10 mai 2024

Abdellatif Kechiche

 

Tunisie, 1960


Réalisé par
Abdellatif Kechiche
Avec Sami Bouajila, Aure Atika, Elodie Bouchez, Bruno Lochet
Drame
2h13
2000
France
Jallel, un jeune tunisien, immigre clandestinement en France. Il se présente sous la fausse nationalité algérienne afin d'obtenir le plus rapidement un permis de séjour. Accueilli dans un centre d'aide sociale, Jallel s’adapte bien à Paris où il fait toutes sortes de petits boulots dans les rues et le métro parisien. Il rencontre deux jeunes femmes: Nassera, une jeune mère célibataire qui travaille dans un bar et Lucie qui souffre de troubles psychiatriques. Les joies de l'amour et les problèmes identitaires, financiers et légaux de Jallel vont parsemer son parcours en France. Il songe notamment à se marier avec Nassera pour être régularisé...
 Il s’agit du premier long métrage d’Abdellatif Kechiche, qui jusque-là avait été remarqué comme acteur dans Le thé à la menthe d’Abdelkrim Bahloul ou Les innocents d’André Téchiné. Entre l’esprit consensuel et sarcastique de Todelano/Nakache dénonçant la précarité dans Une année difficile, l'’humanisme d’un Ken Loach et le ton en liberté des cinémas de Pialat ou Cassavetes, La faute à Voltaire est un long métrage à la fois audacieux et d’une redoutable efficacité. Rétrospectivement, le film annonce aussi l’univers postérieur de Kechiche. Le sort réservé à Jallel, qui connaîtra la vie en foyer, l’internement psychiatrique, puis la peur d’être contrôlé par la police, rejoint le parcours compliqué de la Vénus noire, même si le protagoniste a un sort plus enviable, partageant des moments d’amitié et d’idylle amoureuse. Les scènes intimistes, explicites bien que relativement sobres, sont les prémices des passages ouvertement sexuels de La vie d'Adèle, ou Mektoub my love : canton uno. Quant au lien communautaire, il sera également au centre de La Graine et le Mulet. Au-dela de ses qualités d’écriture et de filmage, La faute à Voltaire est aussi un formidable film d’acteurs, en particulier les seconds rôles. Dans le rôle principal, Sami Bouajila se montre grand comédien. Présenté à la Mostra de Venise en 2000, La faute à Voltaire y fut récompensé par le Lion d’or de la première œuvre et le prix de la jeunesse, et obtint d’autres distinctions aux festivals d’Angers et Namur.

Réalisé par
Abdellatif Kechiche
Avec Osman Elkharraz, Sara Forestier, Sabrina Ouazani
Comédie dramatique
1h57
2004
France
Abdelkrim, dit Krimo, quinze ans, vit dans une cité HLM de la banlieue parisienne. Il partage avec sa mère, employée dans un supermarché, et son père, en prison, un grand rêve fragile : partir sur un voilier au bout du monde. En attendant, il traîne son ennui dans un quotidien banal de cité, en compagnie de son meilleur ami, Eric, et de leur bande de copains. C'est le printemps et Krimo tombe sous le charme de sa copine de classe Lydia, une pipelette vive et malicieuse...
Second long-métrage d’Abdellatif Kechiche, L’Esquive a joué les trouble-fêtes lors de la cérémonie des César 2005 en remportant trois des plus prestigieuses récompenses. Contrairement à La Haine, dont le désenchantement notable a fait grand bruit, les adolescents de L’Esquive gardent une certaine part d’innocence, encore peu conscients des difficultés que le monde adulte leurs réserve. Ici, nulle revendication explicite : la cité n’est pas encore un enjeu en soi, elle est une toile de fond, inhérente au quotidien de chacun de ces personnages qui l’acceptent comme telle. Le réalisateur soutient intelligemment et avec un didactisme incroyable l’idée selon laquelle la banlieue peut être autre chose qu’un cliché constamment rabattu par les médias. Le cadre de vie n’y est soudainement plus synonyme de fatalité. Progressivement, le scénario, subtil et fin, évapore les clichés, s’affranchit des comparaisons peu flatteuses et propose une histoire drôle, simple, juste, lumineuse. La gageur de L’esquive est de proposer un marivaudage made in banlieue qui repose sur une multitude d’idées audacieuses. La première consiste à montrer une autre image de la banlieue sans les problèmes sociaux inhérents.
Evidemment, voir ainsi se multiplier autant d’images de ces fessiers réduit Kechiche, et à travers lui ses personnages masculins auxquels on s’était pourtant précédemment attaché, au rang de monomaniaques, et surtout rend ce spectacle aussi malsain que pénible.

Réalisé par
Abdellatif Kechiche
Avec Habib Boufares, Hafsia Herzi, Farida Benkhetache
Drame
2h31
2007
France
Sète, le port. Monsieur Beiji, la soixantaine fatiguée, se traîne sur le chantier naval du port dans un emploi devenu pénible au fil des années. Père de famille divorcé, s'attachant à rester proche des siens, malgré une histoire familiale de ruptures et de tensions que l'on sent prêtes à se raviver, et que les difficultés financières ne font qu'exacerber, il traverse une période délicate de sa vie où tout semble contribuer à lui faire éprouver un sentiment d'inutilité. Une impression d'échec qui lui pèse depuis quelque temps, et dont il ne songe qu'à sortir en créant sa propre affaire : un restaurant. Seulement, rien n'est moins sûr, car son salaire insuffisant et irrégulier, est loin de lui offrir les moyens de son ambition. Ce qui ne l'empêche pas d'en rêver, d'en parler, en famille notamment. Une famille qui va peu à peu se souder autour d'un projet, devenu pour tous le symbole d'une quête de vie meilleure. Grâce à leur sens de la débrouille, et aux efforts déployés, leur rêve va bientôt voir le jour... Ou, presque...
La graine et le mulet, ce sont bien sûr les composantes basiques du couscous au poisson, mais aussi peut-être les symboles du lien entre les anciens et les jeunes pousses, ou encore celui de la mixité inévitable et potentiellement féconde entre les deux rives de la Méditerranée, entre couscous et bouillabaisse. On vient de présenter le “pitch” du film, mais l’essentiel n’est pas là. Comme dans le cinéma de Pialat ou de Rozier, ce qui compte et subjugue, c’est la chair qui habille le squelette scénaristique. Des séquences de repas rabelaisiennes, où s’engouffrent par bouffées vitales le temps, la texture de la vie, les conversations anodines ou importantes, la parole circulant, des visages et des corps populaires en majesté. Des joutes oratoires épiques et tendues comme des scènes d’action hollywoodiennes, où l’on retrouve intacte toute l’intensité de L’Esquive vibrant dans d’autres contextes. Une discussion de bistrot entre une brochette d’anciens ressemble à un chœur grec sorti du meilleur Pagnol.
Dans la dernière partie, un simple plat de couscous devient le vecteur d’un suspense haletant. On remarque mille détails merveilleux, la sensualité lourde des femmes comme venue du cinéma populaire italien, ou ce bout de conversation où l’on apprend que l’une de ces dames jouit en arabe, rappelant discrètement que l’histoire de la civilisation arabo-musulmane fut aussi érotique, sensualiste, contrairement à ce que voudrait faire croire le déni intégriste. Tout le film est porté par des actrices et acteurs à tomber, une troupe d’inconnus magnifiques au milieu de laquelle on reconnaît ici un Deschiens (Bruno Lochet), là une vieille connaissance de chez Claire Denis (Alice Houri), ou d’autres de L’Esquive (coucou Sabrina Ouazani et Carole Franck). Tous sont époustouflants de présence et de justesse, mais se détachent malgré tout la noblesse de vieux sachem de Habib Boufares, cow-boy laconique et fatigué de la “première génération”, et la pétulance de Hafsia Herzi qui électrise l’écran chaque fois qu’elle apparaît. Ce qui est précieux dans le cinéma d’Abdellatif Kechiche, au-delà de son fabuleux sens des acteurs et de sa patience de regard, c’est sa capacité à redonner littéralement la parole au peuple, des deux côtés de l’écran. C’est aussi une puissance politique qui ne s’exhibe jamais, un refus aussi bien de l’angélisme que de la revendication revancharde. Par exemple, pour pointer le racisme latent de certaines franges de la société française ou les barrières de classes, Kechiche met en scène les conversations des commerçants qui craignent la concurrence du restaurant de Slimane, l’habitus hautain des notables locaux, un paternalisme maladroit (“Inch Allah !, comme on dit chez vous”) plutôt qu’une scène d’agression. Pas de discours schématiquement dénonciateur chez Kechiche, pas de personnage qui véhicule du vouloir-dire, pas de facilité démagogique, mais la simple monstration de la France métissée, avec sa vitalité et ses apories, ses conflits et ses espoirs.

Réalisé par
Abdellatif Kechiche
Avec Yahima Torres, André Jacobs.
Drame Historique
2h44
2010
France
Paris, 1817, enceinte de l'Académie Royale de Médecine. « Je n'ai jamais vu de tête humaine plus semblable à celle des singes ». Face au moulage du corps de Saartjie Baartman, l'anatomiste Georges Cuvier est catégorique. Un parterre de distingués collègues applaudit la démonstration. Sept ans plus tôt, Saartjie, quittait l'Afrique du Sud avec son maître, Caezar, et livrait son corps en pâture au public londonien des foires aux monstres. Femme libre et entravée, elle était l'icône des bas-fonds, la « Vénus Hottentote » promise au mirage d'une ascension dorée...
Avec ce quatrième film, Abdellatif Kechiche abandonne le milieu populaire contemporain pour nous offrir une fresque historique sur la vie de Saraatjie Baartman, aussi connue sous le nom de Vénus Hottentote. Véritable symbole pour l’Afrique du Sud de Mandela qui a réclamé ses restes auprès du musée de l’homme de Paris pendant près de huit ans, cette femme fut exhibée comme un monstre de foire, d'abord à Londres, puis dans les salons libertins de Paris. Kechiche offre ici, sans nul doute, son travail le plus abouti, voire même le plus profond. La vertu de "Vénus noire" est de ne pas dénoncer, de n'encourager jamais le réflexe de haine, sans pour autant absoudre. L'histoire est terrible, les thèmes approchés sont de ceux qui provoquent l'effroi, la tentation était grande, et excusable sans doute, de vouloir le film aimable malgré tout, et plaisant mais il s'avère cru, poisseux et dérangeant et pourtnat il se révèle d'une force rare. Il n'est pas, peut-être, de mérite plus grand que de ne pas prétendre séduire et d'y parvenir pourtant.

Réalisé par
Abdellatif Kechiche
Avec Léa Seydoux, Adèle Exarchopoulos, Salim Kechiouche
Drame - Romance
2h57
2013
France
À 15 ans, Adèle ne se pose pas de question : une fille, ça sort avec des garçons. Sa vie bascule le jour où elle rencontre Emma, une jeune femme aux cheveux bleus, qui lui fait découvrir le désir et lui permettra de s’affirmer en tant que femme et adulte. Face au regard des autres Adèle grandit, se cherche, se perd, se trouve...
Les presque trois heures de "La Vie d'Adèle" passent sans qu'on y prenne garde, qui décrivent et retracent l'amour de deux jeunes femmes, l'une artiste, l'autre institutrice. Une invitation de cinéma totale entre plaisir charnel intense et déclaration d’amour frontale au medium. On en ressort aussi déchiré, lessivé et meurtri à vie que l’héroïne du film interprétée par la jeune et déjà au Panthéon des actrices, Adèle Exarchopoulos. Le cinéaste est parvenu au sommet de l’épanouissement, il a été justement distingué par la Palme D'or.

Réalisé par
Abdellatif Kechiche
Avec Shaïn Boumedine, Ophélie Bau, Salim Kechiouche
Drame - Romance
2h55
2016
France
Sète, 1994. Amin, apprenti scénariste installé à Paris, retourne un été dans sa ville natale, pour retrouver famille et amis d’enfance. Accompagné de son cousin Tony et de sa meilleure amie Ophélie, Amin passe son temps entre le restaurant de spécialités tunisiennes tenu par ses parents, les bars de quartier, et la plage fréquentée par les filles en vacances. Fasciné par les nombreuses figures féminines qui l’entourent, Amin reste en retrait et contemple ces sirènes de l’été, contrairement à son cousin qui se jette dans l’ivresse des corps. Mais quand vient le temps d’aimer, seul le destin - le mektoub - peut décider.
Un hymne solaire à la vie, à l'amour, aux corps, à l'avenir, un grand film sur la jeunesse, sur le rapport aux autres, sur la volonté de vivre paisiblement dans lequel le réalisateur filme avec une intense sensualité un groupe de jeunes le temps d'un été lumineux à Sète. Pour son sixième long-métrage, Abdellatif Kechiche ouvre en grand les fenêtres de son cinéma et plonge dans un tourbillon de scènes dont le caractère extensif n’a d’égal que la sensation de plénitude, créant un appel d’air si intense qu’on parvient à peine à y reprendre son souffle.

Réalisé par
Abdellatif Kechiche
Avec Shaïn Boumedine, Ophélie Bau, Salim Kechiouche, Lou Luttiau, Hafsia Herzi, Alexia Chardard, Marie Bernard
Comédie dramatique
3h32
2018
France
La fin de l’été approche, Amin et ses amis rencontrent Marie, une jeune étudiante parisienne.
Une épreuve de force. C’est ainsi que les spectateurs vivent le spectacle qu’est ce second opus de la trilogie Mektoub : My Love. La magnificence lyrique du premier ne nous y avait pas préparés. Et d’ailleurs, l’idée que le prochain s’appelle Canto Due (faisant directement suite au précédent qui se nommait Canto Uno), place cet Intermezzo dans une position bien particulière. On peut même affirmer que jamais un réalisateur n’avait eu cette idée folle de concevoir une trilogie dont la pièce centrale –qui est traditionnellement la meilleure des trois, les exemples sont nombreux– soit ainsi un élément à part, tant dans la narration que dans le ton. Mais alors qu’est-ce que c’est que ce film ? Ni plus ni moins que l’antithèse de tout ce qu'on avait pu aimer dans le premier chapitre. L’idée à la base du projet n’est certainement pas de mettre le public dans une situation inconfortable, mais plutôt de situer le personnage d’Amin dans cette incommodité. Il faudra ensuite voir comment la mise en scène parvient à la rendre communicative. Ainsi, les promenades au soleil au cours desquelles Amin découvrait le charme sensuel de ses amies, laisse place à une ambiance oppressante et à une saturation des gros plans sur le déhanché de ces filles, qui leur font tout perdre de cette sensualité, désormais si lointaine.

Stéphane Brizé

 


France, 1966




Réalisé par Stéphane Brizé
Avec Florence Vignon, Antoine Chappey, Mathilde Seigner
Comédie, Drame
1h41
1999
France
Solange et son ami Patrick mènent une vie tranquille en province. L'amie d'enfance de Solange, Mylene, devenue présentatrice météo, est de passage pour dédicacer sa biographie. Elle lui consacre une soirée. Un dîner, un verre en boîte, quelques confidences. Mylene repartie, Solange réalise qu'elle est passée à coté de ses rêves. Elle s'imaginait chanteuse, elle est contractuelle. Son costume de scène c'est un uniforme, son public des automobilistes qui l'insultent. Changer de vie, est-ce encore possible?
Pour son premier long métrage Le Bleu des Villes, Stéphane Brizé a choisi l’histoire d’une jeune trentenaire qui aspire à une autre vie que celle, un peu étriquée, qui lui semble réservée. Il y a un contraste intéressant entre l’apparence extérieure de cette jeune femme douce et calme et son tumulte intérieur qui se mue en une volonté implacable de changer totalement de vie. Florence Vignon, qui a aussi contribué à l’écriture du scénario, interprète à merveille ce personnage filmé avec beaucoup de douceur et de délicatesse. Le ton est juste, sans jamais forcer le trait, et film trouve un bel équilibre entre drame et comédie. Une réussite.

Réalisé par Stéphane Brizé
Avec Patrick Chesnais, Anne Consigny, Georges Wilson
Comédie, Drame
1h33
2005
France
50 ans, huissier de justice, le coeur et le sourire fatigués, Jean-Claude Delsart a depuis longtemps abandonné l'idée que la vie pouvait lui offrir des cadeaux. Jusqu'au jour oùil s'autorise à pousser la porte d'un cours de tango...
Six ans après « Le bleu des villes », son premier film, Stéphane Brizé revient avec un nouveau portrait d’un être à priori mal aimé de par sa profession (un huissier ici, après une pervenche). Patrick Chesnais donne corps et raideur initiale à cet homme, la cinquantaine fatiguée, confronté à des problèmes de communication avec son père (George Wilson, formidable) hargneux pensionnaire d’une maison de retraite, comme avec son fils, timide et frêle, à la vocation contrariée. Sa capacité à ressentir et exprimer à nouveau des sentiments est au cœur de ce film à la lenteur élégante, laissant pointer de grands moments d’émotion, souvent liés à l’incompréhension des autres (d’une mère qui ne rêve que de mariage et qui ne voit pas qu’un plan de table symbolise une prison à venir, ou d’un rival qui souhaite se venger de n’avoir pas été choisi). Filmant ses deux personnages principaux au plus près, visages en gros plans, Stéphane Brizé donne à voir toutes les nuances d’un désir naissant, fragile et sourd. Sur fond de tango, les regards et les corps se croisent, impliquant des choix de vie décisifs et parfois douloureux. Ces douleurs et espoirs sous tendent ce film magnifique, à la distribution impeccable.

Réalisé par Stéphane Brizé
Avec Edith Mérieau, Vincent Dubois
Comédie dramatique
1h20
2006
France
6 hommes et 6 femmes, 12 adultes, s'aiment, se mentent, se manipulent, se trompent, se confient et se quittent. La vie...
Déjà réalisateur de deux films plutôt réussis sur la solitude, Stéphane Brizé a été séduit par le défi de tourner un long-métrage d’une heure vingt en quatre jours avec des comédiens professionnels du Val de Loire… Enchaînant les mêmes plans, les mêmes constructions narratives cycliques, et les mêmes dialogues plus ou moins généraux, il ne convainc pas cette fois. Peut-être parce qu’on parle trop dans le vent ici. Peut-être aussi parce que le film semble beaucoup trop improvisé et fait à la va-vite pour être aussi profond qu’il le souhaiterait.

Réalisé par Stéphane Brizé
Avec sandrine Kiberlain, Vioncent Lindon, Aure Atika
Drame, romance
1h41
2009
France
Jean est quelqu'un de bien : un bon maçon, un bon fils, un bon père et un bon mari. Et dans son quotidien sans heurt, entre famille et travail, il croise la route de Mademoiselle Chambon, l'institutrice de son fils. Il est un homme de peu de mots, elle vient d'un monde différent. Ils vont être dépassés par l'évidence des sentiments.
C’est dans les silences et les regards que gagne en puissance Mademoiselle Chambon, magnifique histoire d’amour sans issue. Stéphane Brizé, à travers la peinture fine d’un milieu social, travaille sur la passion malheureuse et la répression des sentiments, donnant systématiquement aux deux protagonistes l’impression révoltante de passer à côté du bonheur. Il parvient, notamment à travers une direction d’acteurs exemplaire et à des plans gracieux, à créer un suspense sur l’issue de cette histoire d'amour qui ne parvient pas à s’assumer physiquement. D’après le roman d’Eric Holder, il s’agit là d’une approche brillante qui permet aux comédiens d’offrir l’une de leurs meilleures compositions, tout dans la subtilité.

Réalisé par Stéphane Brizé
Avec Vincent Lindon, Hélène Vincent, Emmanuelle Seigner,
Drame
1h48
2012
France
A 48 ans, Alain Evrard est obligé de retourner habiter chez sa mère. Cohabitation forcée qui fait ressurgir toute la violence de leur relation passée. Il découvre alors que sa mère est condamnée par la maladie. Dans ces derniers mois de vie, seront-ils enfin capables de faire un pas l'un vers l'autre ?
QUELQUES HEURES DE PRINTEMPS est un film âpre, courageux et sans complaisance qui aborde des sujets difficiles. Il nous confronte à notre propre existence, à nos relations avec nos parents et nos enfants, à notre façon aussi d’envisager ou d’éluder la fin de la vie. Stéphane Brizé traite la question du suicide assisté comme un documentaire, sans jamais prendre position. Le but de son film n’est d’ailleurs pas tant de susciter une réflexion sur la question de la mort assistée que de filmer la relation désastreuse d’une mère amère et de son fils naufragé. Pour ce faire, il a posé sa caméra dans la cuisine de la mère et filme avec sobriété le face-à-face quotidien de ces deux êtres taiseux, incapables d’exprimer leurs sentiments. Le temps leur est compté s’ils veulent dénouer les nœuds du passé et se dire les mots qui apaisent. Dans le rôle du fils écorché vif, Vincent Lindon est bouleversant de justesse. Le film, qui sonne si vrai, nous trotte encore longtemps dans la tête après qu’on l’a vu.

Réalisé par Stéphane Brizé
Avec Vincent Lindon, Karine De Mirbeck, Matthieu Schaller
Drame
1h33
2015
France
Depuis que son usine a fermé, Thierry, 51 ans, marié et père d'un adolescent handicapé, recherche désespérément du travail pour boucler les fins de mois. Lancé dans une quête éperdue, il suit vaillamment des formations qui ne le mènent à rien et enchaîne sans succès les rendez-vous. Pris à la gorge, il accepte un poste de vigile dans un hypermarché. La longue routine de la surveillance commence, avec son lot de petites gens, clients comme employés, que son travail consiste à repérer et à dénoncer, souvent pour des larcins véniels, voire inexistants.À 51 ans, après 20 mois de chômage, Thierry commence un nouveau travail qui le met bientôt face à un dilemme moral. Pour garder son emploi, peut-il tout accepter ?
Lindon est colos­sal. De simpli­cité, de vérité. Avec une écono­mie de jeu qui confine à l’as­cèse. Brizé a choisi de toujours placer sa caméra dans son dos. Nous sommes alors cet homme bafoué, qui rare­ment s’exas­père, mais qui ne lâche rien. Une mise en scène quatre étoiles.

Réalisé par Stéphane Brizé
Avec Judith Chemla, Jean-Pierre Darroussin, Yolande Moreau
Drame, romance
1h59
2016
France
Normandie, 1819. A peine sortie du couvent où elle a fait ses études, Jeanne Le Perthuis des Vauds, jeune femme trop protégée et encore pleine des rêves de l’enfance, se marie avec Julien de Lamare. Très vite, il se révèle pingre, brutal et volage. Les illusions de Jeanne commencent alors peu à peu à s’envoler.
En adaptant Maupassant, Stéphane Brizé livre, au fil de longues scènes silencieuses, montées au cordeau et restituées sur une image carrée, un grand film d’atmosphère exigeant et minimaliste délibérément trempé dans un romantisme sombre, parfaitement incarné par Judith Chemla au bord de falaises battues par les vents.

Réalisé par Stéphane Brizé
Avec Vincent Lindon, Mélanie Royer, Jacques Borderie
Drame
1h53
2018
France
Malgré de lourds sacrifices financiers de la part des salariés et un bénéfice record de leur entreprise, la direction de l’usine Perrin Industrie décide néanmoins la fermeture totale du site. Accord bafoué, promesses non respectées, les 1100 salariés, emmenés par leur porte parole Laurent Amédéo, refusent cette décision brutale et vont tout tenter pour sauver leur emploi.
Stéphane Brizé raconte tout en disséquant. Sans caricaturer. Sans pointer personne du doigt. Juste accuser un état de fait, constater un drame humain. Et avec le talent inouï de faire du cinéma avec la réalité sans jamais trahir celle-ci. Une œuvre saisissante, percutante, magistrale.

Réalisé par Stéphane Brizé
Avec Vincent Lindon, Guillaume Depardieu, Anthony Bajon, Sandrine Kiberlain,
Drame
1h36
2021
France
Un cadre d'entreprise, sa femme, sa famille, au moment où les choix professionnels de l'un font basculer la vie de tous. Philippe Lemesle et sa femme se séparent, un amour abimé par la pression du travail. Cadre performant dans un groupe industriel, Philippe ne sait plus répondre aux injonctions incohérentes de sa direction. On le voulait hier dirigeant, on le veut aujourd'hui exécutant. Il est à l'instant où il lui faut décider du sens de sa vie.
Après « La Loi du marché » et « En guerre », Stéphane Brizé poursuit son exploration du monde du travail, à travers le portrait d'un patron d'usine dans la tempête. Avec un naturalisme assuré, maître dans l’art du réel et du détail, Vincent Lindon qui fut l’agent de sécurité et le syndicaliste devient avec la même indiscutable authenticité le cadre en costume-cravate. Un film tranchant et haletant.

Réalisé par Stéphane Brizé
Avec Guillaume Canet, Alba Rohrwacher, Sharif Andoura
Comédie - Drame
1h46
2023
France
Mathieu habite Paris, Alice vit dans une petite cité balnéaire dans l’ouest de la France. Il caresse la cinquantaine, c’est un acteur connu. Elle a dépassé la quarantaine, elle est professeure de piano. Ils se sont aimés il y a une quinzaine d’années. Puis séparés. Depuis, le temps est passé, chacun a suivi sa route et les plaies se sont refermées peu à peu. Quand Mathieu vient diluer sa mélancolie dans les bains à remous d’une thalasso, il retrouve Alice par hasard.
Stéphane Brizé signe un film très émouvant, existentiel, dont le ton se révèle très éloigné de celui de ses films sociaux avec Vincent Lindon. Ce film à la partition délicate et sensible est bien servie par le duo Alba Rohrwarcher-Guillaume Canet : elle fragile, dotée d'un charme fou, presque résignée sur sa vie ; lui, insatisfait, cafardeux et qui culpabilise de ne pas avoir été élégant lors de leur séparation, autrefois.

28 avr. 2024

Alfonso Cuarón


 Mexique, 1961





Uniquement avec ton partenaire
Réalisé par Alfonso Cuarón
Avec Daniel Giménez Cacho, Claudia Ramírez, Luis de Icaza, Ricardo Dalmacci
Comédie romantique
1h34
1991
Mexique
Coureur de jupons, Tomas est piégé par Silvia, une infirmière qui s'est retrouvée trompée par ce beau parleur et qui lui fait croire qu'il est atteint du SIDA. Alors qu'il cherche une mort rapide (en mettant sa tête dans un four à micro-ondes) Tomas rencontre Clarisa, une hôtesse de l'air qui veut aussi se suicider parce qu'elle soupçonne son amant d'avoir une liaison avec une hôtesse blonde de la Continental Airlines.
Uniquement avec ton partenaire est une comédie empruntant aux teen movies. Ce premier film d’Alfonso Cuarón n'est certainement pas celui de la maturité tant sur le fond que sur la forme.
Ainsi, le réalisateur appuie les aspects humoristiques de son film sur des gags étirés à l'extrême et/ou répétitifs. L'autre pilier sur lequel repose Uniquement avec ton partenaire est celui d’un comique né de situations incongrues plutôt que sur des dialogues qui restent banals, voire indigents.

La petite princesse
Réalisé par Alfonso Cuarón
Avec Liesel Matthews, Eleanor Bron, Liam Cunningham
Drame Fantastique
1h37
1995
Etats-Unis
Tandis que son père s'engage dans l'armée britannique pour lutter contre les allemands durant la Première guerre mondiale, Sara est envoyée dans un internat à New York. Sur place, elle entretient des relations très tumultueuses avec la sévère directrice qui voit d'un mauvais oeil les rêves de princesses de la jeune fille.
Il ne faisait pas bon réaliser des longs métrages destinés au jeune public chez Warner dans les années 90. On connait le sort catastrophique réservé à l’immense Le Géant de fer, il en va de même pour La Petite princesse. Quasiment privé de toute promotion, le premier film américain d’Alfonso Cuarón, réalisé quatre ans après son tout premier long métrage Sólo con tu pareja, s’est vautré au box office malgré des critiques élogieuses et deux nominations aux oscars (pour sa photographie et sa direction artistique). Le film d’Alfonso Cuarón est une adaptation du roman éponyme de Frances Hodgson Burnett. Un grand classique de la littérature anglaise destinée à la jeunesse et qui s’est vu adapté des dizaines de fois au cinéma ou à la télévision. Parmi les adaptations les plus célèbres ou marquantes, citons Petite princesse de Walter Lang, sorti en 1939 avec Shirley Temple dans le rôle principal, ou encore la série animée japonaise Princesse Sarah diffusée dans les années 80. Pour Alfonso Cuarón, l’influence principale se situe dans la version de 1939. Le scénario de cette nouvelle adaptation est confié à Elizabeth Chandler (son premier scénario pour le cinéma) et Richard LaGravenese (scénariste de Sur la route de Madison et L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux, mais surtout du Fisher King de Terry Gilliam dans lequel il était déjà question de magie et de fantaisie dans un réel moribond). Les auteurs vont retravailler considérablement le récit, modifier notamment son final pour un happy end plus fort en émotion, et accentuer la présence de la culture indienne jusqu’à en faire un des moteurs principaux de la narration. Alfonso Cuarón signait là son film le plus féérique, sublimant les incroyables décors de Bo Welch (Batman le défi, Edward aux mains d’argent, Men in Black) avec l’apport non négligeable d’un certain Emmanuel Lubezki à la photographie. Ce dernier compose des lumières qui traduisent littéralement par l’image la sensation du conte de fées. Et bien que le film s’adresse en premier lieu à un jeune public, Alfonso Cuarón lui montre tout le respect nécessaire à travers sa mise en scène et son découpage, d’une précision et d’une inventivité déjà phénoménales. Voilà un film qui n’a pas eu le destin qu’il méritait.

De grandes espérances
Réalisé par Alfonso Cuarón
Avec Ethan Hawke, Gwyneth Paltrow, Anne Bancroft, Robert De Niro
Comédie dramatique
1h51
1998
Etats-Unis
Adaptation moderne du célèbre roman de Charles Dickens transposée à notre époque, ayant pour cadre la Floride ou le Pip de Dickens est devenu Finn et son oncle forgeron un patron pêcheur. Comme dans le roman l'enfant va sauver un forcat évade, geste qui changera sa destinée. Quand la fortune viendra il pensera qu'il la doit à une vieille dame excentrique dont il égayait l'existence quand il était enfant.
Avant de devenir un immense cinéaste, couronné deux fois par l’Oscar du meilleur réalisateur (en 2014 pour Gravity et en 2019 pour Roma), Alfonso Cuarón a fait ses premiers armes à Hollywood où la Twentieth Century Fox lui avait confié le soin de réaliser une nouvelle adaptation de De grandes espérances. Projet plein de promesse que cette adaptation du classique de la littérature britannique de Dickens. En effet avec Alfonso Cuaron aux commandes, Ethan Hawke, Gwyneth Paltrow (excellente dans le registre de l'allumeuse), Anne Bancroft et Robert De Niro, la photographie d'Emmanuel Lubezki et évidemment la transposition en Floride et à New York de la fin du XXème siècle de l'histoire de Dickens. La transposition du roman de Charles Dickens ne manque pas d´élégance. Le film est bâti en deux parties. C´est dans la première, celle de l´enfance, que le metteur en scène mexicain Alfonso Cuaron confirme une sensibilité qu´il avait déjà laissé percevoir dans « la Petite Princesse ». Il y a du charme dans cette ambiance romantique, une sensualité dans les images entre les deux personnages principaux, des idées de mise en scène mais malheureusement la seconde partie est plus conventionnelle et s´achève en polar ordinaire.

Réalisé par Alfonso Cuarón
Avec Maribel Verdú, Gael García Bernal, Diego Luna, Diana Bracho, Andrés Almeida
Drame, Road Movie
1h45
2001
Mexique
Tenoch et Julio sont deux amis, en fin d'adolescence, insouciants, fêtards et dragueurs. Ils rencontrent Luisa, une cousine espagnole de Tenoch, à un mariage familial somptueux. Luisa, jeune trentenaire, est bouleversée quelques jours plus tard par des problèmes de couple. Sur une proposition de Tenoch et Julio, elle décide de les accompagner pendant quelques jours sur la côte du Pacifique. Durant ce road trip, le trio se forme, se cherche et d'une certaine manière se trouve. Mais Luisa semble cacher un malheur plus profond…
Ce film a battu tous les records d'entrées de l'histoire du cinéma mexicain et son succès n'est pas difficile à comprendre. Toutes les générations se reconnaissent dans ce portrait d'une jeunesse à vivre, ou déjà vécue, dépeinte avec une fraîcheur de regard et un délicieux culot. Tandis qu'en filigrane apparaît le Mexique tel qu'en lui-même, par la grâce de ce voyage abandonné au rythme des régions traversées. On y découvre la pauvreté, la bourgeoisie, les manifestations de rue et les préludes expropriateurs d'un développement touristique massif. Le film est ancré dans la réalité par un découpage en tableaux auxquels une voix off apporte des précisions documentaires.

Harry Potter et le prisonnier d'Azkaban
Réalisé par Alfonso Cuarón
Avec Daniel Radcliffe, Rupert Grint, Emma Watson, Gary Oldman, David Thewlis
Fantasy
2h22
2004
Royaume-Uni, Etats-Unis
Sirius Black, un dangereux sorcier criminel, s'échappe de la sombre prison d'Azkaban avec un seul et unique but : retrouver Harry Potter, en troisième année à l'école de Poudlard. Selon la légende, Black aurait jadis livré les parents du jeune sorcier à leur assassin, Lord Voldemort, et serait maintenant déterminé à tuer Harry...
Comme toute belle histoire qui se respecte, celle entre Cuarón et Harry Potter a pourtant bien failli ne jamais avoir lieu. Lancée en décembre 2001, soit un peu plus de quatre ans après la sortie du premier livre, la saga cinématographique Harry Potter est déjà en wheeling sur des rails pavés d'or. Harry Potter à l'École des Sorciers et La Chambre des Secrets ont permis à une poignée de producteurs au nez fin – et à l'autrice J.R. Rowling en passant – de remplir plusieurs coffres à Gringotts. Pour leur assurer un cachet gentiment familial, Warner Bros. (société de production de l'ensemble de la franchise) était allé chercher le gentil tâcheron Chris Colombus, parfait Yes Man qui s'était caché derrière les caméras des deux premiers Maman, j'ai raté l'avion ou encore de l'inoffensif Homme bicentenaire. Sauf qu'au moment où démarre la production du Prisonnier d'Azkaban, Colombus choisit de se mettre sur la touche, reculant en tant que simple producteur.
Après avoir essuyé plusieurs refus, la production dresse alors une short list de trois noms : Callie Khouri (scénariste de Thelma & Louise), Kenneth Branagh (qui vient d'incarner Gilderoy Lockhart dans l'opus précédent) et enfin Alfonso Cuarón. En 2003, à pourtant 40 ans passés, Alfonso Cuarón n'est encore qu'un espoir du cinéma mexicain, retourné au pays pour enfin connaître un premier succès d'estime international avec Y tu mamá también, qui s'est offert une jolie tournée des festivals. Autant dire que, lorsqu'arrive sur son bureau une proposition d'un grand studio pour réaliser la suite de la nouvelle franchise de films pour ados du moment, l'ami Alfonso ne saute pas franchement au plafond. Lui qui n'a jamais lu le moindre livre de la série (Harry Potter et la Coupe de feu vient alors tout juste de sortir), ni vu aucun des deux premiers films, prend ainsi l'invitation par dessus la jambe, avec dédain, mais choisit quand même d'en parler au détour d'une conversation avec son compatriote, confrère et ami de longue date Guillermo Del Toro. Il s'est énervé contre moi et m'a lancé : 'Enfoiré de 'flaco' (maigrichon en Français), tu n'es qu'un put*** de bâtard arrogant ! Tu vas filer tout de suite dans une put*** de librairie, acheter les bouquins, les lire et tu vas me recontacter tout de suite après !' Quand Guillermo vous parle comme ça, je peux vous dire que vous avez plutôt intérêt à aller à la librairie…" Le résultat ne se fait pas attendre : après deux livres et demi, Cuarón le réticent est finalement conquis. "En tant que réalisateur, c'est une vraie leçon d'humilité, de me demander comment faire mien le matériau d'origine tout en respectant ce qui a tant plu dans les deux premiers volets." Vous l'avez compris : il va faire bien mieux que cela.
Les deux premiers volets étaient des films pour enfants, globalement légers, clairs et lumineux. Celui-ci sera plus mature, mais surtout bien plus noir. Un travail sur l'image qui se trouve aussi magnifié par de nombreuses scènes tournées en environnements naturels, principalement situés dans la superbe région écossaise de Glen Coe. Là où les extérieurs des deux premiers opus étaient quasi systématiquement reproduits en images de synthèse et ont aujourd'hui pris un sacré coup de vieux, le domaine de Poudlard semble pour la première fois exister de façon tangible. Ce changement de ton dans Le Prisonnier d'Azkaban vient également en bonne partie du livre d'origine, qui enrichit considérablement l'univers. Si La Chambre des Secrets ne sert guère qu'à introduire le personnage de Tom Jedusor (et dans une moindre mesure Dobby) et ce que l'on apprendra bien plus tard être le premier Horcruxe, ce numéro 3 ajoute la prison qui lui donne son titre et ses gardiens, les Détraqueurs, capables d'extraire toute pensée joyeuse de leur victime et in fine, leur âme. Cuarón a bien compris tout le potentiel de ces nouveaux ennemis et choisit de dramatiser au maximum chacune de leur apparition, des vitres qui se glacent petit à petit dans le Poudlard Express au plan large les montrant tournoyant par centaines autour de Harry tels des vautours dans la dernière partie. Ils sont "la peur incarnée" comme le dit si bien Remus Lupin, autre nouveau personnage avec qui Harry (et le spectateur en même temps) se lie très vite d'amitié. Sage, prudent, tout en retenue, il est l'exact opposé de son binôme Sirius Black, chien fou impétueux et impulsif qui ne pouvait être mieux incarné que par Gary Oldman. Lui aussi aura le droit à une superbe scène de présentation au Chaudron Baveur : lorsqu'Arthur Weasley raconte à Harry le sombre passé de son parrain, la caméra les suit, alors qu'ils glissent du centre de la pièce, en pleine lumière, à une alcôve bas de plafond, l'avis de recherche de Black venant remplir le cadre sur la gauche. Un mini plan-séquence tout en mouvement, comme les affectionne tant Cuarón, au service de la narration. Mais le plus beau reste sans nul doute celui qui suit Harry et Hermione alors qu'ils viennent d'utiliser le Retourneur de temps, la caméra se faufilant à l'intérieur du mécanisme de l'horloge
 pour, elle aussi, remonter le temps. C'est par ces petites touches que Cuarón remplit l'objectif qu'il s'était initialement fixé : Le Prisonnier d'Azkaban est sien et à nul autre. Il porte la marque de fabrique du Mexicain, qui s'est investi dans le projet, l'a doté d'une véritable identité, l'a pensé comme un tout cohérent, avec l'envie d'en faire un objet cinématographique unique plutôt qu'un simple épisode appelé à s'effacer derrière l'ensemble de la franchise dans laquelle il s'inscrit. Un tour de force exemplaire face à une telle machine que la Warner, qui s'est pourtant fait dans la concorde. Parfait pour établir un précédent et convaincre les studios de laisser carte blanche à leurs réalisateurs et leurs permettre d'assouvir toutes leurs envies artistiques.

Les fils de l'homme
Réalisé par Alfonso Cuarón
Avec Clive Owen, Clare-Hope Ashitey, Julianne Moore, Michael Caine
Science-fiction
1h49
2006
Royaume-Uni, Etats-Unis
Dans une société futuriste où les êtres humains ne parviennent plus à se reproduire, l'annonce de la mort de la plus jeune personne, âgée de 18 ans, met la population en émoi. Au même moment, une femme tombe enceinte - un fait qui ne s'est pas produit depuis une vingtaine d'années - et devient par la même occasion la personne la plus enviée et la plus recherchée de la Terre. Un homme est chargé de sa protection...
Alfonso Cuarón a un parcours pour le moins étonnant, parsemé de films aussi différents que De grandes espérances, Y tu mama tambien et Harry Potter et le prisonnier d'Azkaban. Le voilà maintenant sur le terrain périlleux de la science-fiction avec Les fils de l’homme, adaptation du roman de la célèbre P.D. James, et la réussite est flagrante.
La première bonne idée est d’avoir représenté un futur connecté à notre réalité contemporaine. Pas de gadgets à gogo, d’objets délirants ni d’armes estampillées "futur de cinéma". Le film s’inscrit au contraire dans une sorte de science-fiction sociale épurée, brute de décoffrage, sans gras ni sucre ajouté, illustrant la prolongation d’une idéologie et d’un comportement humain hautement néfastes dont notre société actuelle porte les prémices. Gaspillage des ressources naturelles, exclusions raciales et sociales, violence, désespoir, tentation de l’extrémisme, etc. Rien de bien réjouissant mais on adhère à cette mise en garde sombre et pessimiste tout simplement parce que le film pioche dans notre inconscient historique collectif en reprenant l’imaginaire des camps de concentration et des ghettos. Bref il est impossible de ne pas se sentir concerné par le propos. Mais le tour de force du film, ce qui en fait une œuvre absolument remarquable, c’est la mise en scène magistrale de Cuarón. Caméra à l’épaule, avec un réalisme de reportage de guerre, il nous embarque dans une succession de plans-séquences époustouflants, hallucinants de maîtrise, en particulier la scène dite "de la voiture" et celle de la rébellion finale. Cette esthétique du plan-séquence nous maintient dans une tension haletante et permanente rarement atteinte.
La qualité de l’interprétation est également à souligner. Clive Owen campe avec grande classe le personnage de Theo. Ce dernier réveille petit à petit le militant qui est en lui, sans grand discours lénifiant, simplement par ses actes. Il glisse dans ce décor cauchemardesque et accomplit sa rédemption sans fioritures. L’antihéros par excellence. Michael Caine, quant à lui, est génial en néo-baba cool amateur de ganja. Cerise sur le gâteau : la musique. Le choix est en effet d’une grande intelligence puisqu’il met en relief des artistes ayant souvent questionné, de près ou de loin, la notion et l’esthétique totalitaire au sein même de leurs œuvres (King Crimson, Radiohead, Aphex Twin, sans oublier le clin d’œil amusant à la pochette d’Animals de Pink Floyd). Brillant.

Réalisé par Alfonso Cuarón, Frédéric Auburtin, Gurinder Chadha, Joel et Ethan Coen, Isabel Coixet, Richard LaGravenèse, Vincenzo Natali, Alexander Payne, Walter Salles, Tom Tykwer, Bruno Podalydès, Sylvain Chomet, Nobyhiro Suwa, Wes Craven, Olivier Schmitz, Daniela Thomas, Christopher Doyle, Gus Van Sant, Gabrielle Keng Peralta, Rain Kathy Li, Gérard Depardieu
Avec Natalie Portman, Fanny Ardant, Juliette Binoche, Steve Buscemi, Willem Dafoe, Gérard Depardieu, Ben Gazzara, Maggie Gyllenhaal,  Nick Nolte, Miranda Richardson, Gaspard Ulliel, Ethan Wood, Ludivine Sagnier, Jeanne Moreau
Film français
Genre : comédie dramatique
Durée : 1h55
Année de production : 2006
 A Paris, les couples se font et se défont à travers les arrondissements.
Cette œuvre collective est une jolie ode à Paris et à l’amour, avec de très jolis moments.
Si certains de ces courts-métrages sont plus emballants que d’autres, cette œuvre collective reste tout de même une jolie ode à Paris et à l’amour, avec de très jolis moments.

Réalisé par Alfonso Cuarón
Avec Sandra Bullock, George Clooney, Ed Harris
Action Drame Science-Fiction Catastrophe Thriller
1h31
2013
Etats-Unis, Royaume-Uni
Pour sa première expédition à bord d'une navette spatiale, le docteur Ryan Stone, brillante experte en ingénierie médicale, accompagne l'astronaute chevronné Matt Kowalsky. Mais alors qu'il s'agit apparemment d'une banale sortie dans l'espace, une catastrophe se produit. Lorsque la navette est pulvérisée, Stone et Kowalsky se retrouvent totalement seuls, livrés à eux-mêmes dans l'univers. Le silence assourdissant autour d'eux leur indique qu'ils ont perdu tout contact avec la Terre - et la moindre chance d'être sauvés. Peu à peu, ils cèdent à la panique, d'autant plus qu'à chaque respiration, ils consomment un peu plus les quelques réserves d'oxygène qu'il leur reste. Mais c'est peut-être en s'enfonçant plus loin encore dans l'immensité terrifiante de l'espace qu'ils trouveront le moyen de rentrer sur Terre...
Alfonso Cuarón n'avait pas droit à l'erreur. Devenu grâce aux Fils de l'Homme un metteur en scène de premier plan, il lui incombait de transformer ce brillant essai pour conquérir durablement le cœur des cinéphiles et autres fans de science-fiction. Pourtant, Gravity éait le projet de tous les problèmes, car le film a failli plus d'une fois disparaître dans les limbes d'Hollywood, en raison des innombrables innovations technologiques indispensables à son accomplissement et de l'aridité de son concept. Les mots manquent pour décrire la puissance de l'expérience. Les pièges étaient pourtant légion en orbite de ce projet fou, à savoir le récit intimiste et spectaculaire d'une dérive, celle de deux humains littéralement perdus dans l'espace. Rétrospectivement, il semble bien que Alfonso Cuarón était le seul capable de mener à bien semblable aventure. La virtuosité de son précédent ride de science-fiction semble anecdotique, tant il convoque ici de génie technique et de pure maîtrise cinématographique. Aux commandes d'une caméra incroyablement libre, mais au placement d'une impeccable rigueur esthétique, l'artiste donne littéralement vie au vide sidéral. C'est là la plus impressionnante réussite de l'entreprise : où nombre de métrages se cassent les dents à vouloir « rentabiliser » la troisième dimension, Gravity ne cherche jamais à surcharger l'écran (à l'exception de brefs et intenses moments de bravoure), mais s'échine à construire avec une intelligence sidérante un sentiment d'immensité inédit.

Réalisé par Alfonso Cuarón
Avec Yalitza Aparicio, Marina de Tavira, Nancy García
Drame
2h15
2018
Mexique Etats-Unis
Ce film fait la chronique d'une année tumultueuse dans la vie d'une famille de la classe moyenne à Mexico au début des années 1970.
Cinq années séparent le choc Gravity du splendide Roma et tout laisse à penser qu'Alfonso Cuarón a radicalement changé d'échelle, de sujet et de pays : il s'agit de son premier film au Mexique depuis Y Tu Mama también, et d'une chronique familiale d'inspiration autobiographique, après la romanesque odyssée solitaire dans l'espace de l'astronaute en perdition. C'est aussi un film distribué par Netflix et donc a priori pensé pour une vision domestique après la superproduction distribuée en 3D et Atmos, technologies destinées à rameuter le public dans les salles les mieux équipées. Pourtant, les deux films se révèlent étroitement liés et complémentaires. Dans Gravity, le cinéaste capturait la tristesse intériorisée d'un kammerspiel dans le chaos desaxé d'une station orbitale dysfonctionelle. Ici, il s'appuie sur l'activité routinière d'une sans-grade, bienveillant fantôme domestique au cœur d'une villa de Roma - quartier middle class de Mexico - trottinant du même pas empressé entre les seaux d'eaux savonneuses et les glissements de terrain de l'histoire. De l'un à l'autre de ces beaux portraits de femme, Cuarón fait preuve d'une même magistrale aptitude à imaginer la volumétrie de l'expérience qui toujours se mesure et s'éprouve à la fine frontière entre l'anodin et l'énorme, le presque rien évanescent des plaisirs et la tragédie féroce de l'abandon, la tambouille du quotidien et le magma sans contour de l'existence. Ce film autobiographique impressionniste atteint des sommets sur le plan narratif et porte l'empreinte d'un homme plus mûr, en pleine maîtrise de tous les aspects de son art. Recevant le lion d'or au festival de Venise, le cinéaste a dédié la récompense (comme l'est le film, d'ailleurs) à «Liba», la domestique qui sert de modèle à la Cleo de la fiction.