'images d'un court métrage de
Coppola intitulé The Peeper , ainsi que celles d'un projet de
western inachevé se déroulant dans une colonie nudiste. Et le
mélange donne un film qui voit s'opposer deux visions du monde au
travers de ce mineur et du riche bonhomme. Mais ce n'est pas ce qui
semble intéresser un réalisateur surtout porté sur le corps de ses
actrices, et notamment sur leurs seins.
Le
scénario ? En 1961, deux hommes (l'un à l'allure chic représentant
le puritanisme pré-60's et l'autre, au look de cowboy, en proie à
ses bas instincts), se retrouvent dans un strip-club et conversent
d'un troisième qui serait atteint d'une étrange malédiction, en se
baladant sur sa monture dans le sud-ouest américain il aurait vu une
femme nue apparaître en face de lui. Pris de panique il s'empresse
de fuir vers la ville, arrivé à destination il décide de se faire
un blackjack pour retrouver ses esprits, quand tout à coup, en
lèvant les yeux de ses cartes, il remarque que la dizaine de femmes
présentes dans l'établissement sont toutes complètement nues mais
ne semblent pas le remarquer. Titubant de surprise et de peur le
bougre alerte le sheriff qui décide de l'enfermer en entendant cette
histoire grotesque.
Tonight
for Sure va alors présenter la propagation de cette "maladie"
sur nos deux compères, du cowboy hypnotisé et surexcité par les
danses sensuelles qui passent sur scène, au puritain impeccable sur
lui-même qui va commencer à voir de plus en plus de femmes nues
dans des flashbacks, à les stalker, les espionner, les voir en rêve,
faire du voyeurisme exacerbé, il en devient progressivement fou et
on finit par ne plus savoir si il hallucine ou si ses actions sont
bien réelles.
De
là à dire que ça suffit à faire un film, Il y a un pas de géant
à faire mais on a vu des premiéres tentatives bien plus honteuses
que ça.
Au
final Tonight for Sure est une critique de la société du
début des années 60 et de ses mœurs qui cachent le sexe et le
séparent de la condition humaine. Un plaidoyer pour la libération
sexuelle et son affranchissement de nombreuses conventions.
La
caméra est cependant l'un des gros points faibles dans les premiers
films de Coppola notamment au niveau de la prise d'image, voire de
l'angle, sentiment dû à un cadrage qui parfois n'arrive même pas à
suivre l'action. On a cette impression que Coppola ne fait qu'une
prise faute de moyen comme dans Dementia 13 où l'on peut
voir le "micro-perche" entrer dans le cadre de manière
visible ce qui donne un effet bricolé et baclé au film, style que
FFC aura pendant quelques années. Quelques années durant lesquelles
le réalisateur n'aura qu'une portée limitée faute à sa
réalisation trop standardisée, scolaire et pas assez travaillée
qu'il gardera jusqu'à The Rain People, le film qui précde Le
Parrain.
Avec
June Wilkinson, Don
Kenney, Karin Dor
Film
américain
Genre :
comédie
Durée :
1h34
Année
de production : 1962
George,
un groom aspire à être un détective privé et lit un livre pour
apprendre le métier. Les activités « suspectes »
des femmes de l’hôtel lui permettent de mettre en pratique ses
compétences. Surprise! Elles sont les représentantes d’un
fabricant de lingerie. Pour approfondir ses recherches, George
se présente comme un acheteur potentiel, et les femmes se relaient
pour modéliser leurs produits.
The
Bellboy and the Playgirls est remarquable pour être en partie
réalisé par l’étudiant cinéaste Francis Ford Coppola. Le
film peut être divisé en deux parties. L’une est un film
allemand en noir et blanc et de très faible qualité "Mit Eva
fing die Sünde an" de Fritz Umgelter ("Le péché a
commencé avec Eva"). Le second est un film nudie couleur
que Coppola a réalisé. Les images couleur de Coppola sont
facilement identifiables dans le film fini et les cinq séquences de
Coppola totalisent près de cinquante minutes de temps d'écran mais
le script est vraiment mauvais. Il essaie d’être drôle sans
y parvenir tellement les blagues sont potaches.
Coppola était
étudiant à l'Université de Californie, à l' école de cinéma de
Los Angeles et ses camarades de classe n'étaient pas d'accord avec
son choix de se lancer dans des films d'exploitation. Coppola a
déclaré: "On m'a traité de cop-out, parce que j'étais prêt
à faire des compromis". Coppola était complètement fauché,
donc il essayait de survivre en suivant la tendance absurde en vogue
dans les années 60 aux Etats-Unis, à savoir prendre des films
étrangers, les acheter et y ajouter des images qui n’ont rien à
voir avec le film puis vendre des billets à bas prix.
On
pensait que le film avait été perdu après sa sortie en 1962 et sa
sortie ultérieure sur bande vidéo, mais un collectionneur de
souvenirs de Coppola avait une copie du film. Peu de temps après la
sortie du film, Coppola a commencé à travailler avec Roger Corman.
Réalisé
par Francis Ford Coppola, Mikhail
Karzhukov, Aleksandr Kozyr
Avec
Ivan
Pereverzev, Aleksandr Shvorin, Konstantin Bartashevich
Film
américain
Genre :
science fiction
Durée :
1h15
Année
de production : 1962
Dans
une future Terre, où le monde
post-atomique s'est regroupé en deux grands conglomérats de pays:
North Hemis et South Hemis, les deux factions sont engagées dans une
course spatiale vers Mars. Mais les équipages des deux vaisseaux
spatiaux rivaux finissent par devoir unir leurs forces pour se sauver
et rentrer chez eux.
« Battle
Beyond the Sun » est la version américaine doublée et
rééditée en anglais de « Nebo Zovyot » , un film de
science-fiction soviétique de 1959 qui décrit l’avenir de
l’humanité dans l’espace de manière réaliste avec des effets
spéciaux et des décors soignés. D'ailleurs, l’équipe à
l’origine de 2001 , l'odyssée de l’espace, utilise un
certain nombre de dessins et d'illustrations de Nebo
Zovyot lorsqu’il lui faut concevoir l’intérieur de sa
station spatiale.
Roger
Corman a acquis le film soviétique pour une distribution américaine
et a embauché un jeune étudiant en école de cinéma nommé Francis
Ford Coppola pour l'américaniser. C'est toujours le récit de la
"course à l'espace", de deux nations en compétition pour
devenir les premières à faire atterrir un vaisseau spatial sur la
planète Mars , mais fait basculer les nations concurrentes, via le
doublage, de l'URSS et des États-Unis vers les futurs pays fictifs
de North Hemis et South Hemis. Les noms non seulement des personnages
soviétiques, mais aussi de leurs interprètes, ainsi que du
générique de l'équipe, ont été modifiés à l'écran en noms à
consonance américaine afin de masquer davantage les origines du
film. Ainsi les stars soviétiques Aleksandr Shvorin et Ivan
Pereverzev sont devenues " Andy Stewart "et" Edd Perry
", ainsi que les réalisateurs soviétiques Mikhail Karyukov et
Aleksandr Kozyr sont devenus" Maurice Kaplin "et"
Arthur Corwin "- et ont également été rétrogradés au statut
de directeur adjoint. Le directeur désigné de la mise en scène est
nommé Thomas Colchart ; les sources varient quant à savoir à qui
appartient ce nom (Karyukov et / ou Kozyr, Coppola, ou un directeur
de doublage américain engagé).
Acheter
un film original et le détourner était une pratique courante pour
une entreprise qui était prête à mettre à peu près n'importe
quoi à l'écran pour gagner de l'argent. Le bon film
soviétique initial a été massacré. L'histoire devenue illogique,
est principalement expliquée dans une narration en voix off et les
dialogues anglais sont maladroitement doublés. Les deux monstres
sont absurdes et l'un d'eux ressemble à une vulve géante
désincarnée ornée d'une rangée de dents acérées comme un rasoir
et ne font que provoquer les rires.
Espérons
qu'avec le temps, un effort de restauration pourra être fait pour
montrer le film avec seulement ses segments russes originaux et des
sous-titres dans la langue appropriée.
Réalisé
par Francis Ford Coppola
Avec
William Campbell, Luana Anders, Bart Patton
Film
américain
Genre :
thriller horrifique
Durée :
1h15
Année
de production : 1963
En
Irlande, toute
la famille est réunie autour de Lady Haloran pour discuter de son
testament. Une belle occasion pour ressasser de vieilles rancoeurs et
exorciser un terrible secret de famille. C'est le moment que choisit
un tueur à la hache pour éliminer un à un les membres de la
famille.
Avant
d’être l’un des pères du Nouvel Hollywood, Francis Ford Coppola
a commencé de façon particulièrement modeste. Son premier
long-métrage est d’ailleurs un softporn tombé aux oubliettes. Il
débute véritablement sous la houlette de Roger Corman, producteur
et réalisateur à la filmographie impressionnante, ayant découvert
de nombreuses figures du cinéma américain. Coppola participe alors
au scénario ou collabore en tant qu’assistant réal sur certains
films de Corman. En 1963, il est aux rênes de Dementia 13, film
d’horreur à petit budget comme c’est souvent le cas au sein des
productions estampillées Corman. On est évidemment très loin de la
maestria dont le cinéaste nous aura habitué plus tard avec sa
trilogie du Parrain ou d’Apocalypse Now, mais Dementia
13 bénéficie de plusieurs qualités. Micro budget (40 000
dollars), Dementia 13 a été tourné en utilisant les
mêmes décors, la même équipe technique et le même casting qu’un
autre film de Corman où Coppola officiait en tant qu’assistant
réal. Bien
que Dementia 13 soit un film très imparfait, et n’ayant
pas forcément de grandes ambitions, le film reste une curiosité
intéressante car elle nous montre les débuts modestes d’un auteur
qui s’affirmera au cour des années 70, s’extirpant du cinéma
d’exploitation pour offrir de véritables chefs d’oeuvre.
Dans Dementia 13, on distingue à quelques moments ces
fulgurances qui seront légions dans la suite de sa carrière. Cela
peut être un choix d’angle de caméra offrant une terreur
insidieuse, une musique angoissante venant pointer le bout de son nez
ou une gestion des ombres riche de sens. Dans son exécution, Dementia
13 reste efficace, arrivant à nous intéresser au long de sa
petite heure et quart malgré une trame des plus basiques. Le film ne
se démarque cependant pas des autres productions Corman de l’époque,
et même semble assez fade comparé aux grands classiques du
monsieur, notamment ses adaptations d’Edgar Allan Poe.
Big
boy
Réalisé
par Francis Ford Coppola
Avec
Elizabeth Hartman, Geraldine Page, Peter Kastner, Rip Torn
Film
américain
Genre :
comédie dramatique
Durée :
1h37
Année
de production : 1966
L'émancipation
du jeune Bernard Chanticleer va passer par un amour déseséré pour
la belle Barbara qui déteste les hommes et le vol du livre le plus
rare de la bibliothèque ou il travaille, dont son père est le
directeur.
Bien
qu'il a quitté l'école depuis quelques années, ce film fut accepté
comme film de sa thèse de fin d'études dans le cadre de sa maîtrise
dans les systèmes universitaires anglo-saxons à
l'université
de Californie à Los Angeles.
Francis Ford Coppola est alors sous contrat avec Seven
Arts Productions pendant
trois ans. Il écrit environ une quinzaine de scripts, dont la
plupart ne seront jamais produits. Il acquiert les droits du roman de
David Benedictus, You're a Big Boy Now, et commence à écrire
le script sur son temps libre, tout en participant à l'écriture
de Paris
brûle-t-il ? (1966).
Alors que le roman se passe à Londres,
Francis Ford Coppola décide de transposer l'intrigue à New
York.
Il approche Roger
Corman pour
produire le film, mais quand Seven Arts découvre le scénario, il
exige qu'il soit produit uniquement par Seven Arts.
Le tournage a
lieu à New
York,
principalement à Manhattan (Central
Park, Greenwich
Village, New
York Public Library, Times
Square).
Dès
les premières images, on est frappé d'une évidence, celle d'être
devant l'oeuvre débutante (cinquième film et premier vrai succès)
de quelqu'un qui est déjà un auteur... Un scénario inventif, une
liberté de ton absolue, à l'instar de celle de l'interprète
principal (Peter Kastner) qui sillonne la ville en patins à
roulettes et dévore la vie aussi bien que l'asphalte. C'est
l'histoire d'une entrée dans la vie en forme d'initiation sauvage et
joyeuse racontée sur un ton toujours juste et jamais complaisant.
L'étude des rapports avec les parents est d'une finesse remarquable,
sans jamais tomber dans la caricature ni le mauvais goût. La
direction d'acteurs, précise, intelligente et efficace, la caméra,
surtout, libre et légère, le montage enfin, nerveux, rythmé
achèvent de donner à l'ensemble une allure de vie intense et
bouillonnante qui traduit parfaitement les pensées, les angoisses et
les espoirs du jeune homme. Une réussite surprenante de maturité
pour ce Coppola de 27 ans même si « the graduate » de
Mike Nichols sorti l'année d'après reste la référence en ce qui
concerne les films d'initiation des jeunes hommes aux arts et
sciences de l'amour.
La
vallée du bonheur
Réalisé
par Francis Ford Coppola
Avec
Fred Astaire, Petula Clark, Tommy Steele, Don Francks, Keenan Wynn
Film
américain
Genre :
comédie musicale
Durée :
2h15
Année
de production : 1968
Finian
McLonergan, accompagné de sa fille Sharon, débarque de son Irlande
natale à Fort Knox, dans le Kentucky. Il a un grand et ambitieux
projet : faire de cette région la vallée du bonheur. A cet effet,
il a dérobé au farfadet irlandais Og une mystérieuse vasque d'or
dotée de fabuleux pouvoirs magiques quelques jours plus tôt. De
fait, il arrive à temps pour sauver de la ruine le brave Woody. Ce
dernier est en effet menacé par l'ignoble sénateur Rawkins, un
esclavagiste obstiné qui veut le déposséder de ses terres sous
prétexte qu'il n'a pas payé ses impôts. Dès le premier regard,
Woody et Sharon s'éprennent l'un de l'autre...
La
Vallée du Bonheur, c’est surtout un film
regroupant cinq personnalités exceptionnelles : Francis
Ford Coppola, … cinq fois récompensé aux oscars ; Fred
Astaire dont la Vallée du Bonheur a été le dernier film musical,
peu avant qu’il prenne sa retraite d’acteur ; La chanteuse
Petula Clark dans le rôle principal féminin ;Tommy Steele,
célèbre chanteur de rock’n’roll, légende vivante chez les
anglophones, dans le rôle du personnage comique taré ; enfin
Georges Lucas qui faisait son stage de troisième sur ce plateau
de tournage…
Pour
comprendre comment Coppola a pu se lancer dans un défi pareil, il
faut savoir qu’à l’origine, la Vallée du Bonheur est une
comédie musicale. Nommée « L’arc-en-ciel de Finian »
(Finian’s Rainbow), elle s’est jouée à Broadway de 1947 à
1948. Malgré quelques récompenses, elle fut vite oubliée, bien que
régulièrement ressortie du placard… Des reprises ont été
effectuées en 1955, 1960 et plus récemment en 2010. L’intrigue de
la comédie musicale est quasi la même que celle du film avec
quelques extrapolations pour aborder le thème du racisme et pour
accorder une plus grande place à Fred Astaire. Les chansons
originelles ont toutes été retravaillées. Dès 1948, la MGM était
intéressée pour acheter les droits et adapter la comédie musicale
en film, mais cela ne s’est pas fait, le propriétaire des droits
ne voulant pas les céder à n’importe quel prix. Ensuite, cela a
été compliqué… Une entreprise allemande a souhaité se lancer
avant d’abandonner. Puis en 1954, un film d’animation a commencé
à être réalisé et la bande-son a d’ailleurs été enregistrée…
avant que tout ne soit remisé de nouveau. En 1958, rebelote, malgré
un accord sur l’équipe de production, le projet était avorté. En
1965, Harold Hecht a lui aussi acquis les droits, sans que rien ne se
fasse. Ce n'est qu'en 1966 que Warner Bros a enfin démarré le
tournage après presque vingt ans de tergiversations.
Jadis,
les films musicaux très souvent adaptés des pièces de Broadway
attiraient de nombreux spectateurs et cumulaient les prix et
récompenses en festival. Ainsi, en 1961, tout le monde se souvient
de West Side Story et en 1965, My Fair Lady recevait l’Oscar du
meilleur film.
Francis
Ford Coppola savait donc ne pas prendre de risques en acceptant ce
projet : film musical + Fred Astaire + Petula Clark + Tommy
Steele, cela suffisait pour surfer sur la vague et gagner une place
sérieuse au box-office. Cependant, tout n’a pas été simple même
une fois le contrat signé. Il a fallu d'abord façonner le décor :
un vrai village a été construit pour les besoins du tournage, avec
école, magasin général, bureau de poste, maisons, granges, voie
ferrée… Puis Fred Astaire, aussi génial soit-il, a eu du mal à
se faire aux nouvelles techniques de tournage hors studio. Taper des
pieds dans de la bouse de vache, cela ne lui était pas folichon, lui
qui préférait les parquets craquant sous les souliers vernis. Il a
eu gain de cause : la majeure partie du film a fini par être
tournée en studio, créant des contrastes étranges entre les
parties intérieures et les parties extérieures. De plus, Petula
Clark avait peur de danser avec Fred Astaire. Quant à lui, il
flippait tout autant de chanter avec elle. Une équipe efficace,
certes, mais avec une ambiance un peu tendue… À tel point que le
chorégraphe Hermes Pan, ami de longue date d’Astaire, a été
licencié en cours de route. Clark, dans ses interviews ultérieures,
a précisé qu’heureusement, ils avaient une solution pour se
relaxer. En plein boom du Flower Power, une bonne partie de la
distribution pratiquait la marijuana.
Cela,
peut-être, permet d’expliquer pourquoi tout est si déjanté et
verdoyant…
Malgré
tous les efforts de Coppola, le film n’a pas eu les récompenses
espérées et s’est fait voler plusieurs prix par Oliver, une autre
comédie musicale basée sur Oliver Twist.
Les
critiques ont jugé à l’époque la réalisation vieillotte, se
désolant de l’âge de Fred Astaire, et La Vallée du bonheur a
même été qualifiée de « terriblement déprimante ».
Et
puis, des voix dissonantes se sont élevées voulant restituer à ce
film et à son univers délirant, gloire et noblesse. Ce film est
d’ailleurs un des films préférés des frères Coen.
En
effet cette comédie musicale sort du lot des autres productions du
même genre de l'époque en offrant des airs du registre jazz et
gospel. Peu de duos, mais de très belles chansons en chorale
(interprétées par les Ken Darby Singers). Peu de tap dance,
mais quelques pas de danse classique et contemporaine. Là où nous
trouvons le plus souvent un triangle amoureux, le film propose une
histoire plus humaine et ouverte sur le monde et son actualité.
Ainsi, le film parle beaucoup du racisme. La critique du roman et
film « Autant en emporte le vent » de Margaret Mitchell
est clairement explicite. Il n’est plus question de tolérer
l’esclavagisme. Un film engagé, en quelque sorte, même si
aujourd’hui, les moyens utilisés pour cette critique sociale
pourraient être qualifiés de poussiéreux et de bon enfant car
c’est certain que nous voyons de nos jours des scénarios beaucoup
plus fins sur ce thème. Mais en 1968, la question de l’égalité
entre les hommes était un sujet brûlant et très sensible.
Rappelons que l’Amérique nageait alors en plein courant des Blacks
Panthers et que les inégalités étaient légion. Pour remettre les
choses dans le contexte, rappelons que le discours « I have a
dream » du pasteur Martin Luther King date du 28 août
1963. Il y avait alors un grand chemin à faire… La Vallée du
bonheur est le premier pas maladroit d’une longue route que nous
parcourons toujours...
La
Vallée du Bonheur, c’est au final un
grand délire baroque qui part dans tous les sens, pour le meilleur
et pour le pire. L'imagination de Coppola force le respect, et sa
façon de mettre toutes ses idées, aussi kitsch ou nazouilles
soient-elles, à l'écran. Le montage hyper-cut, très rapide jusqu'à
l'absurde (peut-être pour masquer les approximations des acteurs et
des figurants sous amphètes ?) ajoute à l'impression de gros
brouillon mal corrigé. Avec toutes ces inspirations aussi
discutables qu'audacieuses, on finit par aimer ce film complètement
improbable, et par en oublier les nombreux défauts : un Astaire qui
se paye un dernier baroud d'honneur un peu poussif, une mièvrerie
fatigante, une musique assez immonde, et trop de longueurs. En plus,
il y a quelques mouvements de caméra assez faramineux (les
travellings arrière du grand morceau de bravoure choral de la
première partie, magnifique). Non, vraiment, un bon Coppola, contre
toute attente.
Les
Gens de la pluie
Réalisé
par Francis Ford Coppola
Avec
James Caan, Shirley Knight, Robert Duvall, Laurie Crews
Film
américain
Genre :
drame
Durée :
1h40
Année
de production : 1969
Une
jeune épouse enceinte fait une fugue et se lie d’amitié avec un
simple d’esprit.
Loin
des grandes œuvres qui ont fait le succès de Coppola, Les
gens de la pluie est un road movie troublant et intimiste
qui tend à l’Amérique un miroir implacable.
Les
Gens de la pluie est le long métrage de fiction qui marque
l’acte de naissance d’American Zoetrope, la maison de production
que Francis
Ford Coppola fonde
avec George
Lucas (présent
sur le tournage en qualité d’ « assistant ») afin
de s’émanciper des studios. La distance géographique (des locaux
à San Francisco, un tournage dans le Tennessee, en Virginie et au
Nebraska) entend tenir ceux-ci à distance, tandis que le budget
de ce road-movie modeste se fait sur le dos du dernier de Coppola, le
cinéaste ayant gonflé le coût de sa précédente comédie musicale
(La Vallée du bonheur) pour réaliser ce film plus directement
personnel. Il a pour origine un souvenir d’enfance, la mère
du réalisateur ayant quitté le foyer pour quelques jours, événement
qui le marqua durablement (probablement reste-t-il une trace de ce
souvenir dans l’argument de Coup
de cœur,
voyant deux membres d’un couple s’éloigner momentanément l’un
de l’autre afin d’éprouver leur amour). Errance d’une femme
aliénée (comme Alice
n’est plus ici de Martin
Scorsese avec
lequel il partage, outre des thèmes, un ton bucolique et
crépusculaire), le film organise la rencontre de deux - bientôt
trois - âmes en peine, dont un montage en fragments restitue les
psychés en morceaux.
Dans
ce film profondément émouvant, Coppola explore, expérimente, pose
ici et là, le long d’un chemin droit comme la route, les germes de
ce qui deviendront des leitmotivs de son œuvre (le clair-obscur
ciselant à la fin le visage de deux amants annonce bien d’autres
compositions dans une pénombre aux lumières chaudes et aux noirs
profonds). Et malgré quelques beaux arrêts pour admirer le paysage,
ce road movie est d’abord un voyage mental, une exploration de
crise dont toutes les clés ne sont pas livrées. On sent bien que
tous les personnages ont des failles, exprimées par des flash-back
furtifs, hachés, qui les emprisonnent dans un passé souvent
traumatique : le foot pour Killer, l’incendie dans lequel sa
femme a péri pour Gordon, le policier.
Coppola a adopté un
rythme lent, soutenu par une ballade mélancolique dont il n'abuse
pas, mais le film recèle des scènes marquantes dans lesquelles il
sait instaurer un malaise persistant : que ce soit dans l’hôtel
où Natalie joue à « Jacques a dit » avec Killer,
jusqu’à l’humilier (magnifique plan-séquence vue dans un triple
miroir) ou dans la rencontre avec Ellen, l’ex-petite amie de Killer
qui le rejette violemment, le spectateur ne peut qu’être troublé
par des jeux de pouvoir brutaux.
Même si les raisons du départ
de Natalie restent confuses, le scénario prend soin de la définir
par des caractéristiques récurrentes, comme le fait de parler
d’elle à la troisième personne. Mais son départ sonne surtout
comme le symbole d’un mal-être, qui imprègne toute une
génération ; il n’est d’ailleurs pas indifférent que la
même année, Dennis Hopper tourne Easy
rider et que, au détour d’un plan, on voie le
titre Bonnie and Clyde :
consciemment ou pas, Coppola s’inscrit dans ce qui va devenir le
« Nouvel Hollywood » et remet en cause, le temps d’un
beau film, aussi bien la morale traditionnelle que la mise en scène
classique. Il se lancera ensuite dans l’opulence opératique
triomphante avec les Parrain ou Apocalypse
now, mais sa veine intimiste ne mérite ni dédain ni
condescendance.
Le
parrain
Réalisé
par Francis Ford Coppola
Avec
Marlon Brando, Al Pacino, James Caan, Robert Duvall, John Cazale,
Richard Conte, Sterling Hayden, Diane Keaton, Al Lettieri, John
Marley, Talia Shire
Film
américain
Genre :
drame
Durée :
2h49
Année
de production : 1972
A
New York après la seconde guerre mondiale, un des chefs respectés
de la Mafia est la cible d’un attentat. Son fils organise
l’élimination de ses adversaires.
Avant même
que le livre ne soit terminé et après la lecture de seulement
quelques pages, la Paramount acquiert les droits d’un roman sur la
Mafia écrit par Mario Puzo et intitulé Le
Parrain.
Pour mener à bien ce qui n’est encore qu’un projet parmi
d’autres Robert
Evans,
le vice-président du studio en charge de la production, se met en
recherche de quelqu’un d’ambitieux, capable de tourner vite et
avec peu d’argent. Il contacte plusieurs grands noms comme Richard
Brooks, Arthur
Penn,
Peter Yates, John
Frankenheimer ou
Costa-Gavras. Mais tous refusent une histoire qui présente la pègre
avec beaucoup trop de charme. La Ligue Italo-Américaine des Droits
Civils s’inquiète, elle aussi, de l’image que le film donnera de
la communauté. Ses protestations très médiatisées attirent
l’attention du public sur le roman et participent, bien malgré
elle, à son succès en librairie. En octobre 1970, Robert
Evans contacte Francis
Ford Coppola,
32 ans : « Il
n’était pas seulement le seul réalisateur italo-américain que je
connaissais, mais le jeune réalisateur le plus brillant que je
connaissais »,
se souvient-il. Pour Evans,
le choix de Coppola s’avère
surtout stratégique : le studio veut capitaliser sur un nom
italien pour calmer la Ligue Italo-Américaine des Droits Civils. Or
le réalisateur partage les idées de celle-ci et « refuse absolument
d’immortaliser les familles qui ont assombri l’héritage
italien. »
Face à cette décision, Evans aime
à raconter s’être mis à genoux et supplier le réalisateur
de porter Le Parrain à l’écran. Il parvient à
faire revenir Coppola sur
sa décision, notamment parce que celui-ci doit trouver 600 000$
pour racheter sa société American Zoetrope à la Warner Bros.
« C’est
une question de survie »
lui conseille son ami et collaborateur George
Lucas,
rencontré sur le tournage des Gens de la pluie (1969).
Avec
des films comme La Kermesse de l’Ouest (Joshua Logan,
1969), Catch 22 (Mike Nichols, 1970), ou Traitre sur
commande (Martin
Ritt,
1970), la Paramount connait depuis quelques années des
dépassements de budget répétés qui mettent à mal l'équilibre
financier du studio, malgré l'énorme succès de Love Story (Arthur
Hiller, 1970). Désormais prudente, la direction de la Paramount
souhaite restreindre Le Parrain à une dimension
modeste. Evans commande
à Mario Puzo une adaptation de son roman, mais transposée dans les
années 70 et déplacée de New York à Saint Louis. Ces
modifications ont l’avantage de réduire le budget du film à 2,5
Millions $ et d’éviter que la pègre new-yorkaise ne se mêle du
tournage. Mais Coppola rejette
ces options : les comportements actuels ne sont plus les mêmes,
les mafieux ne se tirent plus dans les rues comme au temps de la
guerre des gangs. Surtout, il met un point d’honneur à ancrer
l’histoire au sortir de la Deuxième Guerre Mondiale, période
qui a vu l’essor de l’économie américaine - dont a également
profité la famille Corleone. Seulement la reconstitution de l’époque
a un coût et, après que Coppola a
obtenu de tourner certaines scènes en Sicile, le budget est presque
triplé. Le Parrain devient le blockbuster du studio pour
l’année 1972.
Le
bras de fer se poursuit tout au long du casting. Coppola est
extrêmement pointilleux sur l’acteur à qui distribuer le rôle de
Michael Corleone. Alors qu'Evans pense
tour à tour à Robert
Redford, Warren
Beatty ou
Ryan O’Neil (dont la carrière à explosé grâce à Love
story), Coppola qui
préfèrerait un acteur au physique plus typé, moins américain,
fait aussi passer des essais à Martin Sheen avant de fixer son choix
sur un certain Al
Pacino,
31 ans, qu’il a remarqué durant le montage de Panique
à Needle Park (Jerry
Schatzberg,
1971) et dont les grands-parents maternels, coïncidence ou signe du
destin, sont originaires... de Corleone, en Sicile. Pacino ne
reçoit évidemment pas les faveurs de Robert
Evans et
doit tourner de nombreux tests pour le convaincre. Il obtiendra le
rôle grâce à la ténacité de Coppola et
également pour des questions de délai : le studio ne veut pas
se mettre en recherche d’un autre réalisateur si Coppola quitte
l’aventure après ce refus, obligeant à décaler la sortie du film
et passer à côté de la vague de succès du livre. « OK, on
prend le nain ! » aurait lancé Evans,
en capitulant. Pour interpréter Sonny
Corleone, Coppola choisit James
Caan qu'il
connaît depuis la fin des années 50 lorsqu’il s’occupait du
théâtre de l’université et qu'il a dirigé dans son précédent
film, Les Gens de la pluie (1969). Natif de New York et
fils d’un trafiquant de viande, James
Caan a
grandi au milieu de la pègre : il a pu facilement
s’approprier la gestuelle des mafieux italiens et improviser
certains comportements, comme le billet de banque jeté
dédaigneusement au photographe au début du film. Son jeu nerveux
colle parfaitement au caractère imprévisible de Sonny. A l’opposé,
livrant une performance aussi forte que discrète, Robert
Duvall (que Coppola retrouve
lui aussi après Les Gens de la pluie) est un Tom Hagen
charismatique. Pendant la phase du casting, Coppola avoue
cependant avoir essuyé un refus : celui de l’actrice
italienne Stefania Sandrelli que le réalisateur souhaitait engager
pour le rôle d’Appolonia, l’épouse sicilienne de Michael.
Limité
par le budget du film, Coppola ne
pense pas pouvoir se payer une grande star pour le rôle de Don
Corleone. Il commence alors par auditionner « tous les vieux
Italiens qui existent » mais n’est convaincu par
personne. Laurence
Olivier est l'option principale du studio mais Coppola
réfléchit également à Marlon
Brando, en apprenant que Mario Puzo s’en est inspiré pour
imaginer Don Corleone. Seulement le studio considère que Brando est
fini dans le métier : ses derniers films ont été des
échecs cuisants et l’acteur de 47 ans a la réputation d’être
difficile sur les plateaux, régulièrement sujet à des débordements
qui occasionnent des retards. Les opposants à l’acteur se font
entendre : « En tant que président de Paramount, annonce
un jour Stanley Jaffe, je peux vous assurer que Marlon
Brando n’apparaîtra jamais dans ce film. Et plus
encore : en tant que président de la compagnie Gulf+Western, il
n’y a aucune discussion possible. » D’autres, comme le
producteur Dino de Laurentiis, mettent en garde : « Si Brando joue
le Don, ne pensez même pas sortir le film en Italie. Ils vont se
moquer de lui dans chaque scène. » Entre Robert
Evans et Coppola,
l’atmosphère devient glaciale. Le réalisateur refuse d’avancer
sur le casting tant que le rôle n’est pas distribué. Il défend
longuement la cause de Brando lors
d’une réunion restée célèbre : pour avoir le dernier mot
et montrer que l’acteur est indispensable au film, Coppola va
jusqu’à simuler un malaise. Il obtient alors l’accord du studio
qui demande, entre autres conditions, que Brando fasse
lui aussi des essais filmés. Contre toute attente, l’acteur
accepte. Il improvisera devant la caméra, kleenex dans la bouche et
cirage dans les cheveux (« Je veux ressembler à un bulldog »).
Sa transformation bluffe les cadres réticents qui ne le
reconnaissent pas : « Il a l’air italien, mais qui
est-ce ? » demanda Evans.
Coppola a
apporté au film une facture cinématographique alors que le roman
manquait singulièrement de style littéraire. Avec le directeur de
la photographie Gordon
Willis et le décorateur Dean
Tavoularis, il définit l’aspect visuel du film qui, pour
appuyer les errements de personnages tiraillés entre le Bien et le
Mal, évoluera entre la clarté et l’obscurité - pour Gordon
Willis, Don Corleone personnifie le diable. La première scène
est typique de ce choix : elle dégage une atmosphère funèbre
dans une pénombre où les personnages et les visages ne sont que
partiellement visibles. A force de travailler des images peu
éclairées, Willis gagnera
auprès de l’équipe le surnom de Prince des Ténèbres. « Mes
choix dans l'éclairage et la couleur ont été conçus pour créer
un sens mythique, rétrospectif » précise-t-il dans la
revue “American cinematographer”. Il reproduit autant que
possible le style des clichés anciens, avec du grain et une teinte
dorée, pour obtenir « cette photo sombre, brunâtre, qui
cherche à rappeler le noir & blanc, ou du moins à faire
oublier la couleur. » Imprégné de cinéma
classique, Francis Ford
Coppola s’inspire des films des années 40, période où
se déroule l’histoire, en privilégiant les plans fixes, en
évitant tout mouvement sophistiqué. Il fait de même avec
l’ambiance sonore, épurée, dénuée de grands effets. Contrastant
avec un calme apparent, Coppola joue
sur les tensions croissantes et apporte, avec cette simplicité
formelle, beaucoup de réalisme.
C’est
la première fois que Coppola travaille
avec Dean Tavoularis,
un décorateur qui deviendra à partir de ce film un allié de choix,
l’un de ses plus proches et fidèles collaborateurs. Pour figurer
la demeure des Corleone à Staten Island, Dean
Tavoularis s’inspire de la résidence des Kennedy,
modèle avoué pour la famille mafieuse : un clan puissant avec
à sa tête un patriarche et plusieurs fils d’envergure. Tavoularis,
adepte du détail, apprécie le challenge de recréer une époque.
Grâce à lui, le pari de la reconstitution est gagné et donne au
film un cachet supplémentaire. Il permet à Coppola de
montrer un temps qui n’existe plus et de saisir l’ambiance d’une
époque, comme il le fera quelques années plus tard avec Peggy
Sue s’est mariée (1986) ou Tucker (1988). Pour
parfaire l’authenticité du film et renforcer l’identité
italo-américaine, Coppola souhaite
garder les dialogues en italien. Il a l’audace d’imposer de
nombreuses scènes sous-titrées, chose rare pour un film
hollywoodien de cette envergure. Et comme il l’a déjà fait
sur Les Gens de la pluie (en donnant de petits rôles aux
habitants des provinces traversées par l’équipe de tournage), il
complète la distribution du film en organisant une audition libre
pour trouver des acteurs au physique typé. C’est ainsi qu’il
découvrit Abe Vigoda, remarquable Tessio.
Le
réalisateur s’adjoint les services de Nino
Rota, fidèle compositeur de Federico
Fellini. Confronté aux idées de Coppola qui
pensait plutôt à un style arabisant pour refléter l’aspect
archaïque de la Sicile, Nino
Rota trouve quelques difficultés à composer la fameuse
mélodie romantique. Robert
Evans craint que son travail soit trop « intellectuel »
et opératique, lui qui préfèrerait des mélodies plus populaires,
dans la lignée de ce que composa Francis Lai sur Love Story.
Pour Coppola, la
musique de Nino Rota et
la fameuse valse du Parrain ont apporté « un air
d’authenticité à la saveur italienne dont le film avait besoin. »
Le réalisateur utilise l’apparition du thème principal, hanté
par la tragédie, pour marquer l’évolution de Michael et souligner
les étapes qui le conduiront à la tête de la famille. « Le
choix de la valse renvoie de manière métaphorique à la manière
dont les êtres humains vont s’avérer des marionnettes dans les
mains de Vito puis de son fils » , idée reprise sur
l’affiche originale.
Les
relations entre Coppola et
le studio ne s’arrangent guère quand commence le tournage, avec un
nouveau coup de théâtre à la fin de la première
semaine : Evans déteste
les rushes et n’apprécie pas la photographie, qu’il pense trop
obscure. Il trouve aussi à redire sur le phrasé de Marlon
Brando dont
il ne comprend pas un traitre mot pendant la scène de réunion, à
l’usine d’huile d’olive. Evans a
presque décidé de renvoyer Coppola,
il essaye de contacter Elia
Kazan pour
le remplacer, estimant qu’il est le seul à savoir diriger l’acteur
correctement. En apprenant cela, Brando menace
de quitter le film : « Il a sauvé ma peau » avouera
plus tard Coppola qui
eut le temps de retourner la scène en question et d’améliorer le
résultat, rassurant suffisamment le producteur impatient. Coppola se
souvient encore très bien de cette fameuse semaine et s’étonne
encore aujourd’hui des réticences du studio à son égard puisque
certaines des scènes considérées comme parmi les meilleures du
film (l’hôpital, le restaurant) avaient été tournées pendant
ces premiers jours.
Comme
si les pressions du studio ne suffisaient pas, le réalisateur doit
aussi gérer les tempéraments de son équipe et supporter notamment
les divergences croissantes de Gordon
Willis, son directeur de la photographie. Cela finit par
tourner à l’affrontement de deux conceptions du cinéma, un
conflit de méthode et de génération : « Pour lui,
j’étais juste un gosse » se souvient Coppola qui
réécrit ses scènes jusqu’au dernier instant, privilégiant les
répétitions et l’improvisation, encourageant ses acteurs à se
déplacer dans le décor tout entier. Cela rend Willis furieux
car la lumière longuement préparée doit être retouchée :
« J’aime la discipline dans la mise en place et le
travail, disait-il. On ne peut pas tourner un film entier
en espérant des heureux accidents. Ce que l’on obtient n’est
qu’un énorme et mauvais accident. Francis n’était pas bien
préparé à ce genre de tournage. » Willis trouve Coppola à
ce point incompétent qu’il quittera le plateau à plusieurs
reprises. « Ce sont des artistes, pas des automates ! »
lui répondra le réalisateur. Michael
Chapman, opérateur caméra sur le film et futur directeur
photo de Taxi Driver (Martin
Scorsese, 1976), se souvient « des merveilleux combats
opératiques » entre les deux hommes. Gordon Willis considérait
que les méthodes du réalisateur faisaient perdre un temps précieux
à l’équipe et que le planning ne pourrait certainement pas être
respecté. Il est vrai que Coppola a
tendance à tirer sur la corde : obligé de se contenter d’une
cinquantaine de jours de tournage (au lieu des 80 qu’il avait
demandés) il prend quand même le temps nécessaire à la
préparation, monopolise l’équipe pour retourner régulièrement
des scènes. Au final, le calendrier fut effectivement dépassé,
mais d’une dizaine de jours seulement.
Coppola est
soumis à une telle pression qu’il ne peut retravailler l’écriture
de certaines scènes importantes. Il fait alors appel à Robert
Towne, croisé du temps où il travaillait pour Roger
Corman, et futur scénariste de Chinatown (Roman
Polanski, 1974). « Le principal problème est qu’il
manquait une scène finale entre Michael et son père, se
souvient Robert
Towne. Coppola disait
toujours "Je veux une scène dans laquelle ils se disent qu’ils
s’aiment." Ce que je ne pouvais pas faire : il devait se
passer quelque chose, y avoir une action. C’est ce que j’ai fini
par écrire avec cette scène dans le jardin entre Al
Pacino et Marlon
Brando - une scène sur le transfert de pouvoir. »
Le
tournage principal dure près de trois mois, de fin mars à début
juillet 1971, avec pas moins de 102 décors dans la région de New
York ainsi qu’à Taormina, en Sicile. En octobre
1971, Coppola rentre
chez lui près de San Francisco, loin de Hollywood, pour superviser
le montage du film avec l’aide de William
Reynolds et Peter
Zinner. Le chantier est colossal : ils assemblent plus de
90 heures de rushes et aboutissent à une version de trois heures. Le
studio demande cependant à raccourcir le film d’une heure. Mais en
visionnant cette version de 120 min qui privilégiait l’intrigue
aux aspects humains, Evans se
rend compte des carences de la narration (c’est « une
bande-annonce de 2 h pour le film ») et opte pour le premier
montage.
Dès
ses premiers films, Coppola puise
dans sa vie, son quotidien, pour écrire ses scénarios. Très proche
de sa famille, il lui donne une place essentielle dans son œuvre,
que ce soient avec ses souvenirs (quand il était enfant, sa mère
disparut plusieurs jours de la maison : l’anecdote devint la
base des Gens de la pluie) ou des jeux de rapports
familiaux : les frères de Rusty James (1983)
ou Cotton Club (1984), la famille séparée des Gens
de la pluie (1969). Issu lui-même du milieu
italo-américain, Coppola trouve
immédiatement des résonances personnelles dans le roman de Mario
Puzo. Il n’accepte d’en faire un film qu’à condition de
pouvoir transformer l’histoire de gangsters en une chronique
familiale. Coppola s’attaque
à une réécriture approfondie avec la collaboration de l’auteur :
chacun, à tour de rôle, développe une partie du scénario de son
côté et la renvoie à l’autre, pour corrections et
enrichissements. Coppola conserve
ainsi sa personnalité et sa sensibilité tout en s’inspirant du
travail de Puzo. Il estime que le livre contient « une
histoire formidable (…) à condition de pouvoir se
débarrasser de tout le reste. » Il reprend donc les étapes-clé
du livre, laisse de côté certains épisodes à sensation (la tête
de cheval sera l’une de ses rares concessions) et développe
l’univers familial. L’apport de Coppola au
matériau de base est énorme. Les relations entre les
personnages sont typiques des familles italo-américaines, notamment
sur la place des femmes, réduites aux rôles d’épouses et de
mères. Coppola intègre
de nombreux détails autobiographiques par le biais d’une culture
faite de traditions et de rituels : les musiques typiques
pendant la fête, les repas (ils sont souvent attablés) et le
rapport à la nourriture (la recette de la sauce tomate ou les
allusions aux cannolis), les images d’enfants qui courent dans la
maison pendant les audiences du Don ou le mariage qui ouvre le film -
utilisé en même temps pour introduire les nombreux personnages.
Pour imprégner ses acteurs de l’ambiance, Francis
Ford Coppola les
réunit autour de la table d’un restaurant italien :
« C’était la première fois qu’ils se rencontraient tous,
je n’ai eu qu’à les faire improviser pendant deux ou trois
heures, comme s’ils étaient une vraie famille. » Coppola aime
à dire que les Parrain sont « des films sur la
famille faits par une famille » : en plus de s’en
inspirer le réalisateur fait, dès qu’il le peut, appel à ses
proches. Son père compose les airs traditionnels qui accompagnent le
mariage ; le bébé baptisé à la fin du film n’est autre que
sa fille Sofia ; et c’est Talia Shire, la propre sœur du
réalisateur, qui incarne Connie Corleone. Ce choix de Robert
Evans ne
plait pas du tout à Coppola qui,
avant de se laisser convaincre, la trouve « trop jolie »
pour interpréter une fille de mafieux.
Issue
de cette même culture, la Mafia a développé des traditions
calquées sur celles de la famille : elles sont cinq à se
partager le monopole du crime à New York, dirigées par des
« parrains ». Les entrevues dans le bureau du Don
rappellent l’ambiance du confessionnal, la pègre a développé ses
propres rituels en s’inspirant des codes religieux. La séquence
finale montre le baptême et une série de meurtres, alternés dans
un montage qui accentue le contraste entre les deux actions et qui
souligne, en les mettant sur un même plan, l’appartenance de ces
meurtres à une forme de cérémonial. Il s’agit d’accueillir
religieusement le fils de Michael et d’introniser ce dernier
symboliquement, pour la Mafia, lorsqu’il accède au pouvoir.
« Monter parallèlement le baptême et l’assassinat n’était
pas dans le script », explique Coppola.
C’est le monteur Peter
Zinner qui suggéra d’ajouter le thème de l’orgue
pour lier par la musique les différents espaces, les différents
moments. Lors de cette séquence, Coppola met
en lumière les contradictions qui dominent l’existence des
personnages, pris dans une double vie qu’ils tentent vainement de
conjuguer. Par l’emploi du montage alterné, Coppola montre
comment Michael apparaît aux yeux de la société (un père de
famille respectable) et tel qu’il est vraiment (le commanditaire de
meurtres). Le scénario joue sur les contrastes entre l’humanité
de façade d’une famille "comme une autre", qui
marie les siens au grand jour, tandis que les vrais tempéraments et
les enjeux criminels sont discutés dans la pénombre d’un bureau.
C’est aussi une difficulté pour Coppola qui
doit naviguer entre l’empathie nécessaire pour ses personnages et
la réalité des faits. Don Corleone est une personnalité trouble
qui, sous des airs très humains, n’en reste pas moins un monstre :
c’est ainsi qu’il mourra, ironiquement "déguisé" avec
des pelures d’orange dans la bouche pour effrayer son petit-fils.
A
la recherche d’une ouverture suffisamment originale et forte pour
son film, Coppola s’inspire
de celle qu’il a écrite pour Patton (Franklin
J. Schaffner, 1970) pour lequel il recevra l’Oscar du
Meilleur Scénario, un discours du célèbre général devant un
gigantesque drapeau américain. L’ouverture du Parrain est
tout aussi réussie : un monologue filmé en plan séquence,
pendant de longues minutes. Le cadre est d’abord très serré sur
le visage de Bonasera quand est prononcée la première réplique
(« Je crois en l’Amérique »). A cet instant le
personnage représente encore l’émigré qui a trouvé refuge en
Amérique, terre d’opportunité. Mais on apprend que sa fille a été
violée et que la police n’a pas mis les coupables en prison. Au
fur et à mesure qu’il raconte son histoire, le cadre s’élargit
lentement et laisse peu à peu apparaître la silhouette de Don
Corleone. Comme influencé négativement par cette présence
mystérieuse, le discours du personnage change de signification.
Désormais, ce n’est plus l’humble citoyen qui parle mais un père
en quête de vengeance. L’homme honorable s’est transformé en
commanditaire d’un crime, il a perdu ses illusions et sait
maintenant que le pays ne sait plus le protéger. Pour Coppola,
« l'Amérique ne s’occupe pas de ses habitants. Nous voyons
notre pays comme un protecteur mais il nous trompe et nous ment. Les
gens aiment à lire sur une organisation qui s’occupe vraiment
d’eux, c’est de là que vient la popularité du livre. »
Pour Coppola,
« la Mafia et l’Amérique ont les mains tachées du sang
indispensable pour protéger leur pouvoir et leurs intérêts. Toutes
deux sont des phénomènes totalement capitalistes. »
L'une
des grandes force du Parrain est
son rythme, cette volonté de s'attarder sur chaque personnage,
sur des petites scènes en apparence insignifiantes mais qui
font naître l'affection que l'on éprouve pour cette famille maudite
au destin funeste. Ample et terriblement lancinant, Le
Parrain est la pierre fondatrice d'un des plus grands
édifices du cinéma hollywoodien moderne.
Le
Parrain sort le 11 mars 1972 dans une grosse combinaison de
salles (340 copies, un record pour l’époque). Il sera nominé dix
fois aux Oscars et recevra trois prix : meilleur scénario,
meilleur film et meilleur acteur pour Marlon
Brando. La remise de
sa statuette reste encore célèbre : on se souvient
du scandale suscité par l’acteur qui n’ira pas chercher son
prix, envoyant à sa place une jeune Indienne pour protester contre
la dégradation de l’image des Indiens à Hollywood. Avec ce
film Coppola surprend
un peu tout le monde : un cinéaste majeur est né alors qu’on
ne l’attendait pas. Coppola apporte
au genre une véritable originalité : Le Parrain montre
une façon très personnelle de filmer les gangsters, une vision
authentique du milieu italo-américain, une ampleur et un souffle que
ses films précédents ne possédaient pas. Auteur aussi bien
qu’artiste, Coppola montre
un désaccord profond avec les méthodes de travail des studios, lui
qui essaiera de travailler au sein de ce système sans parvenir à
s’y intégrer. En même temps, comme il le prouvera par la suite,
il n’est jamais aussi que bon que quand il travaille sous la
pression et la contrainte. Le film devient l’un des plus gros
succès de l’année et fait la fortune de son réalisateur (qui
avait négocié, en plus de son cachet, un pourcentage sur les
bénéfices). A 33 ans, Coppola devient,
comme Michael Corleone, une personnalité influente : à
Hollywood, il est le réalisateur incontournable du moment. Il
s’affirme comme le premier grand cinéaste issu (avec Martin
Scorsese, Brian de
Palma, Steven
Spielberg ou George
Lucas) d’une génération de diplômés en écoles de cinéma
qui émergea dans les années 70, repérés par les dirigeants des
studios pour satisfaire le public jeune qui devenait, alors, la
principale cible de l’industrie.
Conversation
secrète
Réalisé
par Francis Ford Coppola
Avec
Gene Hackman, Frédéric Forrest, John Cazale, Allen Garfield, Robert
Duvall, Harrison Ford, Cindy Williams
Film
américain
Genre :
policier
Durée :
1h53
Année
de production : 1974
Un
spécialiste de l’écoute téléphonique découvre lors d’un
enregistrement apparemment banal, qu’un meurtre se prépare.
Ecrit
en 1967, Conversation
Secrète aurait
dû être réalisé juste après Les
Gens de la Pluie.
Mais les impératifs commerciaux en décidèrent autrement, et
Coppola se retrouva à diriger Le Parrain pour le compte de la
Paramount. Le triomphe de ce dernier permettra à Coppola de mener à
bien son projet, qui viendra s’intercaler entre les deux premiers
opus de la saga mafieuse.
Le
projet naît à la suite d’une conversation entre Coppola et Irvin
Kershner sur les écoutes à longue distance. Constatant l’intérêt
du jeune scénariste, le futur réalisateur des Yeux
de Laura Mars lui
fait parvenir de la documentation sur Hal Lipset, qui se rendra plus
tard célèbre en analysant les bandes enregistrées du Watergate. Il
sera d’ailleurs crédité comme consultant, et son nom sera même
évoqué durant le film. Le personnage d’Harry Caul est
partiellement basé sur lui. Néanmoins, la source principale du film
vient d’une double inspiration. L’héritage hitchcockien,
l’individu victime de la machination, bien entendu. Mais c’est
surtout l’ombre du Blow
Up de
Michelangelo Antonioni qui plane sur ce film, comme sur tout un pan
du cinéma des années 70. Son influence se fera ainsi sentir sur
toute la première partie de la carrière de Dario Argento, ainsi que
sur la majorité de l’œuvre de Brian De Palma. Tous ces films sont
basés sur des images à interpréter, voire à réinterpréter, des
phrases mal comprises, bref une analyse du réel et de sa
représentation. Ce thème n’est pas innocent dans une Amérique
qui n’a pas oublié le meurtre de JFK filmé par Abraham Zapruder.
De
fait, la paranoïa est au cœur de Conversation
Secrète,
que ce soit celle des commanditaires des écoutes ou celle de Harry,
protégeant son intimité jusqu’à l’extrême. Il fallait tout le
talent de Gene Hackman pour donner vie à un personnage si
intériorisé et torturé. L’acteur livre ici l’une de ses
meilleures performances, et semble-t-il celle dont il est le plus
fier. Et si Harry Caul est le personnage central, les second rôles
ne sont pas laissés pour compte : le regretté John Cazale, sublime
de frustration, ainsi que le tout jeune Harrison Ford.
Rarement
une mise en scène aura été autant contaminée par son sujet. La
caméra recherche son sujet comme Harry cherche la réception
parfaite. Le ton est donné dès le premier long plan-séquence, qui
s’ouvre sur un plan d’ensemble de la place, et qui va se
resserrer jusqu’à isoler Harry, suivi par le mime - autre
référence à Blow
Up.
Mais la caméra ne l’a retrouvé que pour le perdre presque
aussitôt, car il sera flou la prochaine fois qu’il traversera le
champ, le point étant fait sur le couple. Ceci traduit le caractère
insaisissable de Harry Caul : même lorsqu’il se trouve dans
l’intimité de son foyer, il sort du champ, et la caméra doit
faire un panoramique pour le recadrer. On admirera également la
triple répétition du travelling latéral sur Harry parti s’isoler
dans son atelier, proche d’un sample sonore mis en boucle. Tous le
sens du film est là : une quête obsessionnelle d’une vérité
glissante. Et Harry est un personnage qui sait écouter, mais pas
entendre. Son interprétation fausse de la conversation aura des
conséquences catastrophiques.
On
le voit, le son est le moteur narratif essentiel de Conversation
Secrète.
Et rares sont les films qui possèdent une piste sonore aussi
sophistiquée. D’un côté, la partition musicale, une magnifique
mélodie en boucle composée par David Shire pour piano seul, est
dépouillée à l’extrême. De l’autre, les enregistrements de
conversations sont filtrés, déformés, parfois noyés dans le
brouillage électronique, déstabilisant le spectateur, le plongeant
dans l’esprit froid d’Harry Caul, aussi déshumanisé que les
décors dans lesquels il évolue – le plus troublant étant sans
doute son atelier, une cage grillagée isolée dans ce qui ressemble
à un grand parking vide.
Le
tournage de Conversation
Secrète coïncidera
avec le scandale du Watergate, qui offrira au film une résonance
supplémentaire. Ce film vaudra à son auteur sa première Palme
d’Or. Pourtant, il est parfois un peu oublié lorsque l’on évoque
la carrière du cinéaste ; c’est une injustice, car il s’agit de
l’un des sommets de son œuvre, maîtrisé du début à la fin, au
carrefour du thriller et du cinéma expérimental, à redécouvrir
absolument.
Le
parrain, partie 2
Réalisé
par Francis Ford Coppola
Avec
Al Pacino, Robert Duvall, Diane Keaton, Robert De Niro, Talia Shire,
John Cazale
Film
américain
Genre :
drame
Durée :
3h15
Année
de production : 1974
La montée en
puissance de Michael Corleone, qui a pris la tête de la famille
après la mort de son père, se caractérise par des assassinats.
Les
dirigeants de
la Paramount savent déjà que Le
Parrain sera
un grand succès. En février 1972, quelques semaines à peine avant
la sortie en salles, ils décident de mettre en chantier une suite
qui sortira dans un délai suffisamment bref pour ne pas perdre
l’engouement médiatique et public. On se précipite pour annoncer
des dates de tournage (janvier 1973) et de sortie (mars 1974) qui ne
seront finalement pas respectées. Tout va en effet trop vite :
l’équipe n’est toujours pas engagée et Mario Puzo est en pleine
écriture du scénario, en Italie. Le titre de travail est alors "Le
fils de Don Corleone". Portée
par l'énorme succès du Parrain,
la Paramount voit tout en grand. Elle double le budget prévu
qui atteint 15 millions de dollars et permet notamment à Al
Pacino,
devenu depuis une véritable star, de voir son salaire multiplié par
vingt. Francis
Ford Coppola est
désormais dans une position enviable, il n’a jamais eu autant de
pouvoir. Quand la Paramount lui propose de reprendre la saga
du Parrain,
il n’est pas foncièrement motivé : « Je
plaisantais en leur disant que je ne tournerais que Abbott et
Costello rencontrent le Parrain. »
Le président de Gulf + Western (la maison mère de Paramount) estime
que ne pas tourner de suite au Parrain serait
comme « avoir
la recette du Coca Cola et ne plus fabriquer de bouteilles ! »
On essaie tant bien que mal de motiver Coppola mais celui-ci veut
vraiment passer à autre chose et surtout oublier le cauchemar qu’il
a vécu pendant toute la production du film. Le studio lui déroule
alors le tapis rouge : un salaire d'un million de dollars, un
gros pourcentage sur les bénéfices et le contrôle total du film en
tant que producteur. « Pour Le
Parrain II,
j’ai négocié tant d’argent que cela me permettra de financer
mon propre travail »,
disait-il à l’époque. En contrepartie, le studio accepte en effet
de distribuer un film écrit sept ans auparavant, Conversation
secrète,
qu’il tournera entre les deux Parrain.
Paramount
souhaite reprendre Marlon
Brando pour
interpréter Vito Corleone plus jeune. Mais après la polémique
déclenchée par la remise de son Oscar, Brando est sévèrement
critiqué dans les médias, notamment par le patron du studio. En
réaction, l’acteur demande une somme astronomique qu'il refuse de
négocier. Coppola, qui travaillait depuis un an sur le scénario,
doit désormais compter sans Brando et réécrire le personnage. On
se met à la recherche d’un autre acteur, et une nouvelle fois le
studio se tourne d’abord vers des stars américaines confirmées
comme Dustin
Hoffman.
Coppola, comme sur le premier film, finit par imposer un acteur
italo-américain de 30 ans, Robert
De Niro,
qu'il avait remarqué dans quelques films dont Mean
Streets de Martin
Scorsese (1973)
et qu'il avait surtout pu voir à l'oeuvre pendant le casting du
premier Parrain.
Il venait alors auditionner pour le rôle de Sonny, mais son jeu
était beaucoup trop sec et violent. Coppola s'en souviendra
lorsqu'il s'agira de caractériser le jeune Vito. Pendant sa
formation de comédien, De Niro avait étudié le jeu de Brando :
l’acteur n’a aucun mal à se glisser dans la peau de Don Corleone
et reproduire les nuances du personnage. Pour interpréter Hyman
Roth, le terrible associé du clan Corleone, Coppola pense d'abord
à Elia
Kazan avant
de suivre la proposition d'Al Pacino qui lui suggère le nom de Lee
Strasberg, fondateur du mythique Actor’s Studio dont il a été
l'élève. Le rôle de Hyman Roth est pour le moins marquant.
Strasberg incarne un autre genre de parrain, tout en contraste :
un pouvoir immense et une poigne impitoyable cachés derrière
l’apparence fragile d’un vieil homme malade. « J’ai
essayé de créer un visage qui ne montre pas d’émotions, la
sensibilité d’un homme pour qui tout est business »,
se souvient l’acteur. Autre mentor qui apparaît brièvement (comme
membre de la commission d’enquête), Roger
Corman est
celui qui a permis à Coppola de développer son apprentissage du
cinéma. Ses années passées dans l’écurie de ce chantre de la
série B furent pour le jeune réalisateur comme une deuxième école
de cinéma.
Le
tournage commence en octobre 1973. L’équipe part six semaines près
du lac Tahoe, entre le Nevada et la Californie, pour tourner
notamment les scènes estivales de la fête donnée au bord du lac.
Or à près de 1 900 m d’altitude, le mois d’octobre précède
les premières neiges. Il fait donc très froid et cela cause retards
de planning, dépassements de budget et nombreuses tensions. Al
Pacino se montre par exemple assez difficile avec Coppola. Quelques
semaines avant le début du tournage, l’acteur, qui a accepté de
faire Le
Parrain II sans
avoir lu le scénario, fait savoir, par l’intermédiaire de son
avocat, que le script ne lui plaît pas. Coppola, qui partage son
avis sur de nombreux points, réécrit toutes ses scènes en un
week-end. Quelques années plus tard, Pacino avouera à Coppola que
ce coup de pression était surtout destiné à lui faire améliorer
un script encore trop faible. Plus tard pendant le tournage, Pacino
se plaint cette fois-ci de la lenteur des prises de vues,
rappelant sans cesse que Serpico (1973)
fut bouclé en une vingtaine de jours seulement. Rendu visiblement
nerveux par la sortie imminente du film de Sidney
Lumet,
l’acteur s’est ensuite calmé, rassuré par le bon accueil
critique : « Il
n’y a qu’au théâtre que Pacino se sent en sécurité »
rappellera Coppola.
Le
lac Tahoe est un lieu du tournage isolé et certains se demandent si
le réalisateur n’a pas délibérément choisi de couper l’équipe
tout entière du reste du monde - tel Michael qui enferme sa famille
entre les murs de sa résidence. Cela occasionne de nouvelles
tensions sur le plateau car l’équipe le vit mal. C’est notamment
le cas d’Eleanor, la femme du réalisateur, qui supporte
difficilement ces longues semaines loin de sa vie, de ses amis. Leurs
disputes et la mauvaise ambiance minent le moral de Coppola qui
glisse lentement vers la déprime, comme l’a plus tard rappelé
Pacino : « Je
vais voir Francis, j’ai un problème, je veux lui en parler. Et que
fait-il ? Il me raconte ses problèmes. Est-ce que je veux les
entendre ? C’est le réalisateur ! »
En janvier 1974, lorsque l’équipe doit partir dans les Caraïbes
tourner les scènes cubaines, elle trouve une pluie ininterrompue au
lieu d’un grand soleil. Al Pacino attrape une pneumonie et doit
être arrêté près d’un mois. En attendant sa guérison, Coppola
peut heureusement gagner du temps en filmant à New York un décor
qui reconstitue le quartier de Little Italy de 1918. Dean
Tavoularis,
qui vient tout juste de le terminer, a maquillé les devantures des
boutiques, caché le bitume avec de la terre et du sable. Coppola ne
se prive par de filmer ce décor impressionnant, notamment dans un
plan général qui montre la rue à perte de vue. On retrouve le
talent de Tavoularis, son souci du détail, dans les scènes à
Ellis Island où arrivent les immigrants, recréées dans un
marché au poisson de Trieste, en Italie. « J’ai
mis tout mon cœur dans les séquences de Little Italy,
se souvient Coppola.
J’avais écrit de très belles scènes que nous n’avons pas pu
inclure dans le film. »
La
proposition que Coppola a d’abord acceptée pour son aspect
financier a fini par l’intéresser d’un point de vue artistique.
Il avait besoin de s’identifier à l’histoire et à ses
personnages, et a trouvé dans la vie de Michael Corleone des
échos à son propre parcours, se demandant par exemple par quels
moyens il pourrait épargner sa famille après avoir acquis toute
cette richesse. Car Coppola est désormais très puissant, comme
Michael, et vit aussi les mêmes conflits intérieurs - argent,
pouvoir, famille. Avec Le
Parrain II,
Coppola souhaite « faire
un film plus ambitieux, encore plus beau, plus avancé que le
premier »
et entrevoit la perspective de prolonger l’intrigue du Parrain,
d’en faire un récit de sept heures au total, sans que cette
deuxième partie soit un simple décalque de la première. Il choisit
de poursuivre et développer les mêmes thématiques en les
renouvelant. La peinture familiale, par exemple, n’a plus du tout
la même saveur. Dès les premiers plans du film, un fauteuil
désespérément vide, Coppola nous prévient que la mort de Vito
Corleone a eu des répercussions importantes : beaucoup de
choses ont changé et son absence se fait cruellement sentir.
Malgré
des personnages qui tentent d’en préserver le souvenir,
l’impression d’une famille unie ne fait plus illusion.
Après
huit mois de tournage intense, Coppola est épuisé. En juin 1974, à
quelques jours de la fin des prises de vues, à un journaliste qui
lui demande ce qu’il fera ensuite, il répond : « Je
prends ma retraite ! »
Le stress l’a fait énormément grossir, il pèse près de 110 kg.
La pression n’est toujours pas retombée car arrive l’étape du
montage. Coppola doit encore trouver la forme idéale qui corresponde
à ses idées : « J’ai
beaucoup de théories que je veux mettre en pratique. C’est pour
cela que j’ai si peur de gâcher cette occasion. Je pourrais
facilement tout rater »,
avoue-t-il à l’époque. Car pour distinguer cette suite, lui
apporter un nouveau souffle, Coppola fait le pari osé de réunir
deux histoires en une. Le montage se fait lentement, à base
d’expérimentations. Après en avoir visionné une première
version, son ami George
Lucas et
son chef opérateur Gordon
Willis lui
avouent : « Tu
as deux films. Il faut en jeter un, cela ne fonctionne pas et ne
fonctionnera jamais. »
Une rumeur finit par se propager à Hollywood où le film est
très attendu : la forme choisie par Coppola va déstabiliser les
spectateurs. Mais le réalisateur a la conviction que son idée est
la bonne et que cette structure fera la force du film. Il travaille
jusqu’au tout dernier moment, s'appuyant d'abord sur des
allers-retours fréquents entre les deux époques avant d'opter pour
des segments plus longs pour mieux profiter des scènes du
passé. Il coupe près de 40 % de son premier montage. Par cette
double évocation Coppola raconte l’histoire des Corleone à
travers la jeunesse de Vito, au début du XXe siècle, et la vie de
Michael à la fin des années 50, dix ans après le premier opus.
Comme dans You’re
a Big Boy Now (1966),
Coppola explore une relation entre un père et un fils, présentés
cette fois comme deux images en miroir. L’alternance successive des
deux époques montre deux destins étroitement liés, au sens propre
comme au figuré. Car à travers ce dispositif, Coppola accentue leur
opposition : « J’ai
pensé que ce serait intéressant de juxtaposer le déclin de la
famille avec son ascension : le jeune Vito qui la construit en
Amérique pendant que son fils préside à sa destruction. »
Lorsqu’il se
tourne vers le passé, le réalisateur ne peut s’empêcher de
développer un certain lyrisme, avouant la nostalgie d’une Amérique
qui lui rappelle aussi bien des souvenirs familiaux que des valeurs
qu’il affectionne. Pour passer d’une époque à l’autre,
Coppola utilise de longs fondus enchaînés qui donnent à l'image
l'impression d'une rencontre manquée entre le père et le fils, deux
personnages qui se révèlent très différents malgré des traits
communs (silencieux, mutiques, observateurs, qui étudient les
situations et les comportements). Vito est montré comme
quelqu'un de loyal avec ses associés, lesquels resteront à ses
côtés jusqu’à sa mort quand Michael, lui, finira par les
abandonner.
Si Coppola
s’étend de façon nostalgique sur le passé, l’accent est
toutefois porté sur le présent, sur le personnage que Michael est
devenu, à l’image de la résidence du lac Tahoe, un mélange de
roc et de bois qui dévoile autant la stature de la famille, sa
volonté d’enracinement, qu’elle révèle le caractère froid et
primitif de son chef. Coppola estime d'ailleurs qu'Al
Pacino a su parfaitement maîtriser la psychologie de son
personnage, l'acteur excellant dans les attitudes impassibles autant
que dans les explosions de colère. Pour le réalisateur, Michael
personnifie une Amérique qui est alors repliée sur elle-même, se
mettant peu à peu à l'écart du reste du monde par ses choix
politiques (Richard Nixon est alors à la tête du pays).
En choisissant
de raconter l’histoire des Corleone depuis leurs origines, Coppola
apporte au récit une dimension supplémentaire : la notion de
destin. Ayant perdu son père, sa mère et son frère, Vito encore
enfant doit fuir en Amérique où le sang se retrouvera sur son
chemin et celui de ses enfants. Les Corleone entretiennent un rapport
intime avec la mort, telle une malédiction qui les accable tous.
Coppola accentue ici le thème de la tragédie, en germe dans le
premier opus, qu’il appuie par quelques références célèbres.
Les remords de Michael rappellent notamment ceux que ressentait
Macbeth après avoir fait assassiner le roi Duncan. Pour appuyer le
lien qui unit le père et le fils, le réalisateur choisit de répéter
certains éléments du premier film pour les considérer comme des
moments-clé d’une destinée commune.
A
travers le parcours de Vito, Coppola montre le vrai visage d’une
Amérique qui se prétend terre de tous les possibles. Comme pour
appuyer cette légende, la Statue de la Liberté est la première
vision que ces immigrants ont du nouveau monde, depuis le bateau qui
les transporte. Ce symbole d’espoir et de promesses reste pourtant
inatteignable, vu à travers des barreaux ou la fenêtre d’une
cellule de quarantaine. A Ellis Island, Vito découvre une
Amérique peu accueillante : il subit un traitement dégradant,
déshumanisé. Parqué au milieu de la foule, il est marqué d’une
façon qui rappelle presque le traitement des Juifs pendant la
guerre - ce n’est plus une étoile jaune mais une croix tracée
à la craie (tel le sceau de l’immigré) qui orne son veston.
Poursuivant la réflexion entamée dans le premier film, Coppola
décrit une population trop ignorée des institutions, livrée à
elle-même, qui doit se prendre en charge pour assurer sa protection,
subvenir à ses besoins, quitte à franchir la frontière de la loi.
Ainsi, dans son quartier, le crime de Vito est perçu comme un acte
de bravoure. Il est reçu comme un héros alors qu’il a tué. Du
jour au lendemain, il se voit respecté, traité comme un membre
éminent de la communauté, une figure crainte qui va gagner en
puissance. Vito apprend alors qu’en suivant la voie légale il n’a
aucune chance de réaliser ses rêves. Il se heurte à un système
qui exploite les plus faibles pour ne leur laisser que des miettes.
Il ne pourra créer sa propre entreprise - et, avec les années,
fonder un véritable empire - qu’après avoir embrassé une
carrière criminelle qui lui ouvrira toutes les portes. Pour les
Corleone, le crime organisé s‘impose comme le passeport des
opprimés pour le rêve américain, le seul moyen pour eux de
réussir. « La
carrière de Michael Corleone est la métaphore parfaite du nouveau
monde,
rappelle Coppola. Comme
l’Amérique, Michael était au début un brillant jeune homme, pur,
avec d’incroyables ressources et croyant en un idéalisme
humaniste... C’est alors qu’il a eu du sang sur les mains. Il
s’est menti à lui-même et aux autres sur ce qu’il faisait et
pourquoi. »
Cette vision désenchantée participe à un élan contestataire
qui apparaît dans le cinéma américain de cette époque. Michael
Cimino dans La
Porte du paradis (1980) a,
par exemple, poursuivi cette démystification de l'Amérique en
dénonçant le sort réservé aux immigrants venus chercher fortune
qui se sont heurtés aux riches propriétaires décidés à ne pas
partager leurs richesses.
Au
moment du Parrain,
Coppola a parfois été accusé de projeter une image trop romantique
du crime et de la pègre. Le réalisateur, qui considère plutôt Le
Parrain comme
une vision cinglante de la Mafia, souhaite profiter de la deuxième
partie pour rectifier cela, évacuer tout sentimentalisme et
renouveler sa peinture du monde criminel. Si l’on retrouve un
décorum familier avec les règles et les codes du gangster (savoir
s’entourer d’hommes de confiance, punir les traitres), Coppola
explore le Milieu au-delà du groupe italo-américain. Nous
n’évoluons plus parmi les familles régnantes new-yorkaises mais
avec des pontes placés à de très hauts niveaux de la société.
Hyman Roth incarne un autre genre d'organisation criminelle, un
puissant lobby juif basé en Floride. Coppola poursuit ici son
exploration des rapports entre les criminels et les institutions,
thème qui était survolé dans le premier film. Il décrit les
relations ambigües, mais toujours intéressées, entre la mafia et
le pouvoir politique incarné par Geary, un sénateur corrompu (« le
méchant de niveau supérieur »
selon Coppola).
En
novembre 1974, un mois avant la sortie du film, NBC diffuse Le
Parrain à
la télévision, une bonne publicité qui malgré le succès (près
de 90 millions de téléspectateurs) ne sera pas suffisant pour
écraser ses scores au box-office : Le
Parrain II ne
réalisera qu’un tiers des entrées de son prédécesseur. Cela
n’empêche pas une déferlante de prix à la cérémonie des Oscars
- avec parmi les concurrents Conversation
secrète. Le
Parrain II obtient
les Oscars du meilleur film, meilleur réalisateur, meilleure
adaptation, meilleur second rôle pour Robert De Niro, meilleur décor
et meilleure musique pour Carmine Coppola et Nino
Rota.
Ce dernier put enfin recevoir ce prix très mérité, lui qui avait
été disqualifié de la compétition en 1973 parce qu’une des
mélodies était trop inspirée de celle qu’il avait composée
pour Fortunella (Eduardo
De Filippo,
1957). En juillet 1975, Coppola signe un accord avec NBC pour la
diffusion des deux Parrain sous
la forme d’une minisérie de neuf épisodes incluant près d’une
heure de scènes inédites que le réalisateur n’a pas souhaité
garder pour l’exploitation en salle. C’est Coppola lui-même
qui doit superviser le montage de cette version intégrale. Mais à
cause d’un planning monopolisé par la préparation d’Apocalypse
Now,
il se contente de remodeler la structure (le récit est désormais
chronologique) et confie cette version intégrale à Barry Malkin,
ami d’enfance et monteur des Gens
de la pluie (1969).
Cette version intégrale est diffusée en novembre 1977.
Réalisé par Francis
Ford Coppola
Avec Marlon Brando,
Martin Sheen, Robert Duvall
Film américain
Genre : guerre
Durée : 2h27
Année de production :
1979
Durant la guerre du
Viêt-nam, le capitaine Willard est contraint de mener une mission
périlleuse au Cambodge. Accompagné de quatre soldats, il doit
mettre fin au commandement du colonel Kurtz, qui utilise des méthodes
jugées trop barbares.
L’histoire
d’Apocalypse Now commence en 1939 lorsque Orson Welles veut adapter
une nouvelle de Joseph Conrad Au cœur des ténèbres (Heart of
Darkness), l’histoire d’un marin qui s’enfonce dans la jungle
africaine, chargé de retrouver Kurtz, le dirigeant d’un comptoir
commercial, qui a cessé de donner signe de vie et dont on soupçonne
qu’il soit devenu fou. Alors que Welles est près à tourner, le
projet est abandonné devant la pression de la production qui craint
un dépassement du budget. Au final il s’en remet bien étant donné
qu’il tourne à la place le mythique Citizen Kane. Trente ans plus
tard, en pleine guerre du Vietnam, le scénariste John Milius (Conan
le Barbare, L’inspecteur Harry) se lance dans un script mélangeant
la nouvelle de Conrad à la situation au Vietnam. L’histoire
reprend à peu près la même trame que le livre mais la transpose
durant la guerre. Coppola est alors un jeune réalisateur qui veut
lancer son studio de production indépendant American Zoetrope, il
pense produire Apocalypse Now pour lancer ledit studio, avec comme
réalisateur son ami Georges Lucas. John Milius a alors l’idée
folle de partir tourner en plein Vietnam au milieu du conflit. Trop
risqué, le projet est logiquement abandonné. Coppola tourne Le
Parrain et sa suite et accède au statut de réalisateur le plus
respecté d’Hollywood.
En
1976, Coppola et Millius se replongent dans ce projet de longue date
et veulent réussir là où quarante ans auparavant Orson Welles
avait échoué. Le script est révisé, car depuis sa première
version la guerre est terminée et laisse un souvenir douloureux et
tabou. Georges Lucas étant occupé à préparer La Guerre des
étoiles, Coppola s’impose comme metteur en scène, il espère que
le succès du film lui permettra d’acquérir l’indépendance des
studios. Ainsi en février 1976, l’équipe débarque aux
Philippines pour débuter le tournage, la famille Coppola est au
grand complet : Francis, sa femme, ses enfants et sa sœur.
Film
de guerre, film à grand spectacle, film sur la folie, Apocalypse Now
ne peut être mis dans une seule case tant il évoque de thèmes. Il
est l’un des premiers films américains sur la guerre du Vietnam
(sorti un an après Voyage au bout de l’enfer mais commencé bien
avant), inspirant par la suite toute une série de films à succès :
Platoon, Full metal jacket. C’est en fait surtout un film
d’aventure, la remontée du fleuve pour atteindre l’antre de
Kurtz s’apparente à un long voyage vers la folie. Plus les soldats
se rapprochent de leur objectif, plus ils rencontrent des gens
insensés, et plus ils sombrent eux-mêmes dans le désespoir. Il en
est de même pour l’équipe du film confrontée à la mégalomanie
de Coppola et aux diverses difficultés qui s’enchaînent :
ouragans, attaques de rebelles, crise cardiaque.
Les
personnages secondaires, qui en général n’apparaissent que le
temps d’une scène, sont des reflets de l’état d’esprit
militaire de l’époque et de l’incompréhension face à cette
guerre. Robert Duvall, nommé à l’occasion pour l’Oscar du
meilleur second rôle, incarne un commandant de cavalerie aéroportée
complètement déjanté qui aime écouter Wagner à fond pendant ses
attaques aériennes. Il glisse l’une des répliques les plus
connues du cinéma « J’aime l’odeur du napalm au matin ».
Il se distingue notamment en bombardant dudit napalm un village
vietnamien, pour pouvoir aller surfer tranquillement sur une plage au
milieu des explosions. Ce comportement absurde balançant entre
humour et horreur fait ressentir au spectateur de l’incompréhension
et le perd un peu, exactement ce que ressentaient les soldats à
l’époque. C’est l’effet voulu par Coppola. Il y a aussi tous
ces soldats rencontrés sur le chemin par Willard, qui errent et
tirent dans le tas sans même savoir qui les commande, perdus au
milieu de la jungle dans un combat contre eux-mêmes.
Au
delà de l’aventure et de la guerre, le film est englobé dans une
atmosphère de folie qui est sublimée par les fumigènes
psychédéliques utilisés à répétition et les effets de
brouillard épais sur le fleuve. Il n’est pas évident de
comprendre qui est le plus fou, Kurtz qui a craqué en se prenant
pour dieu au milieu des indigènes, ou bien Willard qui sombre lui
aussi dans un état de folie et de transe lors du final. Mais en quoi
sont-ils plus fous que les autres protagonistes, tels que Kilgore
interprété par un Robert Duvall survolté ? Tous déambulent
dans cette guerre qu’ils ne comprennent pas, ils ignorent pourquoi
ils se battent, il tirent dans le tas sans réfléchir. Cet état de
folie se retrouve également sur le plateau, dans les conditions de
tournage.
« Nous
étions dans la jungle. Nous étions trop nombreux. Nous avions à
notre disposition beaucoup trop d’argent, beaucoup trop
d’équipement, et petit à petit, nous sommes devenus fous. »
Francis
Ford Coppola au Festival de Cannes 1979 à propos du tournage.
Aux
Philippines, la situation politique est tendue, le dictateur Marcos
fait prêter des hélicoptères de l’armée pour les besoins du
film, ils sont utilisés lors de la charge aérienne spectaculaire
sur fond de Wagner. Seulement, à quelques kilomètres du plateau,
des rebelles hostiles au gouvernement organisent régulièrement des
attaques et les hélicoptères sont systématiquement réquisitionnés
pour aller les combattre. Tout ça ralentit toujours un peu plus le
tournage. Comme si ce n’était pas suffisant, la météo se rajoute
à la liste des problèmes. Dans un premier temps Coppola est ravi,
il peut tourner dans le brouillard et sous des pluies diluviennes, ce
qui retranscrit les conditions climatiques qu’on connu les soldats.
Cependant, lorsqu’un typhon se manifeste et ravage tous les décors,
Coppola accuse le coup, encore une fois forcé de retarder le
tournage et de faire reconstruire tous les décors.
Au
milieu de ce chaos artistique et climatique, les acteurs et les
techniciens se réfugient dans les drogues. Quand c’est pour
ajouter à la crédibilité d’une scène cela peut s’avérer
utile notamment pour la scène où Chef craque après l’attaque
nocturne d’un tigre, l’acteur avait réellement pris de la
cocaïne. Cependant quand c’est entre les prises c’est plus
problématique. Le plateau devient une véritable pharmacie où
l’équipe du tournage peut trouver toutes les substances
psychédéliques existantes. Dans le film, la drogue est présente
comme un échappatoire pour les soldats. Apocalypse Now montre
l’importation par les américains de la vague psychédélique au
Vietnam (le rock, les drogues).
Coppola
de son côté n’a pas encore de fin pour son film alors qu’il a
déjà commencé à tourner, le dénouement doit être la
confrontation entre Willard et Kurtz, l’enjeu est de taille. Il
réécrit sans cesse le scénario et accouche d’une nouvelle fin
tous les quatre matins, finalement quand il laisse faire
l’improvisation de Brando qui parvient enfin à rentrer dans son
personnage, il est satisfait. Le metteur en scène se comporte comme
un dictateur durant le tournage selon les témoins, un peu à l’image
de Kurtz, il le reconnaîtra lui-même plus tard. Par exemple il
insiste pour que le vin soit servi à 14 degrés et que les
bouteilles soient sorties du frigo à la minute près avant de
commencer à tourner une scène de repas. Il en demande beaucoup à
ses acteurs notamment à Martin Sheen, à qui il demande de
boire réellement de l’alcool et de se mettre totalement à nu pour
laisser s’exprimer son désespoir. Durant la scène, complètement
saoul et tenant à peine debout, Sheen s’entaille la main en
frappant dans un miroir. Plus tard, en mars 1977, Sheen atteint ses
limites, c’est le craquage, il fait une crise cardiaque et est
rapatrié d’urgence. Il paraît même qu’un prêtre lui aurait
donné les derniers sacrements. Coppola pensant qu’il pourrait
perdre son interprète principal s’enfonce encore plus dans la
paranoïa et la drogue. Il perd 40kg et fait venir ses maitresses
alors que sa femme est là. Il pense au suicide plusieurs fois.
Voyant que le dirigeant du projet devient fou, c’est toute l’équipe
qui craque et se réconforte dans la drogue et l’alcool.
Finalement, Martin Sheen revient en pleine forme, s’éloigner de ce
tournage de fous quelque temps lui a fait le plus grand bien.
Réussir
à mettre Marlon Brando à l’écran assure au film du prestige, il
avait déjà tourné avec Coppola pour Le Parrain. Cependant, sa
réputation d’acteur capricieux et autoritaire se confirme lors du
tournage, où il complique tout. Brando arrive obèse, sans avoir lu
son texte ni même la nouvelle de Conrad et réclame un salaire d’un
million de dollars par semaine. Le réalisateur aurait pu le renvoyer
ou bien engager un autre acteur moins contraignant, mais il tenait
absolument à l’avoir à l’écran. Pionner de la méthode de
l’Actors Studio qui vise à ressentir les émotions du personnage
et non les imiter, Brando refuse de lire le scénario et préfère
improviser des monologues philosophiques. Le peu de temps qu’il
apparaît, quelques minutes seulement dans le film, prennent trois
semaines à tourner, mais le résultat est présent.
Finalement,
Apocalypse Now c’est 238 jours de tournage au lieu des
16 semaines annoncées ; plus de 30 millions de
dollars de budget contre les 13 millions prévus et 3 ans
de montage pour finalement le présenter au festival de Cannes.
Coppola en grand perfectionniste, sans cesse déçu par son œuvre,
ne cessait de la remonter toujours. Après un tournage aussi
apocalyptique, rien n’aurait laissé penser que ce film serait
réussi, son réalisateur lui même déclarait qu’il était raté.
Et pourtant, il entre dans l’histoire du cinéma, récolte
150 millions au Box-office mondial, une Palme d’or et deux
Oscars : du Coppola au sommet de son art. L’allure incontrôlée
que prennait le film aura finalement été la recette de sa réussite,
retranscrivant la folie de la guerre, le moral impacté des soldats
et la complexité de l’esprit humain.
Apocalypse
Now est un film légendaire, insensé, foisonnant, obscur : en ne se
souciant pas de réalisme, mais en visant à restituer le climat de
folie d'une guerre, Francis Ford Coppola réalisa l'œuvre la plus
célèbre sur le conflit vietnamien.
Coup
de cœur
Réalisé
par Francis Ford Coppola
Avec
Frederic Forrest, Teri Garr, Raul Julia, Nastassja Kinski, Harry Dean
Stanton
Film
américain
Genre :
comédie musicale
Durée :
1h47
Année
de production : 1981
A Las
Vegas, le jour de la fête de l’Indépendance, un couple décide de
se séparer, après cinq ans de vie commune marquée par la rancœur
et les disputes.
Juste avant la sortie de ce film,
Francis Ford Coppola venait de réaliser successivement : Le
Parrain, Conversation
Secrète, Le Parrain II et Apocalypse
Now. Il va s’en dire que le cinéaste américain était à
son apogée, au sommet de son art, proclamé et cité comme étant
l’un des plus grands. Après le tournage mouvementé que
fut Apocalypse Now, et c’est un doux euphémisme, Coppola
voulut retrouver une tranquillité de création, un certain contrôle
sur les évènements. Sauf que tranquillité chez Coppola n’est pas
forcément synonyme de manque d’ambition. Au contraire et c’est
ce qui malheureusement fit sa renommée mais aussi entraina sa chute,
d’une certaine manière. Financièrement Coup de Cœur fut
un four total et mit en faillite le réalisateur, qui n’a eu de
cesse dans le futur, de vouloir renflouer les caisses suite à cet
échec cuisant au box-office.
Pourtant, Coup
de Cœur ne mérite pas le rejet qu’il a pu connaitre.
Proposition formelle indescriptible, le long métrage est un hommage
à un certain visage de l’Amérique, à ce vestige que sont les
comédies romantiques et les comédies musicales. Pour ce faire, le
réalisateur fit même construire comme décorum, pour ce film
entièrement tourné en studio, toute une rue de Las Vegas, montrant
cette soif de cinéma et de grandiloquence qui caractérise
parfaitement l’œuvre de Coppola. Et lorsqu’on voit le travail de
Damien Chazelle et son équipe sur La
La Land, on aperçoit rapidement l’influence même de Coup
de Cœur dans l’esprit de jeunes réalisateurs de maintenant.
Au regard de ces plans chromatiques à outrance, de cette
architecture des plans nous faisant passer d’un plateau à un autre
comme si nous étions dans l’esprit même des personnages, de cette
errance parmi les lumières ou même de cette surabondance de néons
qui accentuent le virage émotionnel de l’image, Coup de
Cœur est un coup de maître visuel, qui crie de tous les côtés
son amour pour le cinéma.
Une épopée initiatique d’un
couple se déchirant, et qui durant une courte nuit, vivra chacun de
son côté une folle aventure. Alors que l’un souhaite une vie
paisible, l’autre cherche un petit goût d’aventure. Certes, Coup
de Cœur est parfois criblé de défauts : à trop sentir le
vernis du cinéma, à peaufiner ses moindres mouvements, le long
métrage manque parfois de pouls, de vie ou même de liberté. Ce qui
paraît contradictoire au vue de l’ingéniosité formelle de
l’œuvre. Sauf que le scénario semble parfois balbutier, manquant
d’incarnation, englué dans ses saynètes de « studio », loin de
la folie douce des Parapluies de Cherbourg, à titre d’exemple,
notamment à cause d’un duo – de personnages et d’acteurs –
parfois antipathique mais dont l’émotion qui s’en dégage arrive
toujours à poindre le bout de son nez grâce à la créativité
esthétique de Coppola, par la bande son magnifique de Tom Waits et
Crystal Gayle ou le charme et la spontanéité des deux personnages
secondaires que sont Ray et Leila, joués par les savoureux Raul
Julia et Nastassja Kinski.
De
ces deux derniers proviennent le souffle épique et la pointe de
magie de Coup de Cœur : deux protagonistes, qui à l’image
de la mise en scène du film, essayent d’exorciser le couple à
sortir de sa routine, à entrevoir la magie de la nuit nostalgique
des grandes chorégraphies dansantes, à dépasser son quotidien et
sentir cette douce odeur de désir. Ce film de Coppola, qui n’est
pas qu’une simple lubie farfelue ou un ratage complet pour
beaucoup, est un film qui mérite le coup d’œil à défaut d’y
ressentir son cœur.
Réalisé
par Francis Ford Coppola
Avec
C. Thomas Howell, Matt Dillon, Ralph Macchio, Patrick
Swayze, Tom Cruise, Rob Lowe, Emilio Estevez, Diane Lane, Sarah
Jessica Parker, Sofia Coppola
Film
américain
Genre :
drame
Durée :
1h30
Année
de production : 1983
Titre
original : Outsiders
Les
“Greasers” issus des quartiers pauvres, et les “Socs”, fils
de bourgeois, s’affrontent dans les années 1960 dans la petite
ville de Tulsa en Oklahoma.
Au
tournant d'une nouvelle époque faite d'incertitudes quant à
son milieu professionnel, que faire lorsqu'on a été considéré
pendant presque dix ans par une grande partie de ses pairs et de la
critique internationale comme le plus grand cinéaste américain en
activité ? Comment poursuivre dans l'excellence après avoir vécu
la flamboyante décennie 1970 en tant que mentor et exemple à suivre
pour de nombreux jeunes réalisateurs ayant donné naissance au
Nouvel Hollywood ? De quelle façon rebondir après avoir obtenu une
brassée d'Oscars pour deux films emblématiques d'une alliance entre
grand cinéma populaire et fresque d'art et essai - Le
Parrain (1972) et Le
Parrain, 2ème partie (1974) - et gagné deux Palmes d'or
à Cannes grâce à deux œuvres majeures de l'histoire du cinéma
comme le thriller politico-expérimental Conversation
secrète (1974) et l'hallucinante descente aux enfers
guerrière Apocalypse Now (1979) ? En enfin comment trouver
un deuxième souffle après le tournage au long cours, exténuant et
dantesque de ce dernier film cauchemardesque durant duquel on a
failli perdre totalement la raison ? Toutes ces questions, Francis
Ford Coppola a probablement dû se les poser alors que le
système hollywoodien des années 80 allait refermer une parenthèse
enchantée qui avait offert aux artistes toutes les libertés et
toutes les audaces pour mener à bien leurs œuvres - même dans les
conditions les plus extrêmes et parfois irresponsables.
Sûr
de son talent, mû par ses incontestables réussites, animé par une
ambition démesurée nourrie par une mégalomanie vorace, et toujours
plus en quête de contrôle dans son art de la mise en scène et dans
ses velléités de producteur, Coppola se jette à corps perdu dans
le projet Coup
de cœur (1981),
un film romantique expérimental à l'intrigue minimaliste qui noie
son spleen dans une innovante esthétique colorée et une réalisation
virtuose et baroque. A cette occasion, dans sa tentative
mi-consciente mi-inconsciente de conjuguer l'art de ses grands
modèles Orson
Welles et Max
Ophuls,
il déplace et développe sa société de production American
Zoetrope (appelée aussi Zoetrope Studios) pour constituer une major
company indépendante
destinée à produire en interne dans ses propres studios tous ses
projets personnels (une volonté constante chez lui depuis la fin des
années 60 lorsqu'il a fondé sa société avec la collaboration
de George
Lucas).
Mais à sa sortie, Coup
de cœur va
faire face à un mur d'incompréhension de la part du public comme
des critiques ; le film est surtout un bide au box-office et va
causer hélas la fin prématurée des rêves de grandeur de son
auteur démiurge qui se retrouve ruiné et endetté. Obligé de se
retourner vers des sujets et des productions plus modestes, Coppola
va se ressourcer en filmant des récits de jeunesse. Ainsi, il va
adapter dans la foulée deux nouvelles de l'écrivaine S. E. Hinton,
originaire de l'Oklahoma et célèbre pour ses romans d'adolescence
douloureux qui mettent en jeu des personnages livrés à eux-mêmes,
aliénés par un entourage défaillant et perdus dans des
affrontements stériles en bandes rivales. Outsiders puis
surtout Rusty James (Rumble Fish) vont témoigner d'une
originalité et d'une vitalité toujours présentes chez Coppola et
représenter deux bouffées d'air frais alors que le cinéaste aborde
deux décennies de convalescence au cours desquelles surnageront
quelques grands films au milieu de productions quelque peu indignes
de son génie.
Outsiders est
adapté d’un roman de Susan E. Hinton que cette dernière a écrit
à l’âge de 16 ans. Un ouvrage qui a obtenu un immense succès
chez les lycéens. Et c’est d’ailleurs grâce à une classe d’un
lycée de Fresno que ce film a d’une certaine manière pu voir le
jour. Celle- ci avait en effet organisé en son sein un sondage
autour de cette simple question : « quel cinéaste
verriez- vous pour porter à l’écran Outsiders ? »
Le nom de Francis Ford Coppola est arrivé très nettement en tête
et les lycéens lui ont envoyé une lettre et un exemplaire du livre
pour l’en informer. Le cinéaste a été si touché par ce geste
qu’il s’est plongé sans attendre dans le roman et décidé
quasiment dans la foulée de le porter sur le grand écran.
Dans
son coin, Francis Ford Coppola semble succomber aux sirènes
hollywoodiennes en faisant des adolescents les protagonistes
principaux de ses films alors que l'industrie se tourne justement
vers les plus jeunes spectateurs pour engranger des profits.
Pourtant Outsiders renoue plutôt avec une imagerie fifties
et sixties qui se voit même assombrie - malgré ses nombreuses
touches de naïveté - par une affliction et un brutalité
constantes, comme une réminiscence survoltée de La
Fureur de vivre et de Graine de violence, avec ses
ados rebelles violents, victimes d'une pauvreté matérielle et
spirituelle dans une société de consommation inégalitaire, menant
une vie sans dessein et codifiée par des bagarres de rue qui
paraissent la seule raison d'être de leur morne existence. Avec ce
film, dont l'adaptation lui a été suggérée par des étudiants,
Coppola fait preuve d'un naturalisme assez incroyable et maintient un
climat de tension mortifère qui entoure ses belles gueules d'anges
maudits, deux traits caractéristiques qui placent Outsiders à
mille lieues des comédies dramatiques suburbaines américaines qui
font florès à cette époques ou bien des chroniques adolescentes
de John Hughes -
qui chacune ont certes leurs qualités. Outsiders fera
aussi date pour avoir mis le pied à l'étrier à plusieurs jeunes
comédiens aux carrières néanmoins disparates comme Matt Dillon,
Ralph Macchio, Patrick Swayze, Tom Cruise, C. Thomas Howell, Rob
Lowe, Diane Lane ou Emilio Estevez.
Pour
"Outsiders", le cinéaste imposera à l’équipe du
tournage, et à l’ensemble de ses comédiens débutants, de vivre
séparément : il voulait ainsi recréer la tension entre ces deux
bandes rivales. Ainsi
les deux bandes logeaient dans le même hôtel certes mais avec un
confort bien distinct. Des appartements ultra- chics avec vue pour
les Socs, des chambres on ne peut plus banales au rez- de- chaussée
pour les Greasers. Le cinéaste poussa même l’obsession à offrir
aux membres des Socs des scénarios reliés en cuir quand les
Greasers n’eurent droit qu’à des feuilles volantes. Cette
logique poussera même Coppola à demander à Matt Dillon d’aller
passer une nuit en prison comme son personnage le fait dans le film.
Et bien que formé à l’Actor’s Studio, Dillon refusera et ne
cèdera pas. Cela n’empêchera pas Coppola de le retrouver dans la
foulée pour Rusty James. Précisons
également que le réalisateur déclinera ce film sous la forme d'une
série télévisée au début des années 90, mais ce fut un flop
commercial.
Outsiders reste une œuvre importante, pour son
originalité et par la clarté et la pureté du jeu de ses acteurs
même s'il ne remportera qu'un succès mitigé lors de sa sortie en
salle.
Outsiders reste une œuvre importante, pour son
originalité et par la clarté et la pureté du jeu de ses acteurs
même s'il ne remportera qu'un succès mitigé lors de sa sortie en
salle.
Rusty
James
Réalisé
par Francis Ford Coppola
Avec
Matt Dillon, Mickey Rourke, Diane Lane, Dennis Hopper
Film
américain
Genre :
drame
Durée :
1h35
Année
de production : 1983
Un
jeune loubard au tempérament impulsif vit dans l’ombre de son
frère aîné, un ex-chef de bande qui tente de le remettre dans le
droit chemin.
Ce
nouveau projet, que Coppola tourne avec une grande partie de l'équipe
de Outsiders et dans la même ville de Tulsa, va lui permettre de
pousser encore plus loin sa vision pessimiste de la jeunesse moderne
(trahirait-elle alors un jugement très négatif de sa part sur la
décennie qui s'ouvre ?) même si l'œuvre se pare d'un cachet
intemporel, alors que Outsiders dans son beau classicisme
coloré trouvait le moyen de distiller des motifs d'espoir et de
ménager des passages lumineux.
Le
cinéaste découvre le roman Rumble Fish pendant le
tournage de Outsiders et se lance vite dans l'écriture
pendant ses pauses avec la collaboration cette fois-ci de
l'écrivaine. Son but, comme il le précisera lui-même, est de
tourner « un film d'art pour adolescents. » S.E. Hinton
avait mûri son troisième roman durant plusieurs années avant de le
faire paraitre en 1975, une histoire qui trahissait une vision
d'adulte contrairement à The Outsiders, œuvre de jeunesse. Les
thèmes principaux du livre comme du film sont l'aliénation de la
jeunesse américaine par une société injuste et brutale qui les
"parque" dans une prison sociale faite de pauvreté
financière et morale ainsi que de solitude, dans laquelle ces jeunes
s'inventent un royaume où ils se sentent exister en recourant à la
violence et à une liberté d'action illusoire ; c'est également la
notion du temps qui s'écoule et annihile toute espérance, comme un
compte à rebours qui emmène ses jeunes héros vers une mort
spirituelle voire même physique ; c'est enfin une relation en miroir
entre deux frères, le plus jeune idolâtrant son aîné au point de
souhaiter ardemment le remplacer et perpétuer son héritage, un
héritage qui perd tout son sens quand son auteur le renie pour
tenter de sauver son cadet d'une existence futile et sans
accomplissement. Cette troisième thématique a profondément ému
Coppola, qui conçoit une admiration sans borne pour son frère aîné
August qui lui a fait découvrir la littérature et le cinéma.
August Coppola était un universitaire et un promoteur des arts
(parfois aussi un collaborateur du cinéaste qui aime travailler en
famille) et Francis Ford Coppola avouait qu'il se sentait vivre dans
l'ombre de ce dernier. Tourner Rusty James fut donc aussi
une façon de dépasser ce complexe tout en rendant hommage à ce
personnage à la présence quelquefois trop encombrante. C'est
d'ailleurs en investissant ce sujet de la relation fraternelle
mi-destructive mi-constructive (mêlée à une figure paternelle
intrusive et parfois délétère) que Coppola signait son retour
artistique en 2009 avec Tetro,
l'une de ses œuvres les plus originales et bouleversantes, l'année
justement de la disparition d'August. Le rapport fraternel en miroir
est illustré à l'écran par l'usage répété de surfaces
réfléchissantes, ainsi que de cadrages très ajustés qui montrent
Rusty James s'évertuer à vouloir se positionner face à son frère,
ce Motorcycle Boy évanescent tout en lignes de fuite. Un plan en
particulier révèle la projection narcissique qu'opère Rusty sur
son frère aîné, celui où, torse nu, il se soigne dans sa salle de
bains devant un miroir alors que celui-ci reflète l'image du
Motorcycle Boy qui se trouve hors champ et génère un effet de
transfert/superposition.
« Un
film d'art pour adolescents » selon Coppola, c'est pour lui la
création d'un poème visuel empli d'images oniriques et d'effets
expressionnistes. A cet effet, le cinéaste fit projeter à son
équipe plusieurs classiques allemands des années 20 avant le
tournage. Il naît à l'écran un curieux mélange entre un "street
movie" naturaliste avec une jeunesse plutôt bien incarnée bien
que désœuvrée qui trace un lien avec l'errance urbaine à
la Wenders (Coppola
produisit Hammett en 1982, ce qui n'est sans doute pas
fortuit), un essai poétique au style expressionniste revendiqué qui
unit passé, présent et avenir dans une sorte d'univers en
suspension propice aux élans philosophiques et dont la pulsation est
rythmée par les hausses et baisses de tension exprimées par les
jeunes protagonistes, et enfin une chronique adolescente faisant écho
au séries B des années 50 et 60. Rusty James apparaît
ainsi comme un objet arty moderne et incongru en ce début
des années 80, et qui restera longtemps incompris par le public et
la critique. La baston nocturne dans la gare semble échapper à tout
réalisme, convoquant la chorégraphie des danses/combats de West
Side Story tout en s'inscrivant dans la mouvance du clip,
nouveau mode d'expression de la décennie. Le noir et blanc sublime,
anthracite et aux contrastes tranchants du chef-opérateur Stephen H.
Burum - L'Emprise (1982), La Foire des
ténèbres (1983), Body
Double (1984), Les
Incorruptibles (1987), Outrages (1989), L'Impasse (1993)
- confère toute sa puissance symbolique aux longues ombres portées
(ou même peintes), aux clairs-obscurs, aux nombreuses effusions de
fumée et de vapeur, aux cadrages obliques suggérant un monde surgi
d'âmes tourmentées. Ce monde dépeint par Coppola possède une
apparence intemporelle ; d'une part grâce aux décors et aux
costumes évoquant à la fois les années 50 et la fin des années 70
(et qui annoncent sans crier gare la mode vintage des années 80
s'appuyant sur les figures juvéniles des "mauvais garçons"
James Dean et Marlon Brando), d'autre part via l'utilisation des
mouvements des nuages filmés en accéléré qui crée une autre
temporalité.
En
plus des concepts de fratrie et de carcans à briser en vue d'une
libération, Rusty James est profondément hanté par la
notion du temps. Cela a clairement été explicité par Coppola qui
truffe sans cesse son film d'horloges au risque de friser le
ridicule. Son long métrage est rythmé par un tempo oscillant entre
accélérations (visuelles et sonores) et moments de pause propices
aux interrogations existentielles. Divers types d'horloges entourent
les personnages pour évoquer le tictac d'une vie qui s'écoule
inexorablement, sans autre alternative que la mort, tel un
avertissement donné à son jeune protagoniste (dont le prénom
signifie "rouillé", comme s'il était prématurément
vieux et usé) : remplir cette vie de sens avant qu'elle ne s'achève
misérablement.
Dans
une autre séquence à l'onirisme appuyé et serein, le réalisateur
filme son jeune antihéros léviter après été tabassé et laissé
pour mort ; cette séparation du corps et de l'esprit montrant Rusty
James flotter dans son quartier, parmi les siens, offre un décalage
spatio-temporel qui ne laisse au garçon comme échappatoire que
l'absence et la mort. L'emprise du temps est également suggérée
par la bande musicale du film que Coppola a confiée à Stewart
Copeland, cofondateur et batteur du fameux groupe The Police. Le
cinéaste souhaitait également pousser ses expérimentations dans le
domaine sonore et entendait composer lui-même une musique métallique
et percussive afin d'évoquer les cliquetis et les battements d'une
montre, l'écoulement mécanique du temps. Conscient de ses limites,
il fit appel à Copeland qui devint responsable de la totalité de la
bande-son expérimentale de Rusty James - le musicien
entama à cette occasion une deuxième carrière en tant que
compositeur de musique de films.
Face
au jeune et fluet Matt Dillon, parfait dans sa nature mixte d'enfant
perdu et de bel adolescent frondeur mais insatisfait, Mickey Rourke
s'impose immédiatement avec son charisme nonchalant dans le
personnage énigmatique du Motorcycle Boy. Après plusieurs seconds
rôles intéressants chez Cimino, Levinson ou Kasdan, Rourke naît
d'une certaine façon au cinéma en rendant chacune de ses scènes
mémorable. A la fois beau comme un demi-dieu et suintant la
lassitude entre deux coups d'éclat, le comédien convoque le fantôme
d'un jeune Brando dont l'animalité se serait progressivement éteinte
pour donner naissance à un personnage tragique qui organiserait sa
lente disparition après une dernière épreuve. Celle-ci sera de
libérer son frère de sa névrose obsessionnelle : devenir le reflet
de son aîné dans son désir aveugle de diriger son gang vers
toujours plus de violence. La symbolique des rumble fish ("les
poissons lutteurs"), filmés comme des taches de couleur
(rouges, bleues), exprime l'idée chevillée au corps du Motorcycle
Boy qui estime que ces animaux cesseraient de se battre entre eux et
contre leur propre reflet s'ils étaient libérés de l'aquarium de
l'animalerie. Chose qu'il s'empresse de faire, de façon illégale
bien sûr et qui scellera son funeste destin. C'est évidemment de la
libération de Rusty James dont il s'agit, libération par rapport à
son environnement aliénant mais aussi par rapport au modèle
fraternel. Mais si les poissons échouent à atteindre le fleuve, il
n'en sera pas de même pour Rusty. Par sa réalisation ingénieuse,
Coppola brise le miroir : près de la dépouille de son frère aîné,
arrêté par la police, Rusty James frappe son poing contre son
reflet sur la vitre de la voiture et l'image du film passe alors
momentanément en couleur... Le cadet est enfin libéré de son aîné.
Et
le film de s'achever (presque) par une idée visuelle sublime. Via un
lent travelling latéral, Coppola impulse un mouvement d'appareil qui
part du corps sans vie du Motorcycle Boy et de B. J. agenouillé
(Chris Penn, ici âgé de 17 ans et 3 années avant Comme un
chien enragé) puis capture la communauté du quartier qui peu à peu
s'amasse, à la fois interloquée et recueillie, abandonnée à son
environnement, pour aboutir au plan où l'ombre de Rusty à moto
passe à toute vitesse devant le tag "The Motorcycle Boy Reigns"
et s'enfuit dans la direction opposée. Agissant comme un "ressort",
ce travelling propulse Rusty James hors de sa prison. Le passage de
relais a eu lieu et le jeune Rusty d'atteindre l'océan Pacifique
alors que The Motorcycle Boy, lui, avait été bloqué en Californie
où il avait retrouvé leur mère. L'océan californien apaisé forme
un dernier barrage et nul ne sait ce qu'il adviendra de Rusty James,
dépossédé de ses figures paternelles et toujours sans figure
maternelle. Dans ce songe éveillé et mélancolique qu'est Rusty
James, Francis Ford Coppola ne semble pas régler la question du
besoin d'échapper à sa famille et/où aux injonctions sociales
pré-déterminantes. La jeunesse américaine a atteint la frontière
à l'Ouest mais elle s'interroge toujours de savoir s'il s'agit d'un
nouveau départ ou d'une fin prématurée. En revanche, le spectateur
cinéphile sait, lui, qu'il a rencontré une œuvre à nulle autre
pareille, un film insolite et radical, libre et poétique, inspiré
et prophétique, l'un des plus beaux réalisés par ce grand maître
du cinéma mondial.
Réalisé
par Francis Ford Coppola
Avec
Richard Gere, Nicolas Cage, Diane Lane, Gwen Verdon, Gregory Hines,
Laurence Fishburne, Bob Hoskins, Lonette McKee, James Remar
Film
américain
Genre :
comédie musicale
Durée :
2h08
Année
de production : 1984
En
1928, la prohibition a engendré une vague de violence qui a
déferlé sur l'Amérique. À New York, au cabaret Cotton Club, la
pègre, les politiciens et les stars du moment goûtent les plaisirs
interdits. Un trompettiste blanc et un danseur noir sont emportés
dans une tourmente où l'amour et l'ambition se jouent au rythme des
claquettes, du jazz et des mitraillettes...
A
sa sortie sur les écrans à la fin de l’année 1984 (début 1985
en France), cette superproduction au brio indéniable a laissé le
public de marbre.
La
première raison, qui n’est certes pas suffisante, tient sans doute
dans les conditions chaotiques de sa production. Au départ, il
s’agit d’un projet de Robert Evans, producteur phare du Nouvel
Hollywood, à qui l’on doit Rosemary’s
Baby, Le
Parrain, Serpico et Chinatown.
Au début des années quatre-vingt, Evans est en sérieuse perte de
vitesse mais il n’a pas perdu son extravagance et sa mégalomanie.
S’étant toujours attribué le succès du premier Parrain,
il veut battre Coppola sur son propre terrain : il souhaite
réaliser lui-même un grand film de gangsters, cette fois autour du
Cotton Club, le célèbre cabaret new-yorkais des années 1920, qui
avait la particularité de n’avoir que des artistes noirs... pour
un public exclusivement blanc. Evans base son projet sur un livre
historique, richement illustré, de l’auteur afro-américain James
Haskins, paru en 1977. Pour inventer une fiction criminelle solide
autour du Cotton Club, le producteur appelle évidemment à la
rescousse sa poule aux œufs d’or, Mario Puzo. Les préparatifs du
film commencent sur la base d’un premier script, des millions de
dollars sont investis dans la préproduction... et Evans se retrouve
vite totalement dépassé ! On ne s’improvise pas cinéaste.
En désespoir de cause, le producteur engage Coppola
comme script-doctor, afin de rebâtir le scénario et mieux
mettre en parallèle le destin des communautés noires, irlandaises
et juives qui gravitent autour du club. Dans sa tâche, Coppola se
fait aider par le romancier William Kennedy, spécialiste de la
communauté irlando-américaine. Vous devinez la suite : Coppola
se prend au jeu et Evans comprend définitivement qu’il ne sera pas
à la hauteur d’un tournage aussi complexe, entremêlant ego
d’acteurs, numéros musicaux et violence criminelle. Coppola
devient donc le réalisateur officiel de cette superproduction, ce
qui lui donne l’occasion de revenir sur le devant de la scène
après la faillite du studio Zoetrope en 1982.
Mais
pour l’artiste Coppola qui adore se renouveler et changer la forme
de ses films à chaque projet, il est hors de question de
"refaire" Le
Parrain : Cotton Club ne sera donc pas une
fresque solennelle, viscontienne, sur une famille de gangsters
évoluant à travers l’Histoire, entre Sicile et Amérique, mais
une ronde rapide, étourdissante, en vase clos, où l’on passe sans
arrêt des artistes aux gangsters, de la scène à la salle et de la
salle à la rue. Coppola annonce cela dès les premières images :
d’abord un numéro de danse, filmé avec ampleur, sous une lumière
chatoyante mais trompeuse de Stephen Goldblatt, où les artistes
noires du Cotton Club semblent s’épanouir, mais sont comme
enfermées entre les piliers de la scène... Ensuite un plan serré
sur un caniveau, où circulent librement les couples blancs et sur
lequel une bouteille d’alcool vient se briser. Ivresse,
effervescence et enfermement. Tel sera Cotton Club, un film
volontairement "artificiel", un film de pur studio où le
ciel n’apparaît pas, où l'on ne voit jamais New York (ou Harlem)
en plan d’ensemble. En somme, un prolongement évident du Las Vegas
"sous cloche" de l’expérimental Coup
de cœur ! Et c’est sans doute ici la deuxième raison
de l’échec commercial du film : il est fort probable que le
public n’ait pas aimé cette sensation "artificielle",
qui est à l’opposé de celle, épique, authentique, communiquée
par Le Parrain. Comme
pour Coup de cœur,
ce règne de l’artifice et de l’illusion rend cette
superproduction un peu "étriquée", sans que l’on puisse
en déterminer la cause : cela vient-il de la mise en
abyme volontairement étouffante de Coppola (le monde est une scène,
comme le montre la vertigineuse dernière séquence à la gare),
épousant le point de vue d’artistes de cabaret qui se
coupent volontairement du monde, par peur de la vie ? Ou
cela vient-il des mauvais choix de la pré-production, qui ont
empêché une reconstitution de New York à grande échelle ?
La
troisième raison de l’impopularité du film vient aussi sans doute
de la narration expérimentale de Coppola : le cinéaste montre en
parallèle l’ascension de couples issus des deux communautés, la
noire et la blanche, accusant subtilement, par ce procédé, la
ségrégation de l’époque, tout en suggérant
astucieusement l’égalité entre ces êtres humains,
quelle que soit leur couleur de peau. Nous voyons donc évoluer deux
couples d’amoureux (Richard
Gere / Diane
Lane d’un côté, Gregory Hines / Lonette McKee de
l’autre) en même temps que deux "couples" de frères
(Richard Gere / Nicolas
Cage, Gregory Hines / Maurice Hines, ce dernier étant
d’ailleurs le vrai frère de Gregory). Un plan emblématique de ce
ballet virtuose est le travelling à la steadicam qui suit les frères
Williams dans la rue et qui "attrape" soudain, à
contresens, les frères Dwyer qui passent par là, la caméra restant
dès lors avec eux. Chez Coppola, rien n’est gratuit : par ce
procédé, le cinéaste pointe du doigt l’essence de
l’Amérique, à savoir une terre grouillante et "artificielle"
(c’est-à-dire créée de toutes pièces par les pionniers) où les
communautés blanches et noires se côtoient en général sans
se toucher, en se disant « Bonjour » dans le meilleur des
cas (comme ici) mais en menant chacune leur vie, en une cohabitation
aveugle.
Pour
autant, malgré ces subtilités et ces rimes visuelles, le public n’a
sans doute pas apprécié le fait de passer sans arrêt d’un
personnage à un autre, sans pouvoir véritablement s’attacher,
d’autant que le personnage "principal" Dixie Dwyer,
incarné par la star montante d’alors Richard Gere, n’est
justement pas attachant : c’est un beau gosse arriviste, à la
fois naïf et lâche, qui doit son avancée non pas à sa volonté ou
à ses compétences, mais à son physique et surtout aux caprices des
gangsters qu’il croise : d’abord le sanguinaire Dutch
Schultz (effrayant James
Remar), ensuite le rusé Owney Madden (impérial Bob
Hoskins). Sa compagne Vera Cicero, incarnée par Diane Lane,
n’est guère plus aimable : incapable de tendresse suite à
une enfance qu’on devine pauvre et violente, elle ne rêve que
d’avoir son propre night-club, et pour cela elle est prête
à coucher avec tous les gangsters qui ont pignon sur rue. Quant
au frère de Dixie, Vincent, joué par Nicolas Cage, comment aimer ce
gangster à la petite semaine dépassé par la guerre des gangs et
faisant mitrailler des innocents dans la rue ?
En
fait, dans ce film, nous nous attachons bien plus aux membres de la
communauté noire : ils sont certes tout aussi obsédés par la
réussite sociale, mais cela se fait dans une atmosphère d’entraide
beaucoup plus chaleureuse. Et malgré leurs désaccords, ils restent
conscients de leur sort commun face à la ségrégation, ségrégation
qui est bien sûr l’un des sujets du film. Un sujet traité
peut-être trop en filigrane par Coppola, qui le regrettera au point
d’établir en 2017 une version longue du film (The Cotton Club
Encore), donnant encore plus de place à la communauté noire dans le
montage. (1) Mais le cinéaste se rattrape grandement en
mettant tout son cœur dans les numéros musicaux (chansons
et/ou numéros de claquettes) qui constituent la réussite
incontestable du film : moments magiques au cours
desquels ces natifs américains, ignorés d'ordinaire
par les Blancs, peuvent enfin s’exprimer,
communiquer leurs sentiments et leurs espoirs, avec talent et
émotion. Notons que les superbes numéros de claquettes entre les
frères Williams (ou devrait-on dire les frères Hines ?)
obligent évidemment Coppola à oublier momentanément le montage et
à filmer simplement "en pied" afin d’en bien saisir
toute la beauté, ce qui renforce bien sûr la symbiose entre
les deux hommes, symbiose inexistante entre les frères Dwyer (ou
devrait-on dire entre les comédiens Richard Gere et Nicolas Cage ?).
En
dépit de ces scènes réellement émouvantes, il faut avouer
que Cotton Club est une œuvre trop "froide" pour
plaire au grand public. Le ton particulier du film, si ce n’est son
malaise, vient du contraste volontaire entre l’euphorie des numéros
et l’enfermement que ressentent tous les personnages. Pas seulement
les Noirs victimes de la ségrégation, mais également les femmes
victimes du machisme (Vera, Lila Rose), et même Dixie prisonnier de
sa peur par rapport à Dutch et qui doit constamment "lécher
les bottes" des financiers pour réussir. De là à voir une
allusion acerbe de Coppola à ses rapports ambivalents avec Robert
Evans et les studios hollywoodiens, il n’y a qu’un pas. Une
chose est certaine toutefois : si Cotton Club était
signé par un réalisateur inconnu, la critique crierait au génie, à
la virtuosité suprême. Et l’avant-dernière séquence, qui met en
parallèle la chute du gangster Dutch Schultz et le triomphe de
l’artiste Sandman Williams, entremêlant le crépitement des
mitraillettes et la frénésie des claquettes, laisserait tout le
monde le souffle coupé. Mais avec le nom de Coppola au générique,
la critique fait la moue. C’est dire le niveau d’exigence à
l’égard de cet artiste !
Peggy Sue
s'est mariée
Réalisé par
Francis Ford Coppola
Avec Kathleen
Turner, Nicolas Cage, Barry Miller, Catherine Hicks, Joan Allen, Wil
Shriner, Don Murray, John Carradine, Jim Carrey, Maureen O’Sullivan
Film
américain
Genre :
comédie dramatique
Durée :
1h40
Année de
production : 1986
1985 : les
anciens du lycée Buchanan, classe 1960, se retrouvent pour leur
vingt-cinquième réunion. Ce soir, ils sont venus en habit d’époque,
jupes gonflantes, robes des sixties, brosse et noeuds pap’ pour les
garçons. Peggy, très populaire en 1960, se retrouve reine de la
soirée avec pour partenaire son mari, Charlie, le rocker. Mais ce
tandem si brillant jadis est sur le point de se séparer. Revoyant
son mari dans sa prime jeunesse, Peggy, encore amoureuse, s’évanouit.
Elle s’enfonce dans le rêve et revit ces fameuses années 1960…
Après
l’échec commercial de Coup
de cœur, en 1982, qui entraina
la ruine de Coppola, le réalisateur se retrouva contraint d’accepter
un certain nombre de films de commande pendant plusieurs années.
Pourtant, chaque fois, Coppola parvint à faire de ces longs métrages
de vrais films d’auteur qui portaient sa marque de fabrique et ses
thèmes.
Sorte
de Retour
vers le futur mais en version adulte
et désenchantée, Peggy Sue s’est mariée se démarque
du film de Robert Zemeckis par un refus du spectaculaire et de
l’angélisme. On ne saura jamais si Peggy Sue remonte le temps,
visite son passé ou si son aventure n’est qu’un rêve. Fidèle à
la tradition de la comédie du remariage, genre à lui tout seul dans
l’histoire de la comédie hollywoodienne, le film de Coppola narre
le cheminement psychologique et sentimental de son héroïne,
partagée entre l’envie de ne pas reproduire les mêmes erreurs et
un besoin de stabilité, de sécurité.
Le
film comporte également de beaux moments d’humour, avec notamment
une scène où Peggy Sue, plus expérimentée que Charlie –
et pour cause, elle a en fait 41 ans et n’est donc plus une
adolescente – fait peur à Charlie qui panique. On assiste à une
inversion des rôles et des sexes assez drolatique. Kathleen
Turner est à la fois irrésistible
et touchante dans le rôle de cette femme en décalage permanent, par
son âge, l’époque future d’où elle vient mais aussi par le
recul qu’elle a sur sa vie, son passé.
Les moments
où elle revoit des êtres qu’elle a depuis perdus de vue, ou
perdus tout court, constituent de très belles scènes. L’émotion
qui la submerge, incompréhensible aux yeux de ses proches qui
ignorent tout de son « voyage temporel » devient la nôtre. Si le
film peut plaire à toutes les générations, il appartient à cette
frange d’œuvres qui se revoient à différents moments de sa vie,
les lectures qu’on en fera s’enrichissant au fil du temps qui
passe, avec son lot de regrets et ses moments de réconciliation avec
soi-même et son histoire.
On
peut voir en Peggy Sue s’est mariée un beau film sur
l’acceptation. L’acceptation de la vie telle qu’elle est :
souvent morne et demandant un courage et une abnégation quotidiens,
discrets, presque invisibles aux yeux des autres. Il s’agit de se
réconcilier avec son passé, pour mieux accepter son présent. Pas
de transformation spectaculaire, pas de rebondissement
extraordinaire, mais un mélange de philosophie et de poésie. Et le
retour à l’adolescence de l’héroïne devient paradoxalement un
parcours initiatique qui permet de mieux comprendre ce qu’être
adulte veut dire.
Un
très joli film exploité avec sensibilité, émotion et intelligence
par un grand réalisateur.
Jardins
de pierre
Réalisé
par Francis Ford Coppola
Avec
James Caan, Anjelica Huston, James Earl Jones, Dean Stockwell, D. B.
Sweeney, Laurence Fishburne
Film
américain
Genre
: drame
Durée :
1h50
Année
de production : 1987
Le
soldat Jack Willow a trouvé la mort au Vietnam, ce qui désespère
son père spirituel, le sergent Hazard, qui l’avait mis en garde
contre cet engagement risqué. Willow est enterré, avec quinze
camarades, dans le cimetière d’Arlington, immense jardin de
pierre. La cérémonie est l’occasion pour Hazard de retracer le
parcours du jeune idéaliste, le fils d’un de ses anciens frères
d’armes.
Rares
sont les grands réalisateurs américains dont le parcours ressemble
autant à des montagnes russes que Francis Ford Coppola. Si l’on
se risquait à faire un bilan, la comparaison avec Michael Cimino,
comme Coppola une figure clé du Nouvel Hollywood, est tentante. On
connaît le destin atypique du premier : après avoir connu la
consécration dès son deuxième opus, l’extraordinaire Voyage
au bout de l’enfer (1978), l’étoile filante s’écrasa dès
l’œuvre suivante, La
Porte du paradis, dont l’échec retentissant précipita la
ruine de la United Artists, détruisit la réputation de Cimino et
provoqua à lui seul un tournant dans l’industrie cinématographique
américaine, les studios n’accordant désormais plus que rarement
les « pleins pouvoirs » aux metteurs en scène. Michael
Cimino ne se releva jamais de cette catastrophe, et tous ses films
suivants furent des échecs tant commerciaux que critiques (à la
notable exception de L’année du dragon (1985)), avant
que le cinéaste ne prenne une retraite anticipée en 1996…
et décède vingt ans plus
tard.
En
caricaturant à peine, on pourrait dire que la carrière de Francis
Ford Coppola a suivi les mêmes convulsions que celle de son
infortuné confrère, mais sur une durée nettement plus longue et,
heureusement, avec des effets (tout juste) moins tragiques. Sa
trajectoire professionnelle se découpe en cycles décennaux. Après
une poignée de films de jeunesse, très différents les uns des
autres, dans les années ’60, Coppola et son ami George Lucas,
influencés par le cinéma européen, ambitionnent d’introduire
dans leur pays de nouvelles méthodes de création cinématographique.
En quelques années, ils s’érigent tous les deux comme les
fers de lance du Nouvel Hollywood, mouvement de modernisation du
cinéma américain et incroyable vivier de talents (Spielberg,
Scorsese, Malick, De Palma, etc.). Porté par ce souffle nouveau,
Coppola va vivre une décennie de rêve. Dans les années ’70,
comme touché par la grâce divine, il met ainsi en scène,
successivement, Le Parrain, Conversation
secrète, Le Parrain, 2e partie et Apocalypse
Now. Quel cinéaste ne tuerait pas père et mère pour accoucher
d’une telle brochette de chefs-d’œuvre ?
En
1979, Coppola est au faîte de sa gloire. Peu se doutent alors qu’il
va connaître une traversée du désert de plus de dix ans. A
l’instar de Michael Cimino, dont Voyage au bout de
l’enfer sort un an avant Apocalypse Now, chef-d’œuvre
dont la réalisation cauchemardesque lui a presque fait perdre la
raison, Coppola va connaître un revers catastrophique.
Son musical Coup de
cœur, sorti en salles en 1982, qui a engagé une production
colossale de 26 millions de dollars, est un désastre. Le film
engrange moins d’un million de dollars au box-office. L’impact
financier est tel que Coppola doit vendre son studio Zoetrope, et il
mettra ensuite très exactement dix ans pour éponger ses dettes (le
succès de Dracula en 1992 signe la fin du calvaire).
Pendant cette décennie 1980 maudite, il s’acquitte de plusieurs
films de commande pour tenter de se refaire. Si quelques-uns sont
aujourd’hui largement réhabilités (Outsiders, Rumble
Fish), un seul rencontre le succès : Peggy
Sue s’est mariée, en 1986. Aux abois et à l’affût de la
moindre opportunité pour desserrer l’étau de ses créanciers,
Coppola accepte même de tourner un court-métrage kitschissime avec
Michael Jackson pour une attraction de Disney (Captain Eo, 1986) !
Même sa participation au film collectif New York Stories, en
1989, aux côtés de Woody Allen et Martin Scorsese, est un fiasco,
les critiques jugeant sa contribution la pire du film… C’est
finalement contraint financièrement que le cinéaste accepte de
tourner en 1990 le troisième volet de la saga du Parrain, un
film qui ne fera pas l’unanimité mais qui permet à Coppola de
renouer avec le succès, avant que Dracula ne lui permette
enfin d’envisager l’avenir avec sérénité. Ces longues années
d’errance ont cependant laissé des traces. Coppola réduit le
rythme et, surtout, l’envergure de ses œuvres, se concentrant, à
partir des années 2000, sur des projets personnels et relativement
discrets. S’ensuivent des longs-métrages de qualité très
variable : si Tetro (2009)
est une œuvre très intéressante, que dire du
calamiteux Twixt (2011)? En attendant Megalopolis, un
projet imaginé de longue date que Coppola décrit lui-même comme un
nouveau « travail majeur »…
Mais
revenons quelques années en arrière. En plein dans l’œil du
cyclone, plus précisément. Jardins de pierre, sorti en 1987,
fait en effet partie de cette decennium horribilis du
cinéaste américain. Il en possède même toutes les
caractéristiques, puisqu’il fut un échec commercial et critique.
Plus grave, le quinzième long-métrage de Coppola est
profondément marqué par un drame personnel, le décès de son fils
aîné Gian-Carlo (le père de la future réalisatrice Gia Coppola,
née après son décès), en mai 1986, dans un accident de bateau, à
l’âge de 22 ans. Francis Ford Coppola lui dédiera son film
suivant, Tucker : L’homme et son rêve (1988). Le
jeune homme était impliqué dans la préproduction des Jardins
de pierre. Griffin O’Neal, l’acteur supposé jouer le rôle du
soldat maladroit Wildman dans le film, quitta quant à lui
logiquement le projet car… il pilotait le bateau dans lequel se
trouvait Gian-Carlo Coppola lors de l’accident fatidique ! Il
fut remplacé par Casey Siemaszko. Compte tenu de ce qui précède,
il n’est pas exagéré de parler de « film maudit », et
il est fort à parier que Coppola lui-même préfère aujourd’hui
l’oublier. Et pourtant, Jardins de pierre mérite cent
fois d’être sorti de l’ornière des années ’80 où il croupit
depuis plus de trente ans, oublié de tous, ou presque.
Adaptation
du roman du même nom (Gardens of Stone en anglais) de Nicholas
Proffitt, l’œuvre a pour protagoniste principal le sergent Clell
Hazard, vétéran endurci des guerres de Corée et du Vietnam. Alors
que le conflit vietnamien tourne au vinaigre pour les Américains (le
récit démarre en 1968), Hazard se voit invariablement refuser sa
demande de mutation comme instructeur à Fort Benning, où il désire
faire partager son expérience aux jeunes fantassins avant leur
départ pour le front. Notre héros désabusé est très critique
vis-à-vis de la conduite de la guerre, et constate à quel point de
plus en plus de jeunes compatriotes sont envoyés au front comme
vulgaire chair à canon. Il est un témoin privilégié de ce
phénomène, puisqu’il est assigné au 3e régiment
d’infanterie, en Virginie. Ce régiment prestigieux joue un rôle
purement symbolique en tant que garde d’honneur pour les
enterrements de soldats tombés au front, au cimetière d’Arlington.
Les jeunes recrues sous ses ordres rongent eux aussi leur frein,
quoique pour une toute autre raison : ils se considèrent comme
des planqués et souhaitent ardemment être mutés dans une unité de
combat. Parmi ceux-ci se trouve le jeune Jack Willow, le fils d’un
ancien ami avec lequel Hazard a combattu, et que ce dernier prend
rapidement sous son aile. Hazard ayant perdu contact avec son propre
fils à la suite d’un divorce difficile, il voit en Willow un fils
de substitution qu’il désire convaincre de ne pas aller se
sacrifier au Vietnam.
A
première vue, Jardins de pierre semble lié à deux grands
chefs-d’œuvre de Francis Ford Coppola des années ‘70. Le
metteur en scène retrouve ainsi James Caan, qui interprète le
sergent Hazard, après Le Parrain où il joua le rôle de
Sonny, le fils aîné, généreux et impulsif, de Vito Corleone.
Ensuite, il y a évidemment la toile de fond que constitue la guerre
du Vietnam, qui renvoie à Apocalypse Now. Ces références
s’écroulent toutefois rapidement, le spectateur se rendant bien
vite compte que ce film est très différent de ses aînés. D’une
part, parce que James Caan joue ici un personnage nettement plus
touchant et subtil, plus en retenue et émotif sous ses dehors de dur
à cuire. D’autre part, parce que le conflit vietnamien occupe dans
le film une place inhabituelle. Alors que l’intrigue d’Apocalypse
Now explorait la folie de la guerre, le « cœur des
ténèbres » du roman de Joseph Conrad, Jardins de
pierre en fait un cadre constamment évoqué, mais jamais
montré. Une approche étonnante, très différente
d’un Platoon, sorti un an plus tôt, et carrément à l’opposé
du « cinéma reaganien » qui triomphe à l’époque, où
les John Rambo et James Braddock réinventent une guerre du Vietnam
dont les Américains semblent cette fois sortir vainqueurs. En
comparaison, le refus de l’action, la relativisation de l’héroïsme
et la désillusion politique qui marquent Jardins de
pierre paraissent forcément déprimants aux yeux d’un public
américain souhaitant tourner la page vietnamienne… Cela explique
sans doute en partie l’indifférence rencontrée par le film à sa
sortie.
Une
illustration évidente de la déconnexion entre l’œuvre et une
certaine symbolique cinématographique familière au public, est le
thème de la garde d’honneur militaire. Coppola explore, décortique
tous les codes des rites funéraires américains, un cérémonial vu
dans d’innombrables autres films et une image forte. S’il filme
magnifiquement bien (et à de nombreuses reprises) la solennité du
moment, Coppola lui ôte toutefois la gloire héroïque qui
serre les cœurs, pour ne conserver que la douleur et la tristesse
débarrassées de tout symbolisme. Le cinéaste se concentre sur les
émotions : la peine que l’on éprouve à voir une jeune vie
sacrifiée, un être cher disparaître à jamais. Un retour vers
l’humanité qui transcende les uniformes d’apparat et le pli
consciencieux du Stars and Stripes. Le fait que le film traite
de la guerre par la lorgnette d’un régiment qui, par essence, ne
combat pas, en fait une œuvre pour le moins insolite. Ni napalm
embrasant la jungle, ni défense héroïque d’un dernier carré de
guerriers, ni même entraînement déshumanisant à la Full
Metal Jacket. Le 3e régiment d’infanterie n’est pas
seulement géographiquement loin du théâtre des combats, il est
littéralement en bout de chaîne, puisqu’il accompagne, dans
un ballet morbide et monotone, le dernier voyage du cercueil des
soldats tués au combat.
Jardins
de pierre porte un regard complexe sur la guerre du Vietnam,
reflétant ainsi la relation contradictoire de l’Amérique avec le
conflit. C’est avec beaucoup de finesse que le personnage de
Clell Hazard symbolise l’attitude de la caste militaire au cours de
cette période dramatique. Le sergent, qui a connu le feu, n’aime
pas la guerre en général, et considère que celle-ci est mal menée
et sacrifie des gamins inutilement. Sa frustration est grande de ne
pas pouvoir quitter son unité pour se rendre utile en tentant de
former décemment les jeunes recrues avant leur départ pour le
front, un objectif pour lequel il n’hésite pas à défier
l’autorité militaire. Son combat est cependant perdu
d’avance, le cours de l’histoire étant inarrêtable. Hazard
échouera sur toute la ligne, y compris avec son « fils
adoptif », le courageux mais naïf Jack Willow, dont nous
découvrons le sort final dès la première séquence du film. Le
sergent n’a pourtant pas ménagé ses efforts pour lui faire
bénéficier de sa sagesse et de son expérience. Lorsque Willow,
furieux face au scepticisme de Hazard et « Goody » (James
Earl Jones), explique qu’il a vu à la télévision des images d’un
hélicoptère combattu avec un arc et des flèches, il s’écrie :
« Comment espèrent-ils battre des hélicoptères avec un arc
et des flèches ?! », ce à quoi Hazard réplique avec
sagacité : « Comment battre un ennemi qui attaque un
hélicoptère avec un arc et des flèches ? » … Hazard
noue également une relation amoureuse sincère avec Samantha Davis
(Anjelica Huston), une journaliste foncièrement opposée à la
guerre du Vietnam. Tout cela ne l’empêche pourtant pas de rester
fidèle à son pays et à son milieu, l’armée, et de défendre des
valeurs morales. C’est d’ailleurs pour sa droiture que Coppola
prend clairement parti lorsque, interpellé par une connaissance de
Samantha sur le sujet brûlant du Vietnam, c’est le militaire qui
adopte une position raisonnable (« let’s agree to
disagree »), avant de servir un bourre-pif bien mérité à
l’arrogant qui l’a poussé à bout. Le désaccord éthique de
Samantha ne l’empêche pas de pardonner son homme, dont elle
respecte les qualités humaines. Coppola réconcilie ainsi, de
manière idéaliste, deux figures ennemies de la guerre d’hier :
le vétéran baroudeur et la journaliste du Washington Post !
Le
deuil imprègne profondément le film. Il est le fruit tant du sujet
lui-même que des circonstances dramatiques, éminemment
personnelles, dans lesquelles Francis Ford Coppola le tourna. Dans ce
récit situé dans le contexte de la plus grande tragédie militaire
américaine, Coppola refuse la fresque épique et la multitude des
points de vue, pour se concentrer sur un quatuor de personnages
(Hazard-Willow-Davis-Goody) et sur les relations tantôt
chaleureuses, tantôt compliquées qui se nouent entre eux. Ces
dernières pourraient très bien être placées dans un cadre et dans
une époque différents, tant elles sont universelles : un
couple qui dépasse ses divergences de vues, la jeunesse fougueuse et
remplie d’idéaux, la sagesse d’un homme désillusionné par la
vie, le désir de donner du sens à sa vie, l’héroïsme confronté
à la médiocrité…
Jardins
de pierre baigne dans une atmosphère douce-amère. Les
nombreuses scènes d’enterrement rappellent régulièrement le
tragique de la vie, et la première séquence annule tout espoir
d’une fin heureuse. Néanmoins, comme un miroir de son
processus de deuil que nous tend Coppola, le film s’attache aussi à
des sentiments profondément humains comme remède et comme
espérance. Plusieurs scènes sont très touchantes dans leur
sincérité et leur simplicité : le repas dans la bonne humeur
chez Hazard, le mariage de Willow, la beuverie à laquelle s’adonnent
les trois hommes, etc. Malgré sa tonalité résolument sombre,
le film répète une vérité intemporelle : même dans ses
heures les plus noires, l’humanité conserve en elle un espoir.
Celui de se relever et de se tourner vers de nouveaux lendemains.
Il
faut souligner la prestation de tous les comédiens, les premiers
rôles comme les rôles secondaires, impeccables dans leur humanité
et dans leurs émotions – jamais gratuites, toujours sincères.
James Caan, notamment, y livre une de ses interprétations les plus
bouleversantes. A la fois témoin impuissant d’une époque
tragique, acteur d’un fossé générationnel et, plus
fondamentalement, homme nourrissant l’espoir de reconstruire une
famille. Il ne cèdera aux larmes que lorsque ses deux dernières
illusions s’écrouleront : la survie de Willow… et celle
d’une certaine Amérique.
Réalisé par Francis
Ford Coppola
Avec Jeff Bridges,
Joan Allen, Martin Landau, Frederic Forrest, Lloyd Bridges, Elias
Koteas, Dean Stockwell, Mako
Film américain
Genre : comédie
dramatique
Durée : 1h50
Année de production :
1988
Preston
Tucker (Jeff Bridges), inventeur et commerçant hétérodoxe, se
met en tête d'industrialiser à Detroit une voiture qui porterait
son nom, dont l'une des particularités serait son moteur placé
à l'arrière. Ce projet généreux et mégalomane, philanthrope et
technique, se heurte à la corporation des grandes marques établies
au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Pour le meilleur et pour le
pire, dans ses hauts comme dans ses bas, sa famille le suit au
cours de cette aventure.
Malgré
son aspect familial, Tucker n’est pas une commande. C’est
en effet l'un des plus vieux projets de Coppola, conçu dès les
années soixante-dix, et que le cinéaste comptait réaliser après
la sortie de Coup de cœur.
Tout
part de sa passion pour la fameuse « voiture de demain »,
imaginée par le constructeur indépendant Preston Tucker à la
fin de la Seconde guerre mondiale. L’homme s’était mis en tête
de concurrencer les Trois Grands de Detroit (General Motors, Ford,
Chrysler) sur leur propre terrain et avait réussi, par une habile
campagne publicitaire, à attirer investisseurs et public. Parmi ce
public, il y avait un flûtiste de la NBC, Carmine Coppola, et son
petit garçon de cinq ans, un certain Francis ! Malheureusement,
Preston Tucker ne réussit qu’à produire péniblement cinquante
exemplaires, les Grands lui ayant mis constamment des bâtons dans
les roues. Carmine, comme des milliers d’Américains, ne reçut
jamais sa commande, ce qui engendra une énorme frustration chez le
petit Francis, en même temps bien sûr qu’une mythification de la
Tucker, objet devenu rare.
Obsédé
lui-même par l’indépendance de création, Coppola devenu adulte
s’intéresse de près au destin contrarié de ce constructeur
automobile, y voyant les éléments d’une véritable fable. C’est
sans doute pourquoi son premier concept, dans les années
soixante-dix, était d’en faire une comédie musicale à
la Minnelli, d’autant
plus que ce type de comédie reflétait parfaitement l’optimisme et
le dynamisme des Américains au sortir de la guerre. Coup
de cœur devait donc servir de banc d’essai
à Tucker. On connait la suite... Toutefois, il reste
beaucoup de ce concept musical dans l’aspect très chorégraphié
du Tucker de 1988, dans ce mouvement virevoltant en osmose
totale avec la musique de Joe Jackson, une virtuosité qui était
déjà présente dans Rusty
James et Cotton Club, et qu’on est heureux de
retrouver après les plus sages Peggy Sue s’est
mariée et Jardins de pierre. Signe que Coppola, à
l’époque, est vraiment de retour. Par ailleurs, même s’il
est cruel de le dire, l’échec de Coup
de cœur et du studio Zoetrope a permis au cinéaste de
mieux ressentir le destin de Tucker, de s’identifier
pleinement à lui. En effet, Coppola est un artiste si personnel
qu’il ne peut s’empêcher de tout ramener à ses sentiments et à
sa famille. C’est bien sûr la source du génie des Parrain,
basés pourtant sur un roman commercial de Mario Puzo. Mais, à bien
y regarder, presque tous ses films sont autobiographiques : sa
jeunesse maladive et isolée (Jack), son admiration pour son frère
aîné (Rusty James), son
coup de génie en début de carrière (L’Idéaliste), son mariage
en crise (Coup de cœur),
la rivalité artistique avec son père (Tetro), le deuil de son fils
Gio (Jardins de pierre), à qui Tucker est d’ailleurs
dédié.
Ce
film raconte donc, de manière à peine déguisée, l’échec de
Zoetrope face aux majors, mais son génie est justement de ne jamais
se lamenter, de garder l’enthousiasme malgré l’échec. C’est
le sens de l’échange final entre Tucker et son associé Abe Karatz
(magnifique duo Jeff Bridges / Martin Landau) au moment où le public
vient essayer la « voiture de demain », après le procès
qui entérine la fin de sa production.
Et
c’est aussi pourquoi, fidèle à son principe que la forme d’un
film doit être son sujet, Coppola fait de Tucker un
dépliant publicitaire virevoltant, à l’image de l’esthétique
tonitruante et naïve de l’époque. C’est qu’en réalité nous
sommes du début à la fin dans la tête de Preston Tucker,
un homme qui refuse quoi qu’il arrive de se laisser abattre (juste
après le procès, il décide de se lancer dans la production de
réfrigérateurs pour les pauvres !), qui adore son pays et qui
veut partager sa créativité. Ainsi, que notre héros tournoie
d’enthousiasme sur le tabouret d’un diner, après avoir
trouvé une idée de financement pour sa voiture, et l’image fait
un tourbillon, en fondu enchaîné avec des journaux, comme dans les
séquences de transition des années quarante ! Mais c’est
sans doute parce que Tucker a vu et revu ce type de transition au
cinéma. Il se berce donc d’illusions et, comme le lui lance avec
humour son épouse Vera (Joan Allen, lumineuse), il a « volé
son sourire à Clark Gable », mais à force d’y croire ses
illusions prennent vie et son optimisme créatif contamine toute la
famille, jusqu’à Abe, au départ désabusé, et qui finit par
« attraper ses rêves ». Loin d’être un mégalomane
destructeur comme le colonel Kurtz, Tucker est avant tout un
passionné, un idéaliste généreux qui veut entraîner tout le
monde vers le progrès, désirant englober toutes les personnes et
tous les espaces. D’où le refus de séparation qui fonde le style
du film, chaque mouvement de caméra commencé dans un lieu
s’achevant dans un autre : du salon de Tucker à son usine
géante, de sa chambre à coucher aux bureaux de Detroit (via une
photo sur le lit !), de l’estrade aux coulisses (lors de
l’inénarrable inauguration) ; et n’oublions pas bien sûr
les séquences de téléphone entre Tucker et sa femme adorée, où
chaque interlocuteur coexiste, communie dans le même plan,
via un split-screen réalisé en direct, comme dans Coup
de cœur. Et tout ce style est bien sûr à l’image de
l’atelier de Tucker, accolé à la maison, et qui finit par
l’envahir !
Sur
cette course effrénée de l’idéaliste, vouée à rencontrer un
mur, Coppola aurait pu être cynique ou ironique, mais ce n’est pas
sa nature. Son film est tout simplement une superbe déclaration
d’amour à l’Amérique des années quarante, combattante,
dynamique, ayant l’avenir devant elle. L’Amérique de son
enfance, l’Amérique de Capra. Pourtant, Tucker laisse
la gorge serrée, et ce n’est pas dû seulement à l’échec final
du créateur, mais aussi à la forme du film. Ce n’est pas un
hasard si Coppola reprend ici le chef-opérateur d’Apocalypse
Now et de Coup de cœur,
l’Italien Vittorio Storaro. Ce spécialiste des éclairages
mordorés et symboliques livre encore une fois un travail d’une
ambivalence magistrale : en baignant tout le film d’une
lumière rasante, comme dans une aube éternelle, Storaro symbolise
l’optimisme chaleureux de l’Amérique à cette époque ; mais
cette lumière dorée, constamment enrobée d’ombres, peut
également se lire comme celle du crépuscule, donnant le
sentiment diffus que cette innocence ne va pas durer, que l’Amérique
progressiste de Tucker va disparaître dans la nuit. Ce qui est
vrai. C’est pourquoi le film, malgré la joie qu’il
dispense, est si émouvant. Cette jeunesse merveilleuse ne reviendra
plus. Et, pour Coppola, le cœur du film bat sans doute dans ces
séquences, criantes de vérité, où les enfants de la famille
vaquent joyeusement à leurs occupations, font les pitres, tandis que
les adultes discutent et fument, dans un beau capharnaüm. Souvenirs
tout personnels, soyons-en sûrs... Et c’est dans cette capacité
du cinéaste à faire vivre les arrière-plans, dans son amour du
moindre second rôle, comme chez Ford ou Renoir,
qu’on comprend son vrai génie de cinéaste, sa profonde humanité.
Réalisé
par Francis Ford Coppola, Woody Allen et Martin Scorsese
Avec
Heather McComb, Talia Shire et Giancarlo Giannini
Film
américain.
Genre
: comédie.
Durée :
2h04.
Année
de production : 1989.
Trois
visions de leur ville, New York, par trois des plus grands cinéastes
de leur époque.
New
York : un peintre célèbre en pleine séparation, prépare un
vernissage ; une fillette cherche à réconcilier ses parents ;
un quinquagénaire est toujours sous l’emprise de sa mère.
Ce
projet était alléchant sur le papier : trois des plus grands
cinéastes new-yorkais de l’époque se trouvaient réunis pour un
film à sketches, dont le thème central est leur ville.
Le
premier souci est que, sans cahier des charges spécifique,
semble-t-il, les trois segments n’ont en commun que le lieu de
l’action. Pour le reste, ils sont aussi dissemblables que possible.
Leurs niveaux de réussite, aussi !
Francis
Ford Coppola a réalisé le segment « Life without Zoe »
Dans
la suite d’un somptueux hôtel new-yorkais, Zoe (Heather McComb)
vit seule avec un majordome. Elle va s’ingénier à réconcilier
ses parents (Talia Shire et Giancarlo Giannini).
Il
est difficile de comprendre l’intérêt de ce conte guimauve
relatant les affres d’une pauvre petite fille riche. La gamine
malicieuse, subtilement interprétée par Heather McComb, va vivre
des aventures rocambolesques aussi vaines qu’ennuyeuses. Malgré un
renfort de costumes et de déguisements, on s’ennuie ferme devant
cette pâtisserie indigeste que l’on a du mal à imaginer venue du
cinéaste des Parrains !
Clairement, le moins bon des trois sketches.
Réalisé
par Francis Ford Coppola
Avec
Al Pacino, Diane Keaton, Talia Shire, Andy Garcia, Helmut Berger,
Sofia Coppola, George Hamilton, Joe Mantegna, Raf Vallone, Eli
Wallach
Film
américain
Genre
: drame
Durée :
2h40
Année
de production : 1990
New
York, 1979. À près de 60 ans, Michael, patriarche du clan Corleone,
souhaite prendre ses distances vis-à-vis de la pègre. Il a
réinvesti sa fortune malhonnêtement acquise dans des activités
légales comme la banque ou l'immobilier et multiplie les donations
aux bonnes oeuvres. Il aide l'archevêque Gilday, directeur de la
banque Vaticane, à renflouer un déficit de 700 millions de dollars
et reçoit en échange le contrôle d'une entreprise immobilière
leur appartenant. Michael désespère surtout de trouver un
successeur. Son fils unique lui annonce en effet sa volonté de
devenir chanteur d'opéra. Pendant ce temps Mary, sa fille, et
Vincent, son neveu, le fils de Sonny, nouent une idylle qui
n'est pas la bienvenue dans la famille...
Pendant
quinze ans, Coppola tint
bon face aux propositions de la Paramount... jusqu’à ce qu’un
gros problème financier l’oblige à accepter de tourner ce
troisième opus. En effet, à la fin des années 80, Coppola est
au bord de la faillite. Menacé de poursuites judiciaires, il est
sommé de rembourser une dette de huit millions de dollars contractée
en 1981 pour renflouer sa société American Zoetrope. En acceptant
de tourner un troisième Parrain, Coppola place
un maximum d’enjeux dans la balance et négocie, comme sur le film
précédent, un contrat très lucratif qui lui donne une grande
liberté.
S’il
est heureux de retrouver Mario Puzo, un collaborateur estimé, pour
élaborer le scénario, Coppola ne
peut s’empêcher de ressentir le projet comme une contrainte,
regrettant de devoir tourner encore et toujours la même chose.
« Dans un sens Le
Parrain m’a
ruiné, avoue-t-il. Il a conduit ma carrière dans la voie que
l’on connaît au lieu de celle que j’avais choisie, à savoir
créer du matériau original en tant que réalisateur et scénariste.
La grande frustration de ma carrière est que personne ne veut
réellement que je fasse mon propre travail. » Les prises de
vues s’étalent sur six mois, du 27 novembre 1989 (à Cinecittà)
au 25 mai 1990. Sur le tournage il arrive que le réalisateur se
montre difficile, capricieux. Seule la technologie semble
l’intéresser. Il peut rester des journées entières cloîtré
dans sa caravane, contrôlant les prises de vues et dirigeant les
acteurs par moniteurs et haut-parleurs interposés. Il s’isole de
son équipe comme il l’avait fait au moment de Coup de
cœur (1982). Coppola connaît
une fois de plus une période de découragement et de stress, comme
une habitude étrange. Après le rendez-vous manqué du Parrain
II, Frank
Sinatra fait
savoir à Coppola qu’il
souhaite interpréter Altobello, l’ami des Corleone. Mais ce ne
sera pas encore pour cette fois : il sera finalement remplacé
par Eli
Wallach,
officiellement à cause d’un agenda surchargé. Madonna est
également pressentie, testée pour le rôle de la photographe.
Mais Coppola la
trouve trop âgée et lui préfère Bridget Fonda. Le réalisateur
pense surtout retrouver la majeure partie de l’équipe qui a
travaillé avec lui sur les deux premiers films, comme
l’acteur Robert
Duvall.
Or celui-ci décline la proposition, peu satisfait de la place
réservée à son personnage dans le scénario et mécontent du
salaire qu’on lui propose. Coppola,
à son grand regret, le remplacera par autre un personnage à la
fonction similaire, un avocat d’affaires qu’interprète George
Hamilton. L’acteur offrira une prestation beaucoup moins
charismatique et ne parviendra pas à sauver un élément qui
n’intéressait plus Coppola.
La
saga se concluait de manière définitive à la fin de la deuxième
partie. S’il ne s’imposait pas, « Le Parrain
III possède la beauté de l’astre qui s’éteint. » Coppola a
su lui apporter suffisamment de souffle, lui donner une dimension
autrement plus tragique. Le film ne retrouve cependant pas totalement
la magie des précédents opus, notamment parce que le scénario
peine à se renouveler : les enjeux sont rapidement cernés et
la trame du complot et des trahisons ressemble trop à celles des
premiers films. Mais la cohérence et la maîtrise du travail
de Coppola, notamment
durant le final, rendent cet ultime Parrain presque aussi
indispensable que les épisodes qui l’ont précédés, prouvant une
fois de plus la capacité du réalisateur à tourner des grands films
au sein du système des studios. Malgré le caractère ultime
du Parrain III, Coppola et
Puzo, certainement ravis d'avoir pu retravailler ensemble, ont eu
l'envie de développer un nouveau chapitre de la saga. Le scénario
aurait suivi, à la manière du Parrain
II, les parcours parallèles d'un père et de son fils, Sonny
et Vincent remplaçant Vito et Michael. Le film aurait raconté la
jeunesse de Sonny durant les années 30 et l'ascension (et
peut-être la chute) de Vincent dans les années 80. Ce
quatrième opus que l'on n'attendait pas ne sera finalement (et
heureusement?) jamais tourné : Mario Puzo meurt en 1999 avant qu'ils
aient pu écrire la partie contemporaine... Reste une œuvre
fastueuse, chorégraphiée comme un opéra tragique mêlant violence
et sacré.
Réalisé par Francis
Ford Coppola
Avec Gary Oldman,
Winona Ryder, Anthony Hopkins, Keanu Reeves, Richard E. Grant
Film américain
Genre : épouvante
Durée : 2h10
Année de production :
1992
L’amour sans espoir du
célèbre comte, mort-vivant assoiffé de sang frais, pour une jeune
Anglaise bien trop vivante.
Les
adaptations du roman de Bram Stocker au cinéma n’ont pas manqué à
travers les époques, la parution de l’illustre récit coïncidant
avec les débuts du cinéma. Commençant par le sombre Nosferatu
le vampire de F. W. Murnau, les figures de Dracula se sont
déclinées sous divers aspects, portées par Max Schreck, Bela
Lugosi ou encore Christopher Lee. En 1992, Francis Ford Coppola livre
sa propre interprétation du roman, où il met l’emphase sur la
dimension érotique de l’œuvre originale et offre plus de
profondeur au personnage du comte, magistralement interprété par
Gary Oldman.
Le
réalisateur britannique Michael Apted avait initialement été
approché afin de porter le scénario de James V. Hart à
l’écran, pour un téléfilm, avant de finalement décliner
l’offre, comme le rapporte le Los
Angeles Times. C’est ensuite
Winona Ryder, qui incarne Mina Harker, qui a pu lire le script et l’a
tout de suite apporté à Coppola. Elle expliquera en 1992 dans les
colonnes de l’Orlando
Sentinel : “Je n’ai
jamais vraiment pensé qu’il le lirait. Il était tellement absorbé
par le Parrain III. En partant, je lui ai dit : ‘Si tu
as l’occasion, lis ce scénario.’ Il l’a regardé
poliment, mais quand il a vu le mot Dracula, ses yeux se sont
illuminés.”
Winona
Ryder indiquera plus tard, dans le même journal ,que ce qui
l’avait attirée est l’« histoire d’amour très
émotionnelle, ce qui n’est pas vraiment ce à quoi on pense quand
on pense à Dracula”, ajoutant : “Mina, comme beaucoup de
femmes à la fin des années 1800, a une sexualité très réprimée.
Tout ce qui concernait les femmes à cette époque, la façon dont
ces corsets les forçaient à se déplacer, était révélateur de la
répression. Exprimer la passion était effrayant.” Quant à
Coppola, il fut également attiré par la forte dimension sensuelle
présente dans le scénario, annonçant par ailleurs désirer
que certaines parties du film ressemblent à un “rêve
érotique”.
Pour
l’esthétique de son film, le cinéaste fait réaliser un
story-board d’environ mille images par un dessinateur et le filme
afin de créer une version animée simplifiée du long-métrage, le
tout en montrant à ses costumiers et décorateurs l’univers qu’il
recherche. Coppola souhaite également tourner son film entièrement
en studio, et demande aux décorateurs de lui apporter des
dessins “bizarres”, leur intimant de lui donner quelque
chose “qui vient soit d’une recherche, soit de leurs
propres cauchemars”.
Michèle
Burke, en charge des coiffures et maquillages, expliquera : “Francis
ne voulait pas du Dracula typique qui avait déjà été fait à
Hollywood. Il voulait quelque chose de différent, un nouveau Dracula
sans la cape, sans la peau blanche pâle.” Pour la conception
des costumes, estimant que les acteurs étaient les “bijoux” du
film et qu’ils devaient être sublimés par leurs habits, le
réalisateur fait appel à la talentueuse cheffe costumière
Eiko Ishioka, d’abord engagée en tant que directrice artistique.
Les habits portés par les personnages dans le film sont en
effet impressionnants, tant dans leur conception que dans leur
esthétique. Inspirés par les peintres symboliques (l’un des
costumes de Dracula est directement tiré du tableau Le
baiser de Klimt), les surréalistes, et l’époque
victorienne, les somptueux costumes vaudront d’ailleurs à
leur créatrice un Oscar.
Coppola
instille ici et là de nombreuses références
cinématographiques : on compte notamment plusieurs inspirations
de Nosferatu, comme lorsque le personnage de Renfield succombe à
la folie, ou encore ce plan où Dracula sort droit de son cercueil, à
la manière du comte Orlock. La scène où Gary Oldman déclare à
Keanu Reeves (qui interprète Jonathan Harker) “je ne bois
jamais… de vin” est une réplique prononcée par Bela Lugosi
dans le Dracula de Tod Browning. Enfin, le cinéaste fait
également référence à La Belle et la Bête de Jean
Cocteau, lorsque Dracula change les larmes de Mina en diamants.
L’adaptation du cinéaste est donc moins sombre, moins subtilement
angoissante que le film de Murnau, mais fait plutôt penser à l’âge
d’or des films de la Hammer, notamment avec ses couleurs saturées
et ses décors flamboyants et baroques.
Pour
cette adaptation, Coppola ne souhaitait pas utiliser de technologie
moderne concernant les effets spéciaux, mais seulement des effets
techniques utilisés dès le début de l’histoire du cinéma, afin
que cela soit plus approprié – la période du film coïncidant
avec les débuts du cinéma. Engageant d’abord une équipe chargée
des effets spéciaux numériques, il la renvoie lorsque les
techniciens lui annoncent que ce qu’il veut obtenir est impossible
sans la technologie moderne. Il demande alors à son fils Roman
Coppola de se charger des effets spéciaux, qui utilisera des
vieux trucages de cinéma, tous réalisés au moment du tournage
(jamais en postproduction).
A
sa sortie, le film reçoit globalement de bonnes critiques de la
presse, malgré quelques voix discordantes qui critiquent la
performance de Keanu Reeves, notamment pour son accent britannique
jugé peu réaliste. Dracula enregistre un très bon score
au box-office, devenant le quinzième film de l’année à faire le
plus de recettes en Amérique du Nord et le neuvième dans le monde
entier, avec près de 216 millions de dollars de recettes au total
contre un budget de production de 40 millions. C’est également la
seule adaptation de Dracula à remporter des Oscars : le film
repart en effet avec les statuettes des meilleurs costumes, du
meilleur maquillage et du meilleur montage de son lors de la 65e
édition de la cérémonie.
Le Dracula de
Coppola a marqué son époque et a eu un fort impact sur la
culture populaire. Les costumes, notamment, ont conféré au
comte une nouvelle image, alors qu’il était habituellement
représenté tout de noir vêtu, avec une cape imposante rendue
mythique par Bela Lugosi en 1931. L’œuvre a établi un style qui a
redéfini le film de vampire, inspirant de nombreuses œuvres, des
romans aux jeux vidéo en passant par l’animation japonaise.
L’une
des principales originalités du film de Francis F. Coppola est la
manière dont ce dernier a étoffé son personnage principal. Ainsi,
le comte n’est pas qu’un simple monstre, mais est représenté
comme un amant damné et victime de sa propre folie, ce qui lui
redonne une part d’humanité : il finit par regretter ses actes
et supplier Mina de lui offrir le repos éternel. Possédant le
pouvoir de se métamorphoser, Dracula chez Coppola est également
capable de ressentir les sentiments et émotions humaines et devient
donc ambivalent, presque attachant, quelque part ; le spectateur
oscille entre l’horreur et la pitié que lui inspire le comte. Le
personnage de Mina diffère également de l’œuvre originale dans
cette adaptation : elle n’est plus victime de la créature mais
la réincarnation de son amour perdu, tombant amoureuse de
Dracula et l’intimant même de l’emmener “loin de toute
cette mort”.
Coppola
fait donc le choix de mettre en valeur l’amour éternel, ce
sentiment tout-puissant qui semble défier le temps et la mort et
donne un sens à l’existence. Le film, à la dimension érotique
prononcée – les vampires ont autant soif de sexe que de sang –
incarne les pulsions de l’être humain dans son rapport à la
sexualité, à la folie et à la mort. Il n’est donc pas étonnant
que, près de trente ans plus tard, le Dracula de
Coppola soit toujours considéré comme l’une des adaptations
phares du roman de Bram Stoker, et qu’il ait marqué sa génération
par ses choix narratifs, esthétiques et artistiques radicaux et
audacieux.
Au final, c'est donc
Une œuvre flamboyante, envoûtante, romantique et sensuelle. Les
acteurs sont excellents et les images de toute beauté.
Réalisé
par Francis Ford Coppola
Avec
Robin Williams, Diane Lane, Brian Kerwin, Jennifer Lopez
Film
américain
Genre
: comédie
Durée :
1h53
Année
de production : 1996
Un
enfant qui vieillit quatre fois plus vite que la normale tente de
s’adapter à cette étrange situation.
Entre
la fin des années 1980 et le début des années 1990, sous
l’impulsion de son directeur de l’époque, Michael Eisner, The
Walt Disney Company essaie de diversifier son activité et son public
cible, avec une volonté d’élargir son spectre d’influence aux
adultes. Pour ce faire, le studio achète à tout-va d’autres
studios indépendants ou en créé d’autres – Miramax,
Touchstone, Hollywood Pictures – dans le but de produire des
longs-métrages répondant à cette nouvelle stratégie sans les
accoler directement au sceau si reconnaissable de la marque Disney.
C’est cette manœuvre d’hyper-contrôle de l’espace médiatique
mis en place par Eisner, qui servira, durant les trente années qui
suivirent, de gouvernail pour les différentes présidences qui lui
succéderont. La malice de Eisner, à l’époque, est d’utiliser
ces nouveaux studios pour d’une part, faire grossir les caisses
de la société
– dans ces années-là, The Walt Disney Company est déjà, de
façon souterraine, omniprésente en salles – mais aussi attirer
les grands auteurs du moments dans ses filets.
C’est
dans ce contexte que Francis Ford Coppola se retrouve à nouveau à
s’acoquiner avec l’Empire du divertissement, en 1996. Il faut
dire qu’il n’a pas le choix. Voilà maintenant dix années qu’il
tourne moins par désir que pour rembourser ses dettes. Il accepte
donc de réaliser Jack (1996) pour le compte de la filiale
de Disney, Hollywood Pictures, avec comme seule motivation au départ
de rembourser ce qu’il doit. Pourtant, même si, sur le papier,
cette histoire d’un enfant qui naît avec une maladie le condamnant
à vieillir quatre fois plus vite (et qui est donc, à dix ans,
enfermé dans un corps d’adulte) semble éloignée de l’univers
de Coppola, le cinéaste avoue qu’il ne renie pas le long-métrage
parce qu’il s’inscrit, pour lui, dans sa filmographie de façon
plus personnelle qu’il n’y paraît. D’abord, le film est une
sorte de variation d’un de ses chefs-d’œuvre plus légers, Peggy
Sue s’est mariée (1987) réalisé dix années plus tôt, dans
lequel une femme d’âge mûre se réveille un matin dans son corps
d’adolescente. De son propre aveux, Peggy Sue n’est pas
un film très personnel pour Coppola, si bien qu’accepter de
réaliser Jack était une forme de ré-appropriation de ce
sujet, que le récit retourne de façon plus dramatique
qu’enchanteur. Car le drame qui se noue autour de ce personnage si
touchant de Jack – incarné par le remarquable Robin Williams –
réside dans le fait que ce garçon est condamné à ne jamais
pouvoir vivre pleinement sa vie. Compliqué de vivre son enfance
convenablement quand on est déjà enfermé dans une enveloppe
adulte, difficile de vivre les premiers émois de l’adolescence
quand on est déjà un vieillard et tout bonnement impossible de
vivre sa vie d’adultes quand, à cet âge, on est déjà un
macchabée. C’est justement cette dimension très triste et sombre
du récit qui permit à Coppola de s’investir davantage dans
l’histoire qu’il racontait : « J’ai pensé au
fils que j’avais perdu : même s’il n’a vécu que
vingt-deux ans, ce furent des années très complètes. Il a débuté
dans le cinéma en tournant avec moi, il a multiplié les
expériences, il a même eu un enfant, ce qu’il n’a pas su. Vous
pouvez vivre cent ans et ne pas avoir une vie pleine et complète. Le
scénario de Jack me ramenait à ces questions-là ». En
réalité, cette question du vieillissement, du temps qui passe sur
les corps, hante le cinéma de Coppola au point d’en être même
l’un des piliers. La trilogie du Parrain en premier lieu,
reste, outre l’histoire d’une famille mafieuse sur plusieurs
décades, le portrait intime d’hommes qui vieillissent et
questionnent leurs héritages. Même constat quand on se penche sur
la poésie macabre et ensorcelante de son Dracula (1992),
en quête éternelle de jeunesse retrouvée. Plus tard, il continuera
d’ailleurs cette réflexion dans L’Homme sans âge (2007)
dans lequel un homme, après avoir été frappé par la foudre,
rajeunit miraculeusement.
Le
flair de la Walt Disney Company est donc, à cette époque, de ne pas
systématiquement avoir recours à des « faiseurs » – ces petits
soldats, obéissants mais sans grand talent – comme c’est
majoritairement le cas aujourd’hui. La malice de Eisner est d’aller
convaincre Coppola de réaliser ce scripte de James DeMonaco – on
le connaît depuis pour avoir réalisé depuis la saga des American
Nightmare (2013-2016) aussi connu sous son titre
original The Purge – parce qu’il sait pertinemment que
c’est un sujet qui peut toucher la sensibilité de cet immense
cinéaste. Pourtant, d’un point de vue marketing, l’opération
est promptement opportuniste de la part de Michael Eisner, puisque,
s’il s’assure que la réalisation sera inspirée et qu’il
tirera avec Coppola de ce scénario le meilleur, il se gardera bien
d’apposer le nom de ce cinéaste qui fait un cinéma habituellement
très adulte, sur le matériel promotionnel de cette comédie
familiale. L’objet est donc vendu principalement sur le nom de son
acteur Robin Williams, alors au sommet de sa carrière s’étant
imposé comme le visage le plus familier et apprécié du cinéma
populaire et familial américain. Après Hook
ou la revanche du Capitaine Crochet (Steven Spielberg,
1991), Madame Doubtfire (Chris Colombus, 1993), sa
prestation vocale remarquable dans Aladdin (John Musker &
Ron Clements, 1992) et le carton international de Jumanji (Joe
Johnston, 1995) il vient tout juste d’être oscarisé pour sa
prestation sensible dans Will Hunting (Gus Van Sant, 1997).
En incarnant Jack Powell, l’acteur livre une nouvelle performance
subtile et émouvante.
Le
long-métrage de Coppola est assez représentatif des productions
familiales de l’époque : sensible, jamais régressive, jamais
potache – et ce même quand il s’abandonne dans des séquences de
concours de pets – et assumant pleinement sa dimension
mélodramatique. En résulte un film mélancolique et tendre, qui
outre la performance remarquable de son interprète principal est
aussi truffé de seconds rôles parfaits. On soulignera aussi la
présence de Jennifer Lopez, parfaite en professeur des écoles, et
l’émouvante composition de Diane Lane qui incarne la mère de
Jack. Loin d’être le long-métrage le plus connu de la
filmographie de son réalisateur comme de sa tête d’affiche, Jack se
(re)découvre donc avec plaisir et surprise, méritant, le temps
passé, d’être remis à sa juste place dans les carrières de deux
des artistes les plus doués de leur génération, réunis autour
d’une thématique qui fut l’une des constantes, pour l’un et
l’autre, de leur recherche artistique.
L'idéaliste
Réalisé
par Francis Ford Coppola
Avec
Matt Damon, Danny DeVito, Mickey Rourke, Eloise Dukes
Film
américain
Genre
: drame, thriller
Durée :
2h15
Année
de production : 1997
Rudy
Baylor est devenu avocat par
vocation. Jeune, naïf et idéaliste, il a contre lui le fait de
vivre à Memphis,
une ville qui regorge d'hommes de loi. Après avoir fait le tour de
tous les cabinets, il réussit à décrocher un poste dans le cabinet
le moins reluisant de la ville, dirigé par Bruiser Stone, un
affairiste notoire, lié à la mafia locale. Son nouveau patron lui
adjoint Deck Shifflet, un mentor roublard
et dynamique qui va vite l'éclairer sur les réalités cachées de
sa nouvelle profession. Rudy va s'occuper de trois affaires, dont
l'une contre une redoutable et puissante compagnie d'assurances.
L’Idéaliste est
le premier bon film tiré d’un roman de John Grisham. C’est à la
fois peu et beaucoup. Peu, parce qu’on est en droit d’attendre de
Francis Ford Coppola qu’il s’attaque à des projets autrement
plus personnels et ambitieux; beaucoup, parce que L’Idéaliste est
son meilleur film depuis Le Parrain 3, et le meilleur « film
de procès » qu’Hollywood avait produit depuis longtemps. En
décidant de s’attaquer à cet auteur à succès dont on n’a
jamais lu une ligne, mais qu’on devine efficace et sans génie ,
Coppola décidait de défier ses confrères sur leur propre terrain,
de comparer leur savoir-faire au sien. De ce point de vue, il n’y a
évidemment pas de match, Coppola n’ayant guère à forcer son
talent pour aboutir à un résultat infiniment plus estimable que
Sydney Pollack (La Firme), Alan J. Pakula (L’Affaire
Pélican) ou Joel Schumacher (Le Client et Le Droit de
tuer ). Il est d’ailleurs étrange de constater à quel point
Coppola, contrairement à sa réputation « d’artiste de la
démesure » et de génie flamboyant, récuse toute
dramatisation excessive et s’emploie à gérer avec parcimonie la
somme d’affects contenue dans le roman. A l’inverse de certains
auteurs en vogue alors dans le cinéma américain actuel (Cameron en
tête), il tend à l’effacement tactique, choisit d’imprimer sa
griffe en douce plutôt que de l’étaler. Lui retient ses coups au
lieu de les lâcher dans les bâches. L’Idéaliste est un
film gagné sur terre battue, un film où chaque point a été
patiemment construit.
Pour
reprendre la vieille comparaison
Coppola/Welles, L’Idéaliste serait Le Criminel, un
petit film de commande qui ne la ramène pas. Où il s’agit de
transformer la perte d’indépendance financière et de liberté
créatrice en gain de respect de soi-même (ne pas faire n’importe
quoi…) et de compétence professionnelle (personne ne peut faire
mieux…). Il faut donc déplacer les enjeux et reprendre le problème
à l’envers. D’où l’attention maniaque portée aux décors,
aux costumes et au casting. Comme si le choix judicieux des
ingrédients de « la mayonnaise » chère à André Bazin
redevenait déterminant dans la réussite de l’ensemble. Comme si
le film passait avant l’auteur, les détails avant la vision
d’ensemble et le labeur obscur avant l’inspiration fulgurante.
Pour Coppola, cette volonté de ne rien laisser au hasard est aussi
une manière discrète de poursuivre son obsession du studio, de la
chaîne de fabrication raisonnée (Tucker). Mais que ce
soit dans l’affirmation mégalomane de Coup de coeur ou
dans le profil bas de L’Idéaliste, l’architecte du studio
n’a pas changé, sa patte est aussi reconnaissable dans le jeu sur
les volumes que dans le travail de ciselage. Il est aussi doué pour
la fresque intime que pour la chronique exemplaire. Car comme tous
les auteurs (c’est souvent à ça qu’on les reconnaît…),
Coppola raconte toujours la même histoire, le même roman
d’apprentissage. C’est que lui n’a jamais fini d’apprendre et
de (se) raconter.
« Mon
père détestait les avocats », commence la voix off du
héros pendant que l’écran est encore noir, comme en attente du
récit à venir. Le héros a donc fait des études de droit, il est
en passe d’accéder au barreau, il lui reste à se constituer une
famille éclatée et imaginaire tout en menant ses
premiers combats. Pour raconter cette éducation professionnelle et
sentimentale, Coppola scinde son film en deux parties : une longue
exposition dans laquelle les liens se nouent et une résolution (le
procès et sa préparation) qui fixent les pertes et les acquis. Chez
Coppola, c’est toujours l’autobiographie qui accouche de la
fiction. Le jeune homme en devenir (Matt Damon/Rudy Baylor) devra
d’abord trouver un mentor cynique (Mickey Rourke/ »Bruiser »
Stone, avocat marron et incarnation à peine décalée de Roger
Corman, le premier maître de Coppola), un guide-grand frère qui
connaît tous les trucs (Danny DeVito), une grand-mère isolée mais
maligne (la vieille dame qui lui loue une chambre), une famille en
péril comme « cause » possible (avec mère courageuse,
père absent et fils mourant d’une leucémie), une soeur-amante
(Claire Danes) à « protéger » d’un mari
cogneur, quelques solides ennemis (condensés en Jon Voight, l’avocat
sans scrupules d’une grande compagnie d’assurances).
Ainsi
muni d’alliés et d’opposants, enfin immergé dans plusieurs
systèmes affectifs et sociaux, le débutant absolu va découvrir les
ficelles de son métier, apprendre à maîtriser ses effets et faire
l’expérience de l’intégrité selon Coppola. Qui a payé pour
savoir que si la marginalité peut remporter des succès face au
pouvoir, elle ne gagne jamais vraiment, jamais de façon durable et
complète. Parce que le pouvoir change d’aspect et se déplace trop
vite pour qu’on puisse l’atteindre, parce qu’il faudrait perdre
son âme (et donc son talent) pour le terrasser. Comme son héros
et comme le John Carpenter de Vampires , Coppola se
fait l’avocat d’une cause oubliée (le « petit film »
fabriqué avec soin et modestie contre le gigantisme infantile), la
gagne et conclut sur une seule certitude : tout sera bientôt à
recommencer, avec une autre métamorphose et la même fidélité,
dans un autre genre et sur un autre terrain. Toute victoire
aussi éclatante soit-elle n’est que de circonstance.
Mais
Coppola y croit encore. D’où la jouissance revancharde qu’on
ressent lors des scènes de procès, toutes travaillées sur le
principe même du film, sur la capacité à assimiler les règles
d’un jeu formel, à exceller dans les figures imposées, à y faire
passer la variation sans avoir l’air d’y toucher et à
inventer ainsi une nouvelle jurisprudence. A l’opposé d’un
Eastwood qui se moque bien de la notion de culpabilité pour ne
s’intéresser qu’à la manipulation créatrice (Minuit dans
le jardin du Bien et du Mal), Coppola joue vraiment sur
l’opposition des scénarios et des mises en scène. L’enjeu est
lourd, il s’agit bien de rendre la justice, de faire vaciller les
puissants et de dévoiler les ressorts d’un système odieux. Il
faut donc convaincre le jury/spectateur de la justesse de sa cause.
Et c’est là où Coppola fait très fort. En mimant
l’apprentissage, en faisant semblant de se confondre avec son héros
alors que lui est un expert patenté , il parvient à
rendre neuves des recettes éprouvées. Ainsi du vieux coup de la
projection en fin de procès, utilisé par Lang dès Fury (1936)
et donc un tantinet usé, mais rendu acceptable ici parce que scindé
en deux temps.
Coppola
filme d’abord les préparatifs de l’interrogatoire en vidéo du
leucémique, incapable de se déplacer et entendu au fond du jardin
familial plutôt qu’au tribunal. Mais quand tout est en place pour
la grande scène pathétique « à faire », il coupe net
et repasse à l’histoire d’amour. A la place de la confession de
la victime, on verra donc Rudy et la jolie femme battue se donner un
rendez-vous secret dans un cinéma vide qui passe L’Amant (drôle
de choix, au demeurant). A une captation de la souffrance destinée à
un usage public répond la projection d’un désir clandestin. Du
coup, l’effet différé de la projection de l’interrogatoire
atteindra un degré d’efficacité dramatique maximal lors de la
plaidoirie tandis que dans l’esprit du spectateur, deux
actions parallèles et qui n’ont aucun rapport entre elles
deviendront inextricablement liées : s’il gagne son procès, il
aura la fille. Comme quand il usait et abusait du montage parallèle
dans la trilogie du Parrain ou Cotton Club, Coppola
démontre une nouvelle fois qu’il faut séparer pour mieux réunir.
Et parvenir ainsi à un tissu fictionnel dont la fluidité se nourrit
de son côté patchwork.
De
la même manière, on aura raison d’insister sur le versant
réaliste du film, le choix de décors naturels et toute l’attention
que déploie Coppola pour faire ressentir l’ambiance particulière
de Memphis, ville d’un provincialisme un peu assoupi mais saturée
d’avocats avides de dollars. Mais cet aspect quasi documentaire est
sans cesse atténué par la condensation théâtrale du tribunal, où
il s’agit de faire surgir la vérité (la compagnie d’assurances
est coupable, ses responsables doivent payer) en accumulant non pas
des preuves mais leur expression spectaculaire (les chiffres
accablants qu’assène Rudy sur des cartons, les dialogues
nécessaires à la manipulation du jury qu’inscrit DeVito sur son
carnet). Cette fausseté accusée, Coppola la dévoile tout entière
l’espace d’un mouvement de caméra : quand Rudy et DeVito
racolent les accidentés à l’hôpital, ils passent du couloir à
une chambre dans le même plan, la caméra les suit en franchissant
sans encombre une cloison de carton-pâte. C’est donc bien en usant
de ses conventions les plus éculées que le cinéma peut encore
trouver une prise sur le monde. Même camouflé derrière la banalité
de l’intrigue judiciaire, l’opéra continue de régir
l’inspiration de Coppola. S’il a perdu ses ors et pompe, si sa
machinerie s’est faite discrète, il répond toujours présent pour
charpenter l’investigation et structurer l’ensemble mouvant des
passions. Là encore, Coppola ne renonce à rien. Les cintres sont
simplement moins « à vue » qu’autrefois. Loin de se
réduire à une geste ornementale, cette finesse de trait permet de
prendre la société à bras-le-corps et de faire décoller le goût
du détail vers la vision du démiurge. Quand un super auteur des
années 70 parvient à se changer tout à la fois en cinéaste Metro
et en cinéaste Warner, c’est qu’il a encore son avenir devant
lui. Les masques du cinéaste deviennent alors sa meilleure fiction.
L'homme
sans âge
Réalisé
par Francis Ford Coppola
Avec
Tim Roth, Bruno Ganz, Alexandra Maria Lara
Film
américain
Genre
: drame, fantastique
Durée :
2h05
Année
de production : 2007
1938,
en Roumanie. Dominic Matei, un vieux professeur de linguistique, est
frappé par la foudre et rajeunit miraculeusement. Ses facultés
mentales décuplées, il s'attelle enfin à l'oeuvre de sa vie : une
recherche sur les origines du langage. Mais son cas attire les
espions de tout bord : nazis en quête d'expériences scientifiques,
agents américains qui cherchent à recruter de nouveaux cerveaux.
Dominic Matei n'a d'autre choix que de fuir, de pays en pays,
d'identité en identité. Au cours de son périple, il va retrouver
son amour de toujours, ou peut-être une femme qui lui ressemble
étrangement... Elle pourrait être la clé même de ses recherches.
A moins qu'il soit obligé de la perdre une seconde fois.
L’Homme
sans âge ou l’histoire d’une seconde chance donnant la
possibilité d’accomplir son grand œuvre. C’est en tout cas
l’histoire de Dominic Matei, septuagénaire foudroyé qui renaît
sous les traits d’un fringant jeune homme de 35 ans. Ce pourrait
aussi être celle de Francis Ford Coppola, 66 ans, qui signe son
retour après neuf ans d’absence. Portrait en creux troublant du
démiurge et mise en abyme des affres de la création, le nouvel opus
de l’Américain ne parvient toutefois pas à imprimer une
puissance, une ampleur et un vertige qui le rapprocheraient de ses
plus grandes réalisations.
La
genèse de L’Homme sans âge est des plus intéressantes.
Depuis 1999 et L’Idéaliste, Coppola n’a pas tourné de
film, tout absorbé par son grand projet : Megalopolis. Il bute
sur la rédaction du scénario, l’écrivant et réécrivant sans
cesse, obsessionnellement. En 2005, une amie de longue date, devenue
éminente linguiste et ayant côtoyé Mircea Eliade (il dirigea sa
thèse), met entre ses mains le livre de l’historien des religions
roumain. La situation du cinéaste et de Dominic Matei (Tim Roth), le
héros de Youth Without Youth, a fait émerger un sentiment de
proximité et un procédé d’identification, on l’imagine
aisément, très puissant, cela en toute modestie bien évidemment.
L’un comme l’autre sont attelés au grand œuvre de leur
vie, Megalopolis pour Coppola, une somme sur les origines
du langage pour le personnage. Tous deux se trouvent dans l’impasse.
Dominic Matei est frappé par la foudre, rajeuni, ses facultés sont
démultipliées. Quant au cinéaste, il bifurque, trouve dans ce
projet un nouvel élan : un film à petit budget (à ramener
certainement à « l’étalon Coppola »…) et en équipe
réduite, bref comme au temps des culottes courtes. Et avec ça en
Roumanie, accompagné d’une équipe du cru, loin d’Hollywood : à
« la périphérie des choses » comme le dit le
réalisateur dans le dossier de presse. La préparation du film se
fait avec l’âme d’un contrebandier : repérage incognito en
Roumanie, audition des comédiens locaux dans l’arrière-boutique
du labo pharmaceutique d’un ami américain de Bucarest.
En
plus de cette analogie entre le cinéaste et son personnage, L’Homme
sans âge permet au maître d’explorer deux domaines qui le
passionnent et l’intriguent : le temps et la conscience. Et bien
sûr le problème de leur transcription dans un langage
cinématographique. On peut dire qu’il est plus que largement
servi. Dominic Matei, vieux professeur septuagénaire désespéré,
voit donc son âge divisé par deux après avoir été foudroyé. Il
se coltine alors un double et jouit d’hypermnésie. Il peut par
exemple, le veinard, comprendre un nombre improbable de langues et
s’avaler un livre tout entier en y apposant simplement la paume de
la main. Il retombe aussi, second coup de foudre, sur un amour perdu
(Laura et Veronica Rupini, tous ces personnages sont interprétés
par Alexandra Maria Lara, la secrétaire d’Adolf Hitler dans La
Chute) dont le corps, par la magie de la métempsycose,
est animé par une âme lui permettant de remonter vers l’origine
du langage. Avec tout ça on peut dire que le projet de sa vie est
plus que relancé : en très bonne voie. Mais dans un sacrifice
ultime, il ne peut achever sa tâche à cause de son nouvel amour.
Ces sessions nocturnes de remontée d’histoire de la langue font
vieillir la pauvre jeune femme à toute vitesse.
On
sait que contrairement à Scorsese, le style Coppola n’existe pas,
ou plutôt celui-ci est déterminé et inventé en fonction du sujet,
ce qui a pu lui devoir d’être catalogué comme un cinéaste
versatile. Le réalisateur déploie donc ici un récit et une mise en
scène au service de ses thèmes. Pour le film présent, il confie
être parti de Yasujiro Ozu, c’est-à-dire de cadres fixes. On a
grand peine toutefois à établir un lien avec le cinéaste japonais,
peut-être que la Roumanie manque singulièrement de tatami pour
filmer à ras de ceux-ci. À l’image d’un récit touffu,
fragmenté et elliptique, aussi bien d’un point de vue spatial que
temporel, assez logiquement, Coppola va chercher du côté de
l’expressionnisme et de l’onirisme. Il en résulte une mise en
scène foisonnante mais aussi (sur)chargée : lumières tamisées et
sophistiquées, ombres portées, flous et tournoiements lumineux,
images inversées ou encore surimpressions multicouches. Aussi les
jeux de miroirs permettent de faire figurer le dédoublement dans un
même plan, réunissant les champs/contrechamps (scène tournée le
même jour avec deux caméra, Tim Roth passant de l’une à l’autre
simultanément). S’il ne révolutionne pas la mise en scène, ce
procédé donne lieu à une belle performance d’acteur alors que le
héros engage avec cette sorte de Méphistophélès un dialogue où
est scellé ce que l’on pourrait considérer comme un pacte
diabolique. Mais dans l’ensemble, il faut bien constater que si le
réalisateur parvient à impulser une certaine fluidité, ce qui
n’est pas la moindre des choses, il peine à s’inscrire dans une
sublimation esthétique et une intensité qui placerait le spectateur
dans un état de saisissement prolongé. Loin de là pour ces deux
points.
Dans
cette histoire d’amour éternel au surnaturel très affirmé et
assumé (métempsycose, âmes errantes, voyage dans l’histoire et
le temps…), on ne peut en fait qu’établir un pont en direction
de Coppola lui-même, et de Dracula, autre histoire d’amour
éternel. Transylvanie, quand tu nous tiens. Mais aussi, pour ce
récit d’une seconde chance, l’évocation de Peggy Sue s’est
mariée s’impose, seulement d’un point de vue thématique. À
l’aube de sa vieillesse et de son divorce de Charlie, Peggy se
retrouve plongée dans ses années lycéennes. Bien décidée à ne
pas retomber dans les mêmes errements, elle repousse ledit Charlie.
Mais dans un premier temps seulement… Certes la trajectoire
cinématographique sinueuse et heurtée de Coppola n’est pas
comparable à celle de Peggy Sue, ce serait plutôt une forme
d’éternel recommencement personnel, professionnel, thématique et
stylistique, dans lequel le cinéaste (se) serait enfermé.
Réalisé
par Francis Ford Coppola
Avec
Vincent Gallo, Alden Ehrenreich, Maribel Verdú
Film
américain
Genre
: drame
Durée :
2h07
Année
de production : 2009
Tetro
est un homme sans passé. Il y a dix ans, il a rompu tout lien avec
sa famille pour s'exiler en Argentine. A l'aube de ses 18 ans,
Bennie, son frère cadet, part le retrouver à Buenos Aires. Entre
les deux frères, l'ombre d'un père despotique, illustre chef
d'orchestre, continue de planer et de les opposer. Mais, Bennie veut
comprendre. A tout prix. Quitte à rouvrir certaines blessures et à
faire remonter à la surface des secrets de famille jusqu'ici bien
enfouis.
Ouvertement
autobiographique, Tetro, est l'un des seuls films dont Coppola
ait écrit le scénario lui-même (avec Conversation
secrète, 1974). Il ne se cache pas d'y évoquer les rapports
qu'il eut avec son frère aîné, son modèle, disparu soudainement
lorsqu'il était âgé de 14 ans. L'épisode avait déjà été
suggéré dans Rusty James (1983). Le film recèle une
autre clé : la rivalité entre ces deux musiciens que furent le père
et l'oncle de Coppola, le second ayant un jour suggéré au premier
de changer de nom afin de ne pas lui faire de l'ombre.
Le
thème de Tetro est donc la rivalité, la sourde lutte que
se livrent des hommes d'une même famille pour s'affirmer
artistiquement. Dans la famille Tetrocini, le despote est le père,
chef d'orchestre renommé, dont on célébrera les funérailles sur
une scène de théâtre, dans une atmosphère de rancoeur solennelle
et de dérision. Un ogre séducteur qui aurait pu inspirer à Freud
son Totem et tabou. Là encore, les fidèles de Coppola sont en
terrain connu. Le Parrain II (1975) était l'histoire de
deux frères dont l'un tue l'autre, tels Caïn et Abel, et qu'était
le premier Parrain (1972) sinon l'histoire d'un père
tyrannique flanqué de fils rivaux ? La réflexion de Tetro, au début
du film, après qu'il s'est mis en retrait de son clan - "L'amour
dans ma famille, c'est un couteau dans le dos" - vient en
écho à celle du parrain Michael Corleone affirmant : "C'est
ma famille, ce n'est pas moi."
Ce
film-là déroute, parce que, à la différence des oeuvres les plus
célèbres de Coppola, il se situe moins dans le tape-à-l'oeil que
dans le contre-jour (le film est en noir et blanc à l'exception de
flash-back en couleurs), moins dans l'exhibitionnisme et l'artifice
que dans la pudeur. Du côté de Tennessee Williams, de Michael
Powell (auquel le cinéaste rend hommage dans une scène inspirée de
ses Contes d'Hoffmann), de Faust, de la danse et du
théâtre, de la réflexion sur la création et sur les secrets, les
démons intimes, plutôt que basé sur des considérations
commerciales.
Il
déroute aussi parce que Coppola s'était éloigné du cinéma,
consacré à ses vignobles et à ses enfants, et qu'il revient, pas
sénile pour un sou, avec une rare liberté de narration, une
enviable vivacité de metteur en scène, pour creuser un sillon dans
lequel il avait déjà laissé son empreinte : celui de la
perpétuelle remise en question, du thème de la fuite, de
l'autodestruction, de la tentation d'accumuler des références
culturelles au risque de n'être pas compris.
Après L'Homme
sans âge (2007), dans lequel un chercheur revivait sa vie à
l'envers et s'enivrait du vertige d'une recherche d'un langage
codé, Tetro est l'histoire d'un romancier qui se saborde,
refoule son désir, camoufle un manuscrit que l'on ne peut lire que
dans un miroir. Et l'histoire d'un héritier (frère ou fils, on n'en
dira pas plus) qui, au prix d'une usurpation, oblige l'artiste à
confesser ses vérités et à remettre son oeuvre à l'endroit.
Vincent
Gallo, qui incarne Tetro, n'a pas une jambe dans le plâtre pour
rien. Il s'agit ici de castration affective et créatrice, d'un coeur
brisé et d'un corps cassé. On n'est par en Argentine par hasard :
c'est la patrie de Borges, écrivain de la confusion d'identités.
Mélodrame au final d'opéra, le film honore avec virtuosité cet art
du son et de la lumière qu'est le cinéma. Tic-tac d'horlogerie (on
sait chez lui l'obsession du temps qui passe), battements d'ailes
d'un papillon attiré par une ampoule électrique.
Mais
signe de vie, symptôme de vérité, cette lumière est aussi
instrument de mort. C'est parce qu'il est aveuglé par les phares
d'une voiture que Tetro tue sa mère dans un accident (au cours
duquel on entend le frôlement du papillon contre le verre). C'est en
raison de l'appât de la gloire que le père a oublié d'aimer les
siens. Même couronné par le "Prix des parricides", Tetro
ne veut ni reconnaissance ni notoriété. "Le succès n'est
rien", dit-il. Assénée par Coppola, dont on sait la
boursouflure narcissique, cette réplique acquiert un certain poids.
Réalisé
par Francis Ford Coppola
Avec
Val
Kilmer, Bruce
Dern, Elle
Fanning
Film
américain
Genre
: épouvante, horreur, thriller, romance
Durée :
1h29
Année
de production : 2012
Un
écrivain sur le déclin arrive dans une petite bourgade des
Etats-Unis pour y promouvoir son dernier roman de sorcellerie. Il se
fait entraîner par le shérif dans une mystérieuse histoire de
meurtre dont la victime est une jeune fille du coin. Le soir même,
il rencontre, en rêve, l’énigmatique fantôme d’une adolescente
prénommée V. Il soupçonne un rapport entre V et le meurtre commis
en ville, mais il décèle également dans cette histoire un
passionnant sujet de roman qui s’offre à lui. Pour démêler cette
énigme, il va devoir aller fouiller les méandres de son
subconscient et découvrir que la clé du mystère est intimement
liée à son histoire personnelle.
Pour
son troisième film depuis qu’il s’est libéré du joug des
grands studios américains, Francis Ford Coppola développe une œuvre
au contenu déroutant, tant sur le plan formel que dans les multiples
fractures que contient le récit. Mais derrière ces chatoyants
oripeaux se cache une entreprise inquiète et nostalgique, parasitée
par une tentation démiurgique qui tourne par moments à l’exercice
en roue libre.
Depuis
son retour aux affaires en 2007 avec L’Homme
sans âge, Coppola s’est imposé trois règles :
écrire lui-même le scénario de ses films, que l’œuvre en
question ait nécessairement un écho personnel, et que le tout soit
autofinancé afin de maximiser sa liberté artistique. Comme le signe
d’un repli sur soi où le désir, à l’automne de sa vie, de ne
traiter que des choses importantes, de réduire la démarche et le
résultat à l’essentiel. Pourtant, le cinéma de Coppola n’a
jamais véritablement réussi à se départir d’une de ses
composantes fantasques, que l’on retrouve ici et là au gré d’une
filmographie imposante : un certain goût pour la démesure qui cache
en son sein l’empreinte d’un rapport souvent particulier au
temps. C’était le temps de la saga familiale pour la trilogie
du Parr
ain, c’était l’attente anxieuse de la rencontre
avec le colonel Kurtz dans Apocalypse Now, ou bien l’écart
d’âge entre un corps et un esprit qui habitent Jack et,
bien sûr, L’Homme sans âge. Il y aurait bien d’autres
exemples à donner mais, à la vision de ce Twixt, on pense plus
évidemment à Rusty James, par cette façon dont le montage
figure un temps suspendu et incertain (et grâce, aussi, à un
personnage « miroir » du Motorcycle Boy de Mickey Rourke), comme la
révélation d’un désœuvrement face à ce facteur immaîtrisable.
C’est
là toute la beauté de l’approche narrative de Twixt, faisant
d’un temps perdu, refoulé, la matière d’une déambulation à
travers un rêve charmeur et horrifique. Hall Baltimore (Val Kilmer),
sorte d’alter ego ironique du cinéaste – un scribouillard de
littérature de seconde zone sur le déclin – se retrouve, au gré
d’une dédicace dans un trou paumé des États-Unis, pris dans une
étrange aventure qui mêle une pseudo intrigue policière avec des
pérégrinations oniriques. La démesure de ce petit récit vient se
loger dans les strates d’une mise en scène décomplexée, symbole
d’une liberté de ton toujours guettée par la menace de la
coquetterie de trop : split-screens, couleurs criardes qui côtoient
une blafarde nuit américaine, décadrages, plongées, et même deux
séquences en 3D (à ce sujet, Coppola a le mérite de prendre cette
technique au pied de la lettre : un pur gadget de jouissance des
volumes et de la profondeur de champ, qui vient faire un petit tour
et puis s’en va). Le récit prend également d’inhabituels
détours, entre une séquence d’ouverture qui lorgne vers la
parodie du film horrifique (appuyée par la voix rocailleuse de Tom
Waits), quelques scénettes au comique pompier, et des élans
macabres d’une grande noirceur. Les ficelles volontairement grosses
de l’intrigue, ainsi que l’aspect ostentatoire des références
(roman gothique, apparitions d’Edgar Allan Poe, fantômes,
vampires), achèvent de composer un tableau surchargé et parfois
brouillon.
Que
faire, alors, de tous ces artefacts ? Déjà, constater qu’ils
représentent dans un premier temps une sorte de « lâcher prise »,
un cinéma où la maîtrise serait en péril, en même temps qu’il
convient de revenir immédiatement sur cette hypothèse : le récit
ménage quelques élans un peu fous et incontrôlables, mais il
s’empresse bien vite de les ramener au bercail d’une logique
binaire qui livre peu à peu les clés de l’intrigue entre rêve et
réalité. C’est plutôt dans l’idée de jeu que se trouve la
piste la plus convaincante, au sens où Coppola, libre de faire ce
qu’il entend avec ses propres deniers, prend maintenant plaisir à
mélanger les codes et brouiller les conventions. Il n’est pas
interdit d’en voir les limites et de penser qu’il fait preuve de
fortunes diverses dans l’exécution de cet exercice, si ce n’est
que le cœur du film, le « secret » de l’intrigue nous ramène
vers quelque chose de plus intime, de moins ouvertement foutraque.
Il
faut, pour cela, en revenir à la thématique du temps, car toute
l’intrigue de Twixt opère un retour inexorable vers un
passé douloureux. C’est là tout le sens des séquences oniriques
où Edgar Allan Poe guide Baltimore, par le biais d’une histoire
d’enfants assassinés (ainsi que celle de Virginia, épouse défunte
de Poe), vers une blessure secrète qu’il partage avec le cinéaste.
La révélation en est infiniment touchante, car elle s’inscrit à
l’écran en une étrange surimpression, où Coppola affirme
clairement que ce refoulé est autant le sien que celui de son
personnage. La fulgurance de ce traitement vient apporter le minimum
de clarté nécessaire ; le deuil de la perte d’un enfant prend
alors toute la place qui sourdait depuis le début du film, et laisse
finalement à penser que Coppola, derrière cette tendance réaffirmée
à n’en faire qu’à sa tête, a encore des choses à partager
avec nous.
Domino
– La Guerre Silencieuse
Réalisé par Brian de Palma
Avec Nikolaj Coster-Waldau, Carice van Houten , Guy Pearce
Thriller
Europe
2019
Lors d’une intervention de routine, un policier assiste impuissant à l’agression de son co-équipier. Son enquête pour retrouver le coupable va l’amener à parcourir l’Europe pour retrouver la trace d’un mystérieux terroriste qui entretient des relations ambiguës avec la CIA. Dans l’ombre des démocraties, une guerre silencieuse fait rage.
Le film est initialement prévu pour 2018 mais connaît de nombreux problèmes de financement et une postproduction assez longue. En mars 2019, il est annoncé que Saban Films distribuera le film aux États-Unis pour une sortie limitée en salles et en vidéo à la demande.
En France, le film sort en direct-to-video.
Le film reçoit un accueil négatif lors de la sortie en VàD aux États-Unis. Pour Screen Daily,
La critique française met également en avant les difficultés rencontrées lors de la production : « Domino n’est pas malade : il est au-delà. C’est le film le plus fauché, le plus décharné de toute la carrière de De Palma. Chaque plan ou presque témoigne des difficultés de tournage ».
Réalisé par Brian de Palma
Avec Nikolaj Coster-Waldau, Carice van Houten , Guy Pearce
Thriller
Europe
2019
Lors d’une intervention de routine, un policier assiste impuissant à l’agression de son co-équipier. Son enquête pour retrouver le coupable va l’amener à parcourir l’Europe pour retrouver la trace d’un mystérieux terroriste qui entretient des relations ambiguës avec la CIA. Dans l’ombre des démocraties, une guerre silencieuse fait rage.
Le film est initialement prévu pour 2018 mais connaît de nombreux problèmes de financement et une postproduction assez longue. En mars 2019, il est annoncé que Saban Films distribuera le film aux États-Unis pour une sortie limitée en salles et en vidéo à la demande.
En France, le film sort en direct-to-video.
Le film reçoit un accueil négatif lors de la sortie en VàD aux États-Unis. Pour Screen Daily,
La critique française met également en avant les difficultés rencontrées lors de la production : « Domino n’est pas malade : il est au-delà. C’est le film le plus fauché, le plus décharné de toute la carrière de De Palma. Chaque plan ou presque témoigne des difficultés de tournage ».
Réalisé
par Francis Ford Coppola
Avec Adam Driver, Giancarlo Esposito, Aubrey Plaza, Nathalie Emmanuel
Etats-Unis
Drame, Science-Fiction
2h18
2024
Megalopolis est une épopée romaine dans une Amérique moderne imaginaire en pleine décadence. La ville de New Rome doit absolument changer, ce qui crée un conflit majeur entre César Catilina, artiste de génie ayant le pouvoir d’arrêter le temps, et le maire archi-conservateur Franklyn Cicero. Le premier rêve d’un avenir utopique idéal alors que le second reste très attaché à un statu quo régressif protecteur de la cupidité, des privilèges et des milices privées. La fille du maire et jet-setteuse Julia Cicero, amoureuse de César Catilina, est tiraillée entre les deux hommes et devra découvrir ce qui lui semble le meilleur pour l’avenir de l’humanité.
Film très étrange, mais très unique. Megalopolis est un film un peu bordélique comme une grande fête foraine, avec pleins de choses, pleins d’attractions. Ça éclate dans tous les sens. On a le sentiment d’être sur un grand-huit, ça monte parfois lentement puis ça accélère d’un coup. Le réalisateur tente de nous parler à la fois du monde d’aujourd’hui, et de l’ensemble des 130 ans d’existence du cinéma. Bref, ce film est un monument incernable, désarçonnant, à la fois difforme et unique en son genre. A voir… pour pouvoir en parler.
Avec Adam Driver, Giancarlo Esposito, Aubrey Plaza, Nathalie Emmanuel
Etats-Unis
Drame, Science-Fiction
2h18
2024
Megalopolis est une épopée romaine dans une Amérique moderne imaginaire en pleine décadence. La ville de New Rome doit absolument changer, ce qui crée un conflit majeur entre César Catilina, artiste de génie ayant le pouvoir d’arrêter le temps, et le maire archi-conservateur Franklyn Cicero. Le premier rêve d’un avenir utopique idéal alors que le second reste très attaché à un statu quo régressif protecteur de la cupidité, des privilèges et des milices privées. La fille du maire et jet-setteuse Julia Cicero, amoureuse de César Catilina, est tiraillée entre les deux hommes et devra découvrir ce qui lui semble le meilleur pour l’avenir de l’humanité.
Film très étrange, mais très unique. Megalopolis est un film un peu bordélique comme une grande fête foraine, avec pleins de choses, pleins d’attractions. Ça éclate dans tous les sens. On a le sentiment d’être sur un grand-huit, ça monte parfois lentement puis ça accélère d’un coup. Le réalisateur tente de nous parler à la fois du monde d’aujourd’hui, et de l’ensemble des 130 ans d’existence du cinéma. Bref, ce film est un monument incernable, désarçonnant, à la fois difforme et unique en son genre. A voir… pour pouvoir en parler.